LCI et Dominique Seux
Ainsi de l’expert choisi par David Pujadas pour présenter le sujet sur son plateau de LCI, sobrement intitulé « 24 heures Pujadas », dès le 21 janvier, jour de la publication du rapport [1]. Il s’agit de Dominique Seux, directeur délégué à la rédaction des Échos. Ce quotidien économique appartient à Bernard Arnault qui apparaît en quatrième position dans le classement des 26 milliardaires. Autant dire qu’on pouvait faire confiance à Dominique Seux pour exprimer un avis impartial. Inutile de préciser que David Pujadas ne mentionne pas la présence du patron des Échos dans le classement, ce qui aurait pu éclairer le téléspectateur sur le point de vue exprimé par ce fameux expert, officiant également chaque jour sur France Inter [2].
D’emblée, le sbire d’Arnault déclare qu’on peut avoir « une autre lecture » que celle d’Oxfam et se lance dans un discours alambiqué dont il résulte, s’il a un sens, que ces milliardaires qui ont tant d’argent le méritent… parce qu’ils sont géniaux :
Si j’ai une idée géniale pour remplacer Google… Aujourd’hui je crée cette entreprise, ce soir, elle ne vaut rien. J’ai une idée géniale et donc dans une semaine, elle vaudra peut-être un ou deux milliards si je la cote en bourse. Est-ce que ça fait de moi quelqu’un d’ultra-riche ? Peut-être. Est-ce que c’est fondamentalement scandaleux si j’ai cette idée géniale ?
Les inégalités de richesse, dans cette vision capitaliste de bas-étage, seraient donc des différences naturelles de génie. Dit autrement : les riches sont des génies et les pauvres, des crétins. Voilà la véritable inégalité selon le docteur Seux. Chacun appréciera. Après avoir critiqué l’angle du rapport d’Oxfam choisissant de mettre l’accent sur les inégalités de patrimoine, l’éditocrate avance une lecture qui semble l’arranger davantage : « Moi je préfère regarder les inégalités de revenus qui explosent dans le monde entier, sauf en France. » À noter que David Pujadas a précédé Dominique Seux en disant « sauf en France » juste avant lui, comme pour lui souffler : le discours éditocratique est bien rodé. Tant et si bien que tous savent, par avance, ce que les uns et les autres vont raconter sur les plateaux. Et pour cause, ils se côtoient ici et là en permanence pour avancer les sempiternels mêmes arguments, qu’ils partagent, à peu de différences près.
Mais un gilet jaune, encore sur le plateau, Fabrice Schlegel, intervient pour proposer un autre regard sur le fondement des inégalités, et tempérer un peu les élans de Dominique Seux sur le « génie naturel » du capitaliste : « En France, quand on est ouvrier ou fils d’ouvrier, on a toutes les chances d’y rester. […] En France, on a ce problème, et ensuite ça génère les inégalités de salaires, etc. On a ce problème-là de déterminisme social. » lance-t-il avant de souligner l’absence de représentation des ouvriers à l’Assemblée nationale.
Question assurément centrale si l’on parle d’inégalités, mais hors-sujet selon David Pujadas : « Mais là, c’est plus l’inégalité des chances que l’inégalité tout court. » Exit Fabrice Schlegel, qui, appelé ailleurs, devait de toute façon quitter le plateau. « Bon retour ! » lance Pujadas avant de faire rebondir les autres invités du plateau non sur les dernières réflexions du gilet jaune, mais sur les précédents propos de… Dominique Seux : « Réactions à ce que disait Dominique. C’est pas une relativisation que vous faites Dominique, c’est, vous dites : "On regarde le problème par un certain côté" ». Et l’on peut faire confiance à l’entre-soi des éditocrates pour toujours privilégier « un certain côté ». Bref, chez Pujadas, Seux est le roi : seul journaliste économique [3], il peut avancer sans grand risque d’être contredit ses éloges des grands capitalistes de génie, et des merveilles de la redistribution à la française.
