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Quartiers populaires : comment en parler pour se dédouaner, par Colombe Schneck

par Olivier Poche,

Le 4 décembre 2007, l’émission « J’ai mes sources », animée par Colombe Schneck sur France Inter, sobrement intitulée ce jour-là « Médias et banlieue » [1], se penchait sur… Sur quoi au fait ? Sur les rapports entre les journalistes et les habitants des quartiers populaires ? Pas du tout : sur les rapports entre les« émeutiers » et les médias à l’occasion, comme il se doit, des « événements » de Villiers-le Bel.

Les invités, cette fois-là, avaient pourtant des choses à dire, et certains de leurs propos méritent d’être retenus. Mais ce qu’on retiendra surtout, c’est le rôle de la présentatrice, et plus généralement le dispositif de l’émission, qui ont pour conséquence, sinon pour but, de rendre très difficile, voire impossible, de tenir un discours véritablement « critique » sur le travail journalistique. Les émissions de critique des médias, florissantes, ne vont guère au-delà de la défense et illustration de l’ordre médiatique qui les abrite.

La « haine »

Les quelques phrases d’introduction, lues à l’antenne par Nicolas Demorand, donnent le ton :
- Nicolas Demorand : « Depuis les émeutes de 2005, de nombreux journalistes ont tenté de couvrir les banlieues autrement et pourtant... “Je n’ai jamais vu ça ! Il y a une haine contre l’extérieur, policiers, pompiers, élus et nous” déplore le journaliste Luc Bronner qui couvre les banlieues pour le journal Le Monde depuis deux ans. »

En deux phrases, le problème est circonscrit : une « haine » indistincte (et sans doute instinctive) contre « l’extérieur » habite les banlieues, et les journalistes en sont les victimes. De quoi seraient-ils alors responsables ? Le ton est donné et le cadre est fixé, comme le confirme aussitôt Colombe Schneck :
- Colombe Schneck :«  Une haine contre les journalistes de la part des émeutiers qui s’est développée depuis 2005, et parallèlement, un apprentissage des techniques de manipulation des médias de la part de ces mêmes journalistes [sic, pour « émeutiers », probablement], d’abord sur cette haine contre les journalistes, Luc Bronner, vous couvrez les banlieues depuis 2005, vous l’avez vu se développer ? »

D’emblée, la question de la contestation des médias dans les quartiers populaires est rabattue sur la haine que manifesteraient les émeutiers. Ce qui permet de construire cette opposition : d’un côté une « haine » indifférenciée (doublée de techniques de manipulation) et de l’autre les progrès uniformes du travail des journalistes.

Cette double introduction inaugure donc l’émission par l’affirmation d’une double « évidence » - une double pétition de principe qui en dit long sur la perception du problème à traiter : la « haine » et le « progrès ». En commençant par cette « haine », qu’on pose d’emblée comme un fait général et indiscutable – et de fait, elle ne sera jamais discutée. « Haine » d’autant plus étonnante, pourtant, qu’on postule que les choses ont bien changé depuis 2005 (on « couvre autrement ») : le traitement médiatique des banlieues – thème de l’émission, dont on devrait débattre, sur lequel devrait porter la « critique » – est bien meilleur qu’avant. La question ne portera pas sur la qualité de ce traitement, mais sur le degré et la vitesse d’évolution vers le mieux, le bien, sinon la perfection. De là cette question implicite : comment peuvent-ils être si « haineux », alors qu’on fait tant pour eux ?

Ce cadrage, voire ce cadenassage, du « débat » par Colombe Schneck le rend tout simplement impossible, comme on peut le vérifier chaque fois que les invités ont le mauvais goût de contredire son aveuglement. C’est ce que montre assez clairement le premier échange :

