Longtemps structurée économiquement et symboliquement autour d’un pôle « religieux » (les éditions Bayard Presse) et un pôle « laïc » (le groupe toulousain Milan), cette presse tend aujourd’hui à connaître un mouvement de rachat et de concentration caractérisé par la fusion des deux groupes cités précédemment et par l’intégration au groupe du Monde des titres de Fleurus Presse.
La presse éducative [2] propose une démarche éducative qui s’élabore progressivement, au fil des titres et des âges du lectorat. Des fascicules destinés aux tout-petits aux périodiques pour adolescents se met en place un apprentissage progressif de comportements distinctifs, une formation graduée d’esprits supérieurs dynamiques.
Le premier âge, stéréotypes et « positive attitude »
Les publications destinées au premier âge semblent, de prime abord, ne posséder aucune fonction idéologique. Les marquages sociaux peuvent paraître faibles, voire inexistants dans ces fascicules au nombre réduit de pages, composés de courts récits descriptifs et de jeux d’apprentissage aux structures rudimentaires. Si cela reste vrai en comparaison avec les publications destinées aux tranches d’âge supérieures, ces revues n’en proposent pas moins des représentations socialement marquées qui peuvent évoluer au fil des années.
Le premier point auquel il faut prêter attention est celui des représentations dominantes (ne serait-ce que d’un strict point de vue quantitatif) de la famille. La représentation des rôles sexuels reste somme toute traditionnelle, surtout dans le cas des aventures mettant en scène le personnage de Petit ours brun et, plus généralement, dans le cas des fictions mettant en scène des animaux habillés. Si les mères ne sont plus systématiquement en robe et les pères en pantalons, si les pères peuvent mettre le couvert et les mères lire dans un fauteuil, un certain nombre de comportements sexués persistent. De plus, le bébé humain reste exclusivement un bébé blond, recoupant par-là une tendance observée dans la publicité en général et, plus précisément dans les fascicules destinés aux parents et insérés à l’intérieur de la revue où prédominent les représentations (généralement sous forme de dessins ou de photographies) des bébés blancs et blonds. Par ailleurs (mais cela tend à varier plus largement selon les titres et les périodes), les récits mettent en avant des traits socialement distinctifs comme le taux de natalité (on a généralement affaire à un enfant unique) ou le mode d’habitation (où prédominent pièces spacieuses, jardins et cheminées), les familles nombreuses habitant en habitat collectif étant absentes de ces périodiques.
Les titres plus récents posent la question de la représentation des minorités visibles - question qui peut se résumer en trois points. Le premier est la présence accrue de personnages « de couleurs » dans la presse destinée au premier âge. Alors qu’ils étaient hier quasiment absents, on peut trouver des personnages d’enfants ou d’adultes qui peuvent apparaître régulièrement au fil des divers numéros (comme Lila, héroïne des histoires de Marcel). Deuxième point : cette reconnaissance varie selon les titres. Paradoxalement, Picoti, du groupe Milan, dont l’héritage progressiste aurait pu laisser croire en une plus grande sensibilité à la question du racisme, s’avère moins ouvert aux minorités visibles que Popi, le titre du groupe catholique Bayard. Troisième point : la représentation de ces minorités reste biaisée. Dans les aventures de Marcel, les adultes occupent essentiellement des fonctions salariées - personnel de service à la cantine (Popi n°233), personnel de crèche (Popi n°23) - et apparaissent plus rarement dans les réseaux de sociabilité familiale. Dans les grandes illustrations qui, en fin de périodique, présentent à l’enfant un cadre de vie quotidien, le nombre de membres de minorités visibles décroît au fur et à mesure que l’on se replie de la sphère publique à la sphère privée. Nombreux dans les lieux publics, médiathèques (Popi n°231) ou espaces verts (Popi n°226 ou 233), ils sont minoritaires dans une représentation d’une salle de restaurant (Popi n°233) et absents du bloc de maisons habité par les héros (Popi n°232).