Le Parisien et Dominique Reynié
Restons un peu avec Bernard Arnault et un autre de ses journaux, Le Parisien. Ce même 21 janvier, le site du quotidien publie deux articles, dont un fait état du rapport et de ses résultats [4] et l’autre aborde la méthode d’Oxfam en la contestant, mais sans attaquer le fond [5]. C’est le lendemain que le journal papier abordera la question des inégalités soulevée par Oxfam, mais sans nommer l’organisation internationale, dans un dossier titré en Une : « La France est-elle un pays inégalitaire ? » Deux pages sont affectées à la réponse à cette question. Dans la première, l’éditorial de Stéphane Albouy, court mais incisif, annonce la couleur. Titre : « Caricature ». Extrait : « N’en déplaise à certains, la France est une démocratie dont le système redistributif est un des plus efficaces dans la réduction des inégalités ». Dossiers et graphiques à l’appui, démonstration est faite de l’excellence de notre système de redistribution des revenus. Comme Dominique Seux, Le Parisien préfère regarder les revenus plutôt que le patrimoine, bien qu’il concède in fine dans un petit paragraphe que côté patrimoine, les écarts entre riches et pauvres ont tendance à s’accroître : « En France, les 10% les plus aisés concentrent à eux seuls la moitié du patrimoine […] entre 2010 et 2015, le patrimoine moyen des 10% des ménages les moins aisés a diminué de 30%. »
Et quel fut l’expert interviewé par Le Parisien pour nous éclairer sur ce phénomène ? Dominique Reynié, présenté comme « directeur général de la fondation pour l’innovation politique (Fondapol) », sans préciser, sans doute par délicatesse comme la plupart des grands médias, qu’il fut également candidat (malheureux) LR-UDI aux élections régionales de 2015. Pouvait-on trouver mieux que ce barde de l’économie libérale pour (ne pas) commenter les inégalités ? La première question qui lui est posée contient une partie de la réponse : « Les inégalités sont au cœur de la colère des gilets jaunes. La France est l’un des pays où elles sont les plus faibles. Comment expliquez-vous cela ? » La réponse de Reynié n’est qu’une précision : « En France, la redistribution divise par quatre les inégalités de revenus entre les 10% les plus riches et les 10% les moins riches ! [Tiens, ce ne sont pas les « plus pauvres », mais les « moins riches », voilà qui réduit déjà les inégalités ! Ndlr] Nous ne ferons pas mieux sans briser la création des richesses. Il n’y aurait plus rien à distribuer. » Sans un certain degré d’inégalités, point de création de richesses. Là encore, entre la question et la réponse, les « inégalités » sont devenues un quasi non-sujet, auquel on préfère substituer l’angle du système redistributif français pour bien souligner que, quand même, il n’y a pas vraiment matière à se plaindre. On croit à nouveau entendre Dominique Seux et son « autre lecture ».
TF1 et François Lenglet
Gilles Bouleau s’en remet quant à lui à François Lenglet pour savoir quoi penser de cette étude. L’expert maison de TF1 rassure immédiatement le présentateur du journal de 20 heures : « La comparaison faite par Oxfam, qui est saisissante évidemment, […] est un peu trompeuse ». Diantre ! Va-t-on de ce fait avoir droit à une « autre lecture » de la part de François Lenglet ? Oui. Et à une lecture d’une grande clairvoyance : alors… pourquoi « trompeuse » cette fois-ci, la comparaison entre les plus riches et les plus pauvres ? « Parce que la fortune des milliardaires concernés est bien souvent professionnelle et non privée ». Trouvaille de la nov’langue journalistique, le téléspectateur apprend donc en même temps que Gilles Bouleau qu’il existe une fortune professionnelle et une fortune privée. Pour le commun des mortels qui ne ferait pas bien la différence entre l’une et l’autre, François Lenglet prend l’exemple de Jeff Bezos, en tête du classement Forbes des plus grandes fortunes mondiales, sur lequel s’est appuyé Oxfam. Et l’expert d’argumenter : « Si Jeff Bezos possède 100 milliards d’euros, c’est la valeur de la part qu’il détient dans l’entreprise qu’il a fondée, Amazon, et c’est une valeur boursière, souvent changeante et portée à l’excès par des marchés financiers euphoriques ». Après le « génie » des capitalistes, « l’euphorie » des marchés !