- Colombe Schneck :« […] d’abord sur cette haine contre les journalistes, Luc Bronner, vous couvrez les banlieues depuis 2005, vous l’avez vue se développer ? »
- Luc Bronner :«  Non on peut pas dire ça . […] Il y a un ressentiment assez fort vis-à-vis des médias en banlieue , avec une critique qui est portée assez souvent sur le fait que les médias sont présents uniquement lorsque les voitures brûlent ou lorsqu’on se trouve en situation de violence urbaine. »
- Colombe Schneck :«  Pourtant on l’a vu depuis 2005, y’a eu de nombreuses initiatives, hein, qui ont été prises par les médias, une prise de conscience . Par exemple avec la création de ces reporters en résidence... Stéphane Pair ? [reporter en résidence]
- Stéphane Pair :« Ouais… enfin je pense que ce qui s’est passé pour Radio France – qui était déjà programmé, hein, avant ce qui s’est passé à l’automne 2005 – représente une prise de conscience aussi que c’est par exemple le service public d’être présent [sic] dans les territoires qui nous séparent du périphérique. […] Je ne suis pas sûr moi qu’il y ait eu une vraie prise de conscience depuis ce qui s’est passé en 2005. Globalement je pense que beaucoup de rédactions […] se posent un peu les mêmes questions dans le traitement de ces questions. […] On a du mal à trouver la bonne façon d’approcher et de bien représenter vraiment ce qui se passe dans ces quartiers. C’est une difficulté encore aujourd’hui pour toutes les rédactions . »
- Colombe Schneck :«  Pourtant quand les rédactions comme au Monde ou France Bleue créent des postes permanents pour suivre ces banlieues, forcément le travail s’améliore ! Vous avez des contacts réguliers, vous pouvez faire autre chose, et vous l’avez fait, Luc Bronner, autre chose que les violences et les émeutes… »

« Pourtant, pourtant » : à deux reprises, l’animatrice intervient donc pour contredire les journalistes qu’elle a conviés, pour tenter de leur faire dire ce qu’elle a déjà fait dire à Nicolas Demorand : « y’a eu de nombreuses initiatives, une prise de conscience, le travail s’améliore… ». Quel travail ? Sur quoi ? Et surtout de quels médias et de quels journalistes ? Au lieu de s’interroger sur la vision des quartiers populaires des médias qui informent massivement leurs habitants (les radios, les télévisions, la presse quotidienne régionale, …), Colombe Schneck a invité Luc Bronner du Monde et un reporter en résidence de Radio France : deux exceptions, chargées d’illustrer la « thèse » de Colombe Schneck ; tout va de mieux en mieux puisque vous existez ! Proposer une autre analyse reviendrait ainsi, pour eux, à un constat d’échec. Le piège tendu, peut-être involontairement, est redoutablement efficace : « Vous pouvez faire autre chose, et vous l’avez fait, Luc Bronner  »… Et ce sont ces deux exemples qu’on érige en loi générale pour décréter, contre toute évidence, que « le travail s’améliore ».

Que Luc Bronner et Stéphane Pair aient, à raison, résisté à cet enthousiasme n’a pas empêché Colombe Schneck de ressasser ses propres préjugés et d’éluder les problèmes soulevés par leurs remarques : la critique, par exemple, « portée assez souvent sur le fait que les médias sont présents uniquement lorsque les voitures brûlent » (la « présence » des émissions de critique médiatique des médias comme « J’ai mes sources » ne faisant pas exception), ou encore les « difficultés » rencontrées par les rédactions qui ont «  du mal à trouver la bonne façon d’approcher et de bien représenter vraiment ce qui se passe dans ces quartiers ».

Les « manipulations »

L’incantation sur une prétendue amélioration globale du travail des journalistes tenant lieu d’examen précis de son contenu et de sa réception, la critique des médias vire à leur éloge… et la « haine » reste toujours aussi mystérieuse. Une fois la « haine » des « émeutiers » à l’égard des journalistes - démentie à demi-mot par ses invités, malgré son insistance – auscultée avec autant d’acuité, Colombe Schneck passe au second thème qu’elle avait annoncé : la maîtrise des « techniques de manipulation des médias » par ces mêmes « émeutiers ».

- Colombe Schneck :« Stéphanie Binet, qui est journaliste à Libération raconte que cette vidéo a fait l’objet d’enchères, que certains journaux ont essayé de la vendre… »
- Stéphane Pair : « De l’acheter ! »
- Colombe Schneck :« Héhé, de l’acheter pour la vendre plus cher aux chaînes de télévision… ? »
- Luc Bronner :« Alors moi j’ai pas d’information précise là-dessus, ce sont des rumeurs qui ont couru et j’ai pas d’information précise. Ca m’étonne pas vraiment, on sait que ce type de pratiques existe en banlieue avec la tentation, à certains moments, de payer des informateurs. »
- Colombe Schneck :«  Est-ce qu’on peut dire, de façon plus générale, qu’il y a eu un apprentissage des techniques et des moyens de manipuler les médias de la part de certains jeunes, en particulier des émeutiers ?  »
- Luc Bronner :« C’est pas les seuls à manipuler les médias, les sources policières nous manipulent… »
- Colombe Schneck :« Bien sûr oui. »
- Luc Bronner :«  …avec une très grande performance. Je pense qu’une partie des jeunes savent très bien utiliser les médias, ils baignent dans cet univers, ils utilisent très bien le nouveau média internet par exemple… »
- Colombe Schneck :«  Oui on l’a vu par exemple, sur Dailymotion de nombreux posts de voiture qui brûlent, des choses comme ça…  »

Et c’est tout : nous avons retranscrit l’intégralité de l’échange consacré à ces « manipulations ». Une anecdote, des rumeurs et des posts sur Dailymotion : Colombe Schneck a tout relevé, même les manipulations policières qui appellent de sa part une réplique approfondie : « Bien sûr oui ». On n’en saura pas plus. Pourtant les manipulations policières sont sans doute autrement efficaces que l’utilisation d’Internet par « une partie des jeunes ».