Par ailleurs, si Picoti s’appesantit, d’une manière qui peut sembler parfois insistante, sur les apprentissages préscolaires (en quatrième de couverture, on explique aux parents les objectifs pédagogiques de chaque histoire ou jeu du volume), le titre du groupe Bayard se voit doter d’une fonction, plus discrète et plus large d’inculcation au jeune enfant d’une « positive attitude » pour reprendre les mots de la chanteuse Lorie. Chaque numéro se voit attribuer une fonction : présenter un moment heureux de l’existence annoncé sur la couverture (« se faire dorloter » (n°230), « le plaisir de manger » (n°233), « le plaisir de s’habiller » (n°234) etc.) Dans chacun de ses volumes, un héros récurrent comme Marcel met en scène, dans l’une de ses aventures « la vitalité des petits, toujours partant pour prendre de la vie ce qu’il y a de meilleur ! » (n°226). Marcel mange de la purée, il n’aime pas trop ça mais découvre que c’est finalement très bien (n°233). Marcel met son pyjama, il n’aime pas trop ça mais découvre que c’est finalement très bien (n°234). Marcel se fait bobo, il n’aime pas trop ça mais découvre que c’est finalement très bien (son pansement en forme de tête de lapin est très rigolo, n°230).
La maternelle, l’âge de la morale familiale
La presse destinée aux 3 / 7 ans est traditionnellement caractérisée par l’introduction de nouveaux genres (le documentaire, le récit ou la publicité) et par la mise en valeur de nouveaux modèles comme la famille élargie, avec plusieurs enfants, ou l’enfant autonome et socialisé, présenté seul ou avec des pairs, en l’absence de toute figure parentale. Cependant, l’élément le plus significatif de cette production est l’initiation à des valeurs morales très générales par le biais de récits de fiction, en majorité des contes.
Deux nouvelles questions se posent.
Tout d’abord, le registre traditionnel d’inculcation de comportements positifs se double d’un second type de récit basé sur la valorisation des compétences enfantines. Ainsi dans le conte « Des provisions pour l’hiver » un petit écureuil égoïste apprend à partager, parce que « le bonheur, quand il y en a pour un, il y en a pour plusieurs » (Pomme d’Api, n°476) alors que dans « Le Badamecrac » (Pomme d’Api, n°480), l’enfant sauve le royaume de son père en pensant à donner des glaces au monstre qui dévore le château familial. Cette double perspective se retrouve d’ailleurs dans d’autres genres de fiction, comme les récits de la série J’aime lire. Dans cette collection de courts romans (publiés par les mêmes éditions Bayard) se trouvent, par delà quelques titres « positifs » (un enfant temporairement handicapé reprend goût à la vie grâce à la bienveillance des adultes qui l’entourent [3]), des titres transmettant des valeurs morales assez classiques (un enfant découvre les mérites de ses parents aveugles [4] ; d’autres apprennent à se méfier de leur volonté de toute puissance [5] ou des risques de la tricherie [6]) et d’autres basé sur la valorisation de d’un enfant qui, de par sa vitalité et son innocence parvient à mettre à mal l’hypocrisie du monde des adultes [7] et même à assurer la paix à des groupes antagonistes [8]).
La seconde nouveauté est lié au fait que le conte n’est plus le seul vecteur de transmission. Il se voit doubler d’une initiation à la philosophie, discipline qui va prendre une place accrue dans l’ensemble des titres à venir. Chaque numéro de Pomme d’Api est en quelque sorte construit autour de la série des « Petits philosophes » qui traite d’un thème développé à l’usage des parents dans un encart inséré dans le périodique et annoncé au dos de la couverture. A quelques exceptions près, où l’enfant est amené à réfléchir sur des concepts (comme le bonheur, n°479), ces histoires se voient attribuer les mêmes fonctions que le conte, c’est-à-dire expliquer à l’enfant pourquoi il faut savoir attendre (n°478), pourquoi il ne peut pas faire ce qu’il veut (n°475), pourquoi la colère est vaine (n°480), et pourquoi il faut partager, quitter sa mère etc., etc. De fait, si les modes d’apprentissage évoluent, substituant l’intégration raisonné de concepts à la plate imitation d’un modèle et incitant à une co-éducation ou dans les parties du périodique qui leur sont spécifiquement destinées, parents et enfants réfléchissent ensemble au même concept, les valeurs transmises restent les mêmes - nous allons le voir.