Qu’y a-t-il de plus grave ? L’incompétence qui consiste à laisser penser que toute la fortune du patron d’Amazon provient des actions qu’il détient dans le géant du commerce en ligne [6] ; ou bien la mauvaise foi qui consiste à laisser croire que les milliardaires détiennent des « fortunes professionnelles » qui, en tant que telles, ne constitueraient pas vraiment une richesse, et pourraient ainsi tout naturellement atteindre des montants vertigineux sans faire pour autant de leurs propriétaires des milliardaires (mais seulement des « génies » qui prennent des risques) ?
On croit à nouveau entendre en sourdine notre Dominique Seux sur le plateau de David Pujadas :
Le pouvoir d’achat de l’ensemble des habitants de la planète augmentant d’une manière générale, vous avez des entreprises qui ont saisi ces opportunités, qui ont plus de clients, et donc la valeur des entreprises augmente. […] Ils ont créé ces entreprises qui sont valorisées et qui ont réussi. Voilà. Ce n’est pas de l’argent sur un compte en banque !
Pauvres milliardaires en quête de liquidités sûrement…
France Culture et François Bourguignon
Et sur France Culture ? Allons-nous écouter « la-même-autre-lecture » éditocratique, ou un autre son de cloche concernant le rapport d’Oxfam ? En ce 22 janvier 2019, l’invité du matin est François Bourguignon, et le thème, « Économie mondiale : jusqu’où iront les inégalités ? » Guillaume Erner présente son invité comme « économiste, professeur émérite à l’École d’économie de Paris, ancien Chief Economist et vice-président de la Banque mondiale ». L’auditeur est probablement impressionné. Mais dans cette liste de titres ronflants, Guillaume Erner oublie toutefois de mentionner que François Bourguignon a soutenu publiquement Emmanuel Macron lors de la dernière élection présidentielle. Ces journalistes sont décidément bien distraits.
Face aux chiffres d’Oxfam rappelés par Guillaume Erner, Bourguignon déclare :
C’est un très bon chiffre pour accrocher l’attention du public sur un problème réel qui est le problème de la pauvreté dans le monde. Ce qu’il faut bien voir, c’est que c’est un chiffre qui concerne le patrimoine, c’est un chiffre qui concerne la richesse des gens. Or on sait que dans n’importe quel pays dans le monde, la partie la plus basse, la moitié inférieure de la distribution a un patrimoine très très faible par rapport au patrimoine dont disposent les gens les plus riches. Ce qui se passe dans le monde, c’est un tout petit peu plus fort que ce qui se passe au niveau d’un pays. Je crois que si l’on veut parler de pauvreté et d’inégalité, il vaut beaucoup mieux se reporter à des notions de revenus ou à des notions de dépenses de consommation plutôt qu’autre chose ; et si on faisait ça, évidemment ce ne sont pas les 26 personnes les plus riches dans le monde qui ont autant que la moitié des habitants de la planète. Heureusement, ce n’est absolument pas le cas.
Encore raté pour Oxfam ! Bourguignon, dissociant patrimoines et revenus, expose selon une « autre lecture » – visiblement largement partagée – que les inégalités sont en réalité beaucoup moins grandes, qu’Oxfam privilégie des angles tapageurs et « trompeurs », que la France est somme toute très bien placée et beaucoup moins inégalitaire que d’autres pays...
À ce stade, soit un quotidien national, une chaîne d’information en continu, le premier 20h en termes d’audience et une grande station radio de service public, le pluralisme est au beau fixe… et les milliardaires et leurs grandes entreprises bien au chaud. Mais la tournée des économistes libéraux, qui se sont donné le mot pour contester les inégalités de patrimoine au nom de celles des revenus, est loin d’être terminée. Pire : aucun d’entre eux n’explique de manière sérieuse pour quelle raison les inégalités de revenus seraient plus significatives que celles de patrimoines pour comparer la richesse des uns et la pauvreté des autres [7]. Aucun d’entre eux, mais une raison évidente : celle de ne jamais laisser un autre son de cloche pénétrer le sacro-saint périmètre réservé aux questions économiques dans les médias dominants, véritable chasse-gardée des éternels mêmes éditorialistes.
