En novembre 2010, quand BFM Business prend le relai de BFM (la radio) et débarque sur la TNT en plus des ondes, les objectifs restent inchangés : « la promotion exclusive des possédants et de leurs intérêts ». À l’époque, les PDG de la Société Générale, France Télécom, Total & co venaient trinquer à l’édifice de leur nouvelle maison « tout info », à destination des patrons, cadres supérieurs et professions libérales. Et depuis, la bourgeoisie défile sur les plateaux au rythme du cours des actions en bourse, en permanence au bas de l’écran.
Dix ans plus tard, ce petit ronron – conventionné par le CSA sans doute au titre de son « respect du pluralisme » – suit paisiblement son cours. Dans la perspective de l’élection présidentielle, BFM Business lance même une nouvelle émission intitulée « Faire réussir la France », destinée à passer au crible le programme économique des candidats. Mais au crible de qui ? Du Medef. Tout naturellement, la rédaction a en effet mis sur pied une émission en partenariat affiché avec le syndicat des patrons. La chaîne n’en fait pas mystère, et le Medef s’en réjouit :
Invité de la première émission diffusée le 4 novembre, Jean-Luc Mélenchon a ainsi été interrogé pendant deux heures par six patrons/entrepreneurs – tous affiliés au Medef – et par deux de leurs porte-parole, « experts » économiques phare du groupe Altice Média : Nicolas Doze et Emmanuel Lechypre – qui circulent dans le bâtiment d’Altice, de plateaux de BFM-TV en studios de RMC. Le tout présenté par Christophe Jakubyszyn et Hedwige Chevrillon, également éditorialiste dans l’émission politique dominicale de BFM-TV. Si le candidat de la France insoumise a bien eu le temps de détailler son programme, il n’en demeure pas moins que le dispositif interroge, pour ne pas dire plus.
Un dispositif qui en dit long sur la quasi-fusion du pôle économique de ce groupe médiatique avec le patronat, où petits et grands chefs d’entreprises se confondent avec les journalistes pour interroger des élus sur une chaîne de télévision utilisée comme levier d’influence – et non lors d’une conférence du Medef par exemple, dont pourraient éventuellement rendre compte les journalistes. Un mélange des genres ordinaire, ici poussé à l’extrême, qui irradie l’information « économique et sociale » bien au-delà de BFM Business et caractérise, à des degrés divers, une grande partie des médias privés et publics. Des esprits cyniques en viendraient même à dire que quelque part, la transparence de BFM Business en la matière vaut mieux que l’hypocrisie d’autres médias et émissions d’information générale, qui produisent la même soupe avec les mêmes ingrédients… sans donner explicitement la recette aux auditeurs !
Selon nos informations, l’annonce de ce partenariat a soulevé une brève contestation au sein de la rédaction de BFM Business : une journaliste a même proposé de faire « une contre émission avec la CGT » – suggestion qui n’a pas été retenue par la direction ! Et à tout dire, le niveau est tel qu’il en faudrait nettement plus pour espérer un jour rééquilibrer le pluralisme…
Sophie Eustache