Le primaire, le poids du « bon sens » philosophique
La presse destinée à cette tranche d’âge est probablement celle qui a le plus évoluée sur la période, probablement (toute extrapolation reste hasardeuse) avec la diffusion du modèle de la préadolescence et les évolutions des modes de comportement et de consommations de la tranche d’âge des 10-12 ans.
Le fond reste le même, les titres destinés à cet âge restent marqués par le souci d’une morale du quotidien qui se retrouve dans de nombreux récits didactiques. Dans les numéros publiés en 1996 comme dans ceux proposés au lecteur en en 2006, la série Pic la panique, Pik esprit pratique, présente, sur une double page, les comportements divergents de deux enfants confrontés à la même situation (pêche aux coquillages, utilisation du magnétoscope, visite chez un ami...) Sur la fausse page, à gauche, Pic multiplie les comportements asociaux ou imprudents alors que sur la belle page, à droite, Pik se révèle en tous points un enfant admirable. Dans le même esprit, en 1996 comme en 2006, les aventures de Lulu mettent en scène des problèmes de la vie quotidienne (s’ennuyer, se disputer avec un ami...) en proposant à la fois un modèle optimiste (puisque dans le récit tout finit par s’arranger) et des questions adressées au jeune lecteur pour l’amener à s’interroger sur lui-même.
Aujourd’hui, cette tranche d’âge est celle où émerge le modèle juvénile dominant qui trouvera son épanouissement à l’adolescence, celle du jeune « branché », « concerné », « engagé ».
1) Un enfant, futur ado, qui s’inscrit dans une culture juvénile non seulement explicitée (le numéro 629 de la revue Astrapi apprend aux enfants le langage des SMS : « CriE », « A2m1 » ou « Xqzé », c’est-à-dire plus prosaïquement : sérieux, à demain et excuser) mais aussi socialement marquée (portable, vacance au ski, cours de solfège, visite des musées...)
2) Un enfant qui s’ouvre au monde sous l’angle dominant de l’enfance multiculturelle (présentation d’une petite africaine qui travaille après l’école, d’un enfant de la Réunion ou un jeune lutteur de sumo) et de l’action caritative (présentation d’une association qui collecte des dessins d’enfants dans un but humanitaire).
3) Un enfant surtout où les virtualités positives, la « vitalité des petits » valorisée dès le premier âge s’inscrit désormais dans le monde. Par delà l’exemple de certains enfants qui protègent l’environnement (« Rafaëlle nettoie la nature », n°623, « Samuel protège les mésanges », n°633) où expriment leur passion créatrice (comme les peintres, musiciens ou photographes du n°626), le lecteur se voir incité à entreprendre : « Fais ton spectacle de magie » (n°630), « Crée ton club » (n°628), « Ouvre ton restaurant cinq étoiles » (n°618). Capacités d’entreprendre qu’il convient de rationaliser : « Plein d’idée pour avoir la forme » (n°624), « La rentrée des écoliers futés » (n°623).
Cette presse est aussi celle où se cristallise en quelque sorte le discours « philosophique ». Aux « Petits philosophes » succède le personnage du Lulu qui a certes toujours des problèmes (ou des questionnements) comportementaux (elle se fâche avec sa mère, se trouve moche, ne veut pas quitter sa famille...) mais qui désormais se pose aussi des questions plus profondes comme « Faut-il toujours obéir ? », « Peut-on rire de tout ? » ou « Qu’est-ce que le courage ? »
En fait ce discours philosophique, par delà les différentes tranches d’âge, peut se résumer souvent autour de quelques valeurs axiomatiques, déjà contenues dans les contes proposés aux plus jeunes :
1) Le bonheur est dans le juste milieu : Sam Sam rencontre un philosophe qui lui révèle le secret de la sagesse : « Pour être sage, tu dois juste savoir qu’il y a des moments où il faut être grave et d’autres où on peut faire le zouave. - Je serais sage.... Mais pas trop » conclut l’enfant héros. (Pomme d’Api, n°476). Lulu est-elle confrontée à la pauvreté (Astrapi n°626), elle apprend à faire l’aumône... mais pas trop (on ne peut donner à tous les mendiants) et apprend à partager... mais pas trop (on donne ses vieux habits mais pas ceux que l’on aime).