RMC et Éric Brunet
Faisons un tour sur RMC. Pour l’éditocrate maison, premier de cordée de l’éditocratie réunie, la contestation du rapport d’Oxfam va se faire de manière plus frontale – mais guère différente sur le fond : Éric Brunet assume ainsi une argumentation purement idéologique, qui ne fait même plus semblant de se parer d’explications pseudo économiques comme c’est le cas chez ses confrères. Chez Bourdin donc, le 21 janvier, alors que ce dernier évoque le rapport Oxfam, Éric Brunet propose un « petit préambule » à la discussion (en compagnie de Jean-Jacques Bourdin et Laurent Neumann, l’autre éditorialiste durant ce « face-à-face »…) :
- Éric Brunet : J’en ai un peu marre de ces rapports qui nous disent qu’il y a des milliardaires et des pauvres, qui sont diligentés, juste avant Davos, par des organisations internationales qui ont embauché récemment Cécile Duflot, dont l’ancienne porte-parole de l’ONG Oxfam va probablement être tête de liste de la France Insoumise aux élections européennes, Manon Aubry : ils ont une culture de gauche…
- Jean-Jacques Bourdin : Ça, c’est un peu gênant.
- Éric Brunet : Ce qui est terrible, Jean-Jacques, vous, vous avez un regard critique, je vous le dis franchement, mais vous avez des médias qui nous balancent les rapports d’Oxfam comme si c’était des experts internationaux intouchables. Or, c’est n’importe quoi ce rapport. Bien sûr, on sait qu’il y a des milliardaires… ils se sont basés sur quoi pour le faire ? Eh bien sur le magazine Forbes […].
Le « petit préambule » est en fait une attaque gratuite contre l’association humanitaire, taxée d’avoir une « culture de gauche » et contre son rapport, qualifié de « n’importe quoi ». Quant à la réflexion de l’éditocrate sur le traitement médiatique de ce rapport, elle se passe de commentaires ! Pas le moindre argument dans ces invectives. En quoi une « culture de gauche », quand bien même existerait-elle, invaliderait-elle la scientificité d’une étude ? Selon ce raisonnement, et de la part d’un animateur qui se réclame lui-même de la droite, une telle affirmation se disqualifierait donc elle-même, pour le simple fait d’être le produit… d’une « culture de droite » !
Mais c’est là une spécialité d’Éric Brunet, toujours prompt à mentionner les orientations idéologiques de ses ennemis politiques comme autant de charges qui les disqualifieraient par principe. Il ne lui vient jamais à l’idée de « démasquer » nombre d’autres confrères et pseudo experts qui s’expriment partout sous couvert de « neutralité » – notamment tous ceux listés plus haut ! – en affichant leurs orientations politiques voire leurs affiliations partisanes, pour la seule (et mauvaise) raison que celles-ci ne le dérangent guère !
Face à tant de mauvaise foi, même Laurent Neumann se sent obligé de rétablir quelques éléments, notamment en lui répliquant que le FMI et les grands économistes disent la même chose qu’Oxfam. Éric Brunet n’en démord pas, et glisse : « Non, ils ne disent pas la même chose ! » Et pourtant, si : voir ici pour le FMI et là, par exemple pour la Banque mondiale.
Alors, qui dit n’importe quoi ?
RMC et Olivier Truchot
Un clone de Brunet sur la même chaîne, l’après-midi du même jour, Olivier Truchot, attaque bille en tête dans un débat qui sera entièrement à charge. Même principe :
Alors, il faut émettre beaucoup de réserves quand on parle de cette ONG, Oxfam, parce que c’est une ONG militante. J’en veux pour preuve ce que vient de dire cette personne à l’instant [8], qui nous explique tout de suite qu’il faut rétablir l’ISF pour les services publics ; j’en veux pour preuve que la jeune Manon Aubry, que nous avons reçue vendredi et qui est aujourd’hui la tête de liste France Insoumise aux élections européennes et qui était chez Oxfam auparavant ; j’en veux pour preuve Cécile Duflot, qui est une ancienne ministre de gauche et qui, aujourd’hui est responsable d’Oxfam-France. […] L’ONG recoupe d’autres chiffres, notamment ceux de la revue Forbes et de la Banque de Crédit Suisse, et d’ailleurs beaucoup d’économistes critiquent la méthodologie de cette ONG, qui, pour le moins, ne semble pas tout à fait scientifique…
On retrouve les mêmes éléments de langage que chez Brunet. Qui s’en étonne ?
Un autre chroniqueur, David Dickens, sera encore plus sévère avec l’ONG :
David Dickens : Elle ne fait pas le lien avec la fiscalité qui pour moi est le point essentiel de cette enquête.