C’est le moment de rappeler que selon le site de France Inter, Colombe Schneck « scrute les lois, les enjeux, les personnalités d’un domaine qui nous concerne tous, dans notre quotidien et dans notre rapport au monde. » Mais encore ? « Télévision, radio, presse, mais aussi Internet, téléchargement, blogs, technologies de l’information : un monde complexe face auquel Colombe sait garder la tête froide et l’esprit clair ».

Intermède : A propos d’un « certain appétit »

« Tête froide et esprit clair »… Alors qu’elle a elle-même parlé d’ « émeutiers » sans le moindre discernement, plaidé pour un progrès uniforme du traitement médiatique des quartiers populaires et éludé les difficultés évoquées par ses interlocuteurs, Colombe Schneck « découvre » quelque temps après, que la recherche du « scoop » et de la dramatisation n’est pas sans effets :

- Colombe Schneck :« Vous avez été victime d’un certain appétit, je dirais, des directeurs de la rédaction pour le mot « émeute ». Vous avez enquêté en juin dernier sur des violences à Cergy qui avait été couverte par la presse locale et pas par la presse nationale. Votre article s’est retrouvé à la Une du Monde avec ce titre « Des émeutes urbaines se sont affrontées à Cergy sans faire l’événement ». On peut dire que vous avez été victime de la rédaction en chef de votre journal » ?
- Luc Bronner :« Je n’oserais pas moi le terme victime. Ça montre que dans une rédaction il peut y avoir des désaccords. […] Ma direction a estimé que ça méritait la Une du journal ce qui n’était pas du tout mon avis, … Après à chacun sa responsabilité… J’ai essayé de peser dans ce sens-là… Avec par ailleurs pour moi un choix de termes malheureux, c’était une des raisons pour lesquelles j’étais opposé au choix de la manchette… C’est que c’est très difficile de titrer de manière posée sur un sujet aussi complexe. Dans mon article je parlais de « violences » urbaines et pas d’ « émeutes », volontairement. »
- Colombe Schneck :« Ce n’est pas le même mot… »
- Luc Bronner :« Ce n’est pas le même mot. On était sur des violences urbaines, avec certitude ; émeutes, je n’en suis pas sûr, je ne crois pas. Et du coup on a utilisé le terme « émeutes » au pluriel, en Une, ce qui pour moi était une… qui n’était pas mon choix. »

Colombe Schneck, soudain prudente, ne voit là qu’un « appétit pour un mot ». Quant à Luc Bronner qui manifestement n’en fait pas qu’une banale question de vocabulaire, il relativise malgré tout. On peut même observer sur le vif l’autocensure produire un sursaut salvateur : « on a utilisé le terme « émeutes » au pluriel, en Une, ce qui pour moi était une… euh… qui n’était pas mon choix ». « Une… » ? Une quoi ? Une erreur ? Une faute ?… Ou une de ces « manipulations » qui font frémir Colombe Schneck quant elles proviennent « de certains jeunes, en particulier des émeutiers » ?

Le « dialogue »

La deuxième partie de l’émission, c’est-à-dire les cinq dernières minutes, est consacrée à une discussion avec un troisième invité, présenté en début d’émission, mais à qui l’on n’avait pas jugé bon ensuite de donner la parole jusque-là, Erwan Ruty, co-fondateur de Respect magazine, venu présenter la « Charte Médias en Banlieue » [2].