2) La vraie beauté comme la vraie richesse est à l’intérieur : une lectrice souffre-t-elle d’avoir une amie plus riche qu’elle ? Pas d’importance : « ...au jeu de la comparaison, on est toujours perdant, il vaut mieux essayer de redonner aux choses leur vraie valeur. » (Okapi, n°792, p.32)
3) La communication résout tout : du moins tous les problèmes de Lulu. Et la revue ne cesse d’inciter les jeunes lecteurs à résoudre leurs problèmes par le dialogue : « Allez lui en parler ensemble... », « Tu pourrais essayer de lui expliquer... » « Quand à tes amis, dis-leur pourquoi... »
Le collège, un citoyen engagé (mais pas trop...)
Dans Okapi, revue de la « génération collège », une morale de l’engagement citoyen se substitue alors à l’inculcation de valeurs sociales et comportementales, consacrant l’apothéose d’un modèle juvénile dominant « branché », « concerné », « engagé ».
Branché : Dans la presse éducative pour adolescent, la culture « jeune » s’est substituée progressivement à la culture scolaire. Okapi a été longtemps construit autour d’un dossier au contenu très scolaire, conservé séparément dans les bibliothèques et fréquemment utilisé par les collégiens lors de la réalisation d’exposés : le tigre, le soleil, l’histoire de la médecine, la Russie, ainsi qu’une galerie de portraits des grandes figures du patrimoine culturel, Hugo, Molière, Rabelais, Picasso... La nouvelle formule d’Okapi, marquée principalement par la disparition du dossier au profit de pages culturelles, témoigne de l’importance déclinante des compétences scolaires, banalisées par la généralisation et l’allongement de la scolarité, et de la montée en force de la culture juvénile dans la fraction la plus distinctive de biens culturels pour adolescents et préadolescents. Si certains dossiers s’inscrivent dans une pratique éducative ouvertement distinctive (comme le dossier destiné à aider l’ado à choisir ses séjours linguistiques dans le n°797), la plupart présente les métiers de la mode (n°798) ou les sports de glisse, dans le n°798, mais aussi dans les dossiers consacrés l’hiver aux « Xtrêmistes de la glisse » (n°793) - les seuls extrémistes présents dans la revue à vrai dire - et l’été à la « passion » du surf (n°786).
Concerné : Des dossiers sur le Sida (n°793, pp. 24-31), le Téléthon (n°793) ou l’écologie, « le défi du siècle », (n°788, pp. 20-27) visent à former la « conscience citoyenne » de l’adolescent, ceci par le biais d’un ensemble flou regroupant « le Sida, la faim dans le monde, le tsunami, les femmes afghanes, le front national au 2ème tour, les petits lépreux de Djakarta, le drame d’Outreau (et) la canicule » (n°798, p. 6). Ensemble regroupant tout et (peut-être) n’importe quoi sauf les problèmes d’autres adolescents : la question des banlieues, pourtant très médiatisée au dernier trimestre 2005, est curieusement absente de la revue destinée aux collégiens.
Engagé : l’adolescent est incité à jouer un rôle dans la vie de la cité, et pour être plus précis, de son établissement scolaire. La rubrique « Planète collège » valorise les collèges innovants qui accueillent des élèves handicapés ou organisent des voyages linguistiques à l’étranger. L’opération « Mille actions pour les collèges » (symbolisée par un ruban vert) est un « grand concours d’actions solidaires pour mieux vivre en collège » (cf. les n°791 ou 792). Récemment (n°781, p.11), un adolescent proteste contre la récupération de Mai 68 pour conclure : « Soyez en colère ! Faites-vous entendre ! »
Sans doute certains pourront-ils se louer de cette valorisation de l’engagement citoyen. Valorisation aujourd’hui reprise par d’autres titres que l’on peut être surpris de trouver en première ligne du discours militant, comme 20 ans [9], et valorisation déjà ancienne dans la presse éducative. Dans les années 1990, la revue Okapi fait régulièrement signer des pétitions à ses lecteurs pour libérer des journalistes (cubains), et des tests, sous couvert de mesurer le degré de citoyenneté de ses lecteurs distingue les mauvais jeunes dépolitisés, les esprits étriqués que ne concernent que leurs seuls intérêts et les admirables « Citoyens du Monde » : « Vous vous battez pour défendre la cause qui vous semble juste. Vous vous engagez dans les grands débats qui agitent le monde. Cool ! »
De fait, la revue intervient désormais, par la voix de ses journalistes comme par celle de ses lecteurs, dans les débats relevant du champ politique. En avril 1998, suite aux élections régionales, un article intitulé « Pourquoi le Front National fait peur » stigmatise les alliances locales entre des élus de droite et d’extrême droite. Par ailleurs Okapi prend parti pour les 35 heures (« Dans un pays ou tant de personnes sont sans travail, il faut le tenter ») et, plus nettement encore, contre les expulsions de sans-papiers : « Je trouve révoltant (écrit un lecteur) qu’à l’avènement du 21° siècle dans un pays démocratique, ils expulsent des familles hors de France sans se soucier de leur vie. » Par contre, la guerre du Golfe contre la « dictature terrible » de Saddam Hussein était encore justifiée tant par des impératifs moraux qu’économiques et le compte rendu d’une des toutes récentes interventions américaines dans la région s’ouvrait par un « Saddam remet ça ! » pour le moins explicite.