- Olivier Truchot : Si, elle le dit, elle parle de l’ISF…
- David Dickens : Oui, mais … je parle de l’imposition dans le monde de ces milliardaires. Il se trouve effectivement, et c’est inacceptable, que ces gens semblent bénéficier d’avantages fiscaux dont les petites gens ne bénéficient pas. Si l’enquête s’était accentuée sur ce point de vue-là, sur ce prisme-là, je l’aurais partagée tout à fait. Là, j’ai le sentiment d’une enquête orientée, subjective, plutôt clanique.
On n’est pas loin de la mafia ! Or, et malheureusement pour notre chroniqueur, qui prouve ainsi ne même pas avoir lu le rapport qu’il démonte, l’enquête en question traite largement de cette question, de la page 68 à 75 sous le titre : « Les entreprises et les particuliers les plus riches doivent payer leur juste part d’impôts ».
Un autre essai ?
BFM-TV et Alain Madelin
À ces angles d’attaque du rapport d’Oxfam ne manquait que la dérision. Clown de circonstance, Alain Madelin s’y est prêté, à titre d’expert, sur le plateau de Nicolas Doze, autre « expert » de renommée particulièrement indiqué pour le sujet : on se rappelle en effet l’une de ses « analyses » qui restera culte : « Un pays pauvre est d’abord un pays qui n’a plus de riches » (5 décembre 2018).
Extrait, donc, de la déclaration d’Alain Madelin sur BFM-TV au cours de l’émission « Les experts » (et oui !), le 22 janvier :
C’est le marronnier d’Oxfam : tous les ans, ils sortent un truc pour faire le buzz. Un étudiant aux États-Unis qui est endetté est plus pauvre qu’un paysan indien. Avec la même méthodologie qu’Oxfam, si vous considérez Oxfam comme une personne avec ses 69 millions d’euros d’actifs [9], il est plus riche que 99,7% de la planète. Si vous prenez les 350 salariés d’Oxfam [10] et leurs beaux salaires, chacun détient plus que 92,5% de la planète (sic). Et si vous regardez le PIB par salarié et que vous considérez Oxfam comme un pays, Oxfam est le troisième pays le plus riche du monde. On peut donc faire dire beaucoup de choses aux chiffres !
Par exemple : n’importe quoi.
Pourquoi, sur un sujet aussi universel que les inégalités, n’avoir recours qu’à des économistes libéraux sur quasiment tous les grands médias ? Et sans qu’ils aient en face d’eux la moindre opposition ? Où est le pluralisme ? Comme pour tout autre sujet puisque ces chiens de garde squattent les plateaux quotidiennement : nulle part.
Sommes-nous condamnés à subir éternellement sur les ondes les Seux, Lenglet, Bourguignon et autres Madelin ? Qui récitent chacun son tour le catéchisme libéral à quelques nuances près et torpillent tout ce qui s’écarte un tant soit peu de leur pré-carré idéologique sans s’embarrasser de la moindre argumentation ?
Les analyses d’Oxfam, que l’on peut évidemment contester, ne méritent-elles pas d’autres commentaires que ces gratuites dénégations ? N’est-il pas indécent, à l’heure où les gilets jaunes se révoltent contre leur conditions de vie misérables, où l’impôt sur les grandes fortunes a été supprimé, d’avancer que la France est « l’un des pays où l’argent est le plus généreusement redistribué des riches vers les pauvres » [11] ?
Pourquoi la télévision française ne traite-t-elle pas avec un minimum de sérieux une situation mondiale et nationale considérée comme alarmante par Oxfam, mais aussi par le FMI et la Banque mondiale, peu susceptibles d’être animés par une « culture de gauche » ? N’y a-t-il pas autre chose à écouter que les balourdises d’un Brunet ou d’un Truchot, les affirmations gratuites d’un Reynié, les clowneries d’un Madelin ?
Tous ces pseudo-experts, pseudo-penseurs, aussi suffisants et sentencieux qu’ils se savent creux, s’étonneront-ils quand des gilets jaunes viendront manifester devant les bâtiments de BFM-TV, ou TF1, ou du Parisien, ou de Radio-France ? Pas nous. Et nous les y encourageons.
Jean Pérès et Sophia Aït Kaci