Manifestement, il ne s’agit pas de revenir sur le « constat » :
- Colombe Schneck :«  On vient de faire un constat, Erwan Ruty, vous vous avez créé la « Charte des Medias en Banlieue »… Votre idée c’est quoi ? Qu’est-ce qu’on peut faire, qu’est-ce qu’on peut améliorer… ? »

Un constat ? Lequel ? Que malgré les incontestables progrès des médias, la « haine » demeure ? Que faire alors pour « améliorer », se demande benoitement Colombe Schneck, qui dans les échanges suivants ne semble pas avoir vraiment envie d’obtenir une réponse :

- Erwan Ruty :«  Notre idée c’est tout simplement d’arriver enfin à créer un dialogue entre des gens qui ne se parlent jamais. Ca fait dix ans […] qu’on dit qu’il y a un certain problème qui va finir par provoquer une certaine violence dans ces quartiers-là, et notamment vis-à-vis des journalistes, parce qu’il n’y a pas de dialogue, de la part des journalistes, je parle très spécifiquement, pas de volonté de dialogue de la part des journalistes et des rédactions, qui vivent dans un milieu totalement clos, fermé, une tour d’ivoire absolument imprenable… »
- Colombe Schneck :«  Et pourtant on voit des initiatives qui sont prises… »
- Erwan Ruty :«  …Et donc je pense que maintenant on a dépassé le seuil, je dirais, de l’acceptable. On essaie de créer ce dialogue […]. Visiblement, ça intéresse beaucoup les associations de quartiers, parce que la plupart des grandes associations de banlieue ont signé cette Charte […] Et en face, je dirais, rien du tout !  »
- Colombe Schneck : [qui le coupe et recouvre ses derniers mots] :«  Alors vous proposez des choses qui sont assez précises, par exemple, ination [sic, pour initiation ?] aux médias dans les classes… »
- Erwan Ruty :« On propose plein de choses qui sont très précises, le principe de cette Charte, c’est pas de donner une camisole, fournir une camisole à des journalistes qui ont déjà pas mal de camisoles, à mon sens, donc c’est pas d’enfermer dans des obligations, c’est tout simplement de mettre quelque chose sur la table pour un dialogue. La Charte elle sera, l’objectif, c’est qu’elle soit recorrigée, retravaillée chaque année. […] Nous on en est encore à une phase, depuis assez longtemps, depuis plus d’une année maintenant, où tout simplement on demande, tout simplement, à avoir une réponse… [Recouvert par Schneck : une réponse des médias]. »
- Colombe Schneck :«  Alors vous proposez des choses qui sont assez précises, […]  »

« Des choses » qui ne doivent pas dissimuler que tout va mieux, et que la plupart des critiques sont, du même coup, infondées :

- Colombe Schneck :« Y a des choses intéressantes, par exemple, favoriser l’insertion des élèves de banlieue dans les médias. C’est déjà le cas, au CFJ… ailleurs…  »
- Erwan Ruty :« Y’a un long parcours à faire encore. De fait, les rédactions sont pour la plupart aujourd’hui occupées par des gens qui viennent d’un certain milieu social, et ça pose problème, parce que tout simplement quand dans une conférence de rédaction… »
- Colombe Schneck (le coupant) :«  …C’est de moins en moins le cas quand même !  »
- Erwan Ruty :« […] La vérité c’est qu’il y encore beaucoup de chemin à parcourir. Quand on a […] une conférence de rédaction, là où on réfléchit aux sujets qu’on va traiter, dix personnes qui n’y connaissent rien aux quartiers populaires, … »
- Colombe Schneck : (le coupant) :« Vous êtes d’accord Luc Bronner ?  »

Constamment interrompu par des interventions qui désamorcent ses critiques en cherchant à les atténuer, Erwan Ruty s’accroche. Et quand Colombe Schneck le coupe, comme on vient de le voir, pour demander à Luc Bronner son avis sur une argumentation qu’Erwan Ruty n’a pas eu le temps d’achever, celui-ci ne laisse pas la parole au journaliste du Monde, et parvient à aller au bout de son idée. L’occasion pour Colombe Schneck de nous offrir, en guise de bouquet final, la preuve que les problèmes ne se posent plus… puisqu’ils ne devraient plus se poser :

- Erwan Ruty :« Globalement, on a des chances que sur ces dix personnes qui décident de pondre un sujet, si le sujet, il s’avère qu’il n’est pas totalement pertinent par rapport à la réalité, y’aura personne autour de la table pour dire « là je pense qu’il y a un problème au niveau de l’angle, ou un problème au niveau du traitement, ou au niveau du choix du sujet ».
- Colombe Schneck :« Mais justement quand on a des journalistes spécialisés comme Luc Bronner, cette question ne devrait plus se poser… »
- Erwan Ruty :« Ah ben l’idéal c’est sûr que… »
- Colombe Schneck :« Ou comme Stéphane Pair… »

Une fois de plus, l’interpellation générale et justifiée est désamorcée par l’évocation des deux exemples particuliers représentés par des journalistes qui font exception à la règle – alors même que le désaccord évoqué plus haut entre Luc Bronner et sa direction tendrait plutôt à remettre en cause ce statut d’ « exception ». Une fois encore, le problème général du traitement médiatique des quartiers populaires est évacué, au moment même où on prétend l’aborder.