Si les ambiguïtés (comme les limites) politiques du discours citoyen sont, en raison de l’actualité, moins flagrante sur la seconde période de mon étude (à l’exception de ce silence autour de la question des banlieues), l’ « idéologie » de ce titre de presse pose tout de même quelques problèmes. Problèmes de parti pris tout d’abord : le dossier consacré aux « chansons qui disent NON » (n°784), c’est-à-dire non à la guerre, à la misère ou au racisme, retrace certes une longue tradition protestataire allant de Woody Guthrie à Jean-Jacques Goldman et Tryo mais ignore superbement Ferré et Ferrat. Problèmes, plus subjectifs peut-être, de cohabitation. Certains lecteurs n’apprécieront peut être pas de voir cohabiter dans le même numéro (n°786) un reportage sur « J’ai survécu à Hiroshima » et un titré « Passion surf », illustré de photographies d’athlètes californiens merveilleusement aryens. Problèmes, pour finir, des limites de la dénonciation du système. Ainsi, un numéro a consacré tout un dossier (« Ados vous valez de l’or ! », n°788, pp.12-17) au matraquage publicitaire auquel sont soumis les adolescents, mais sans évoquer jamais le matraquage fait, plusieurs mois de suite par la revue pour le lancement des aventures d’Harry Potter (entre autre avec un dossier de huit pages intégré dans le numéro précédent, le 787).
Dans son numéro d’avril 2005 (n°615), la revue Astrapi, rebaptisée pour l’occasion « journal éducatif pour enfants », se veut une parodie d’une pédagogie à l’ancienne basée sur les seuls apprentissages scolaires (problèmes de mathématiques, etc.) Et en effet, la presse éducative actuelle consacre, elle, par l’inculcation de valeurs de plus en plus spécifique, la formation d’un citoyen idéal. Ce système fonctionne sur un double registre.
Tout d’abord, la formation d’un acteur dynamique qui se voit proposer une image positive de la vie (la purée au fond, c’est rigolo...), puis une représentation des capacités positives de l’enfance (seule capable de lutter contre les monstres), avant de se voir inciter à agir dans le cercle des pairs (créer un club) puis dans le cercle élargi sinon du corps social du moins de l’institution scolaire (opération « Mille actions pour les collèges »).
Ensuite, la constitution d’une subjectivité fortement ancrée socialement. Tout d’abord, par le sociocentrisme voire l’ethnocentrisme présents dès le premier âge. Ensuite par la valorisation d’une morale hier fondée sur la tradition du conte, désormais bâtie sur l’autorité du « philosophe » mais dont les axiomes inchangés (valorisation du juste milieu, du dialogue, des beautés intérieures) reposent sur un bon sens qui, le rappelait Bourdieu, reste toujours du côté des dominants. Pour finir ce « bon sens » s’exprime, dans ses biais, ses contradictions et ses ruptures dans un discours « politique » fait de dénonciations convenues et d’oublis révélateurs. Ce jeune citoyen semble bien en cela le frère des enfants des industriels du textile dont parlait le narrateur du film le Corps de mon ennemi, enfants qui, s’occupant des actions caritatives, n’apprenaient pas à être charitables, mais apprenaient à devenir patrons.
Pierre Bruno