Et pourtant Erwan Ruty n’a cessé d’en appeler au dialogue : « Il n’ y a pas de dialogue, de la part des journalistes, je parle très spécifiquement, pas de volonté de dialogue de la part des journalistes et des rédactions, qui vivent dans un milieu totalement clos, fermé, une tour d’ivoire absolument imprenable […] »

« J’ai mes sources » confirme ce diagnotic. En effet, quoi que l’on pense du principe d’une « Charte » et de celle qui est proposée, le moins que l’on puisse dire est que Colombe Schneck s’est employée à démontrer qu’il n’y avait rien à discuter. Une fois de plus la critique des médias dans les médias s’est endormie dans son mol édredon.

Olivier Poche


Annexe :
- Bonnes intentions ?

L’émission n’était pas achevée pour autant. Or la suite et la fin ne sont pas moins éloquentes sur les chances de succès de cette Charte et plus largement d’« amélioration » du traitement médiatique des quartiers populaires :

- Erwan Ruty :« Il se trouve que la police essaye d’utiliser, ou pendant longtemps a essayé d’utiliser des méthodes spéciales, la justice aussi, l’Education Nationale aussi, tous les acteurs de la société française essayent d’utiliser, de revoir leurs méthodes de travail, pour faire en sorte que les millions de gens qui habitent dans les quartiers populaires puissent avoir un traitement un peu particulier, vu la situation économique et sociale particulière dans laquelle ils sont, et il s’avère que visiblement les journalistes, eux, ne veulent pas remettre en cause leurs méthodes de travail : ça, ça pose problème. »
- Colombe Schneck :« Luc Bronner ? »
- Luc Bronner :«  Alors je pense que tout lieu de réflexion et de débat sur nos méthodes est intéressant c’est, c’est, évidemment, donc de ce point de vue là, j’ai rien à redire. Moi je pense exactement l’inverse, je pense que nous médias, il faut qu’on applique les mêmes règles en banlieue qu’ailleurs, donc des règles de vérification des faits, d’implication, de diversification des sources. Je trouve presque contradictoire la démarche qui est de dire « on veut banaliser les banlieues » et en même temps on veut créer une Charte pour les médias en banlieue : non ! Faisons notre travail de journaliste en banlieue comme ailleurs. »

Si l’on comprend bien, Luc Bronner accepte le « dialogue »… mais récuse par principe une « Charte » dont l’objectif est d’engager et de favoriser ce dialogue, au nom de ce que les journalistes devraient faire et qu’ils font si peu !

- Erwan Ruty :«  […]le dialogue me paraît un petit peu nécessaire. »
- Colombe Schneck :« Stéphane Pair, y’a un dialogue qui s’est instauré ! Vous êtes resté deux ans à Bobigny… »
- Stéphane Pair :« Ouais, moi je pense que ce questionnement on peut l’avoir évidemment. […] Après, prendre les rédactions par la force, en essayant de leur imposer des Chartes, de mon point de vue c’est souvent… inefficace .  »

Si l’on comprend bien, Stéphane Pair, tout en se déclarant ouvert à la discussion, récuse toute imposition d’une Charte par la force… sans entendre Erwan Ruty qui vient pourtant de dire explicitement le contraire : « le principe de cette Charte, c’est pas de donner une camisole, fournir une camisole à des journalistes qui ont déjà pas mal de camisoles, à mon sens, donc c’est pas d’enfermer dans des obligations, c’est tout simplement de mettre quelque chose sur la table pour un dialogue ». L’émission s’achève…

- Erwan Ruty :« On n’essaye pas d’imposer une Charte, on propose des gens…on propose un dialogue à des gens qui ne veulent pas dialoguer, aux rédactions. »
- Stéphane Pair :« Ce dialogue est nécessaire… »
- Colombe Schneck :«  Ouais ! »
- Nicolas Demorand :«  Et dialogue amorcé, ici même…  »
- Colombe Schneck :« Voilà ! »

Voilà !

 
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Notes

[1Lien périmé, 30-11-2012.

[2Mise au point par l’agence de presse Ressources Urbaines et le Centre de Formation des Journalistes (CFJ), soutenue par plusieurs associations et organes de presse et présentée le mercredi 7 novembre à l’Assemblée Nationale, sous le patronage du député Vert Noël Mamère.

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