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« Pourquoi George Orwell aurait adhéré à Acrimed », par Natacha Polony

par Martin Coutellier ,

Présidente du Comité Orwell, « collectif de journalistes pour la défense de la souveraineté populaire et des idées alternatives dans les médias » créé 10 ans après le référendum sur le traité constitutionnel européen [1], Natacha Polony nous a (presque) fait parvenir cette tribune qui rend compte des idées et des méthodes du Comité Orwell, présageant, à l’instar de celles de Michel Onfray et de David Pujadas, son adhésion (presque) imminente à Acrimed.

Haro sur la pensée unique

Pourquoi œuvrer pour davantage de pluralisme dans les médias ? Non seulement pour améliorer un système médiatique certes perfectible, mais aussi parce qu’il existe, à l’heure actuelle, un véritable danger pour la démocratie : quelques idées, toujours les mêmes, sont diffusées et discutées, tandis que d’autres sont systématiquement tues. Le Comité Orwell est notre réponse à ce danger, à cette fracture qui s’est ouverte entre les journalistes et le peuple. Lors de notre lancement, nous prévenions sur notre page Facebook : « Nous allons mettre en place, par des tribunes, des conférences ou des colloques, une réflexion et faire entendre des voix qui n’auraient pas forcément droit de cité alors que nous considérons qu’elles peuvent apporter quelque chose. Nous allons faire en sorte de nourrir le débat d’idées en France. »

Cette réflexion sur le métier de journaliste et cet engagement à faire vivre le pluralisme ont forcément détonné dans un univers journalistique chaque jour un peu plus aseptisé et suiviste. Quelques rares titres indépendants et marginaux comme LeFigaro.fr (29 mai 2015), LeMonde.fr (4 juin 2015), Liberation.fr (19 juin 2015), Causeur (29 mai 2015), Marianne (16 juin 2015), BFMTV (28 mai 2015) ou Atlantico (14 juin 2015) ont fort heureusement eu le courage de relayer notre initiative. Reçue par l’« Instant M », l’émission de France Inter consacrée aux médias, où l’on m’a demandé si je ne croyais pas « qu’en 10 ans, tout a changé, et qu’aujourd’hui ce sont les tenants de la critique [de l’économie, du libre-échange, de la construction européenne] qui tiennent le haut du pavé », j’ai été (presque) ébranlée, mais je me suis vite ressaisie en songeant aux travaux d’Acrimed sur la pensée de marché et ses pédagogues ou au récent traitement médiatique infligé à la « mauvaise Grèce ». J’ai aussi été confrontée à la perplexité du toujours rigoureux Bruno Roger-Petit [2] qui estimait que le traitement médiatique du référendum de 2005 ne soulève pas de question, puisque le « non » a gagné contre la campagne unanime des grands médias pour le « oui » ... Bref, certains ne supportent manifestement pas la virulence de notre critique, ni la menace que notre collectif représente pour leurs pratiques journalistiques déplorables. Et c’est tant mieux !


Du pluralisme en actes

Car qui mieux que nous autres, journalistes scrupuleux, pourrait dénoncer et critiquer le manque de pluralisme dans les médias français ? C’est parce que nous en sommes les témoins impuissants, chaque jour, que nous nous sommes regroupés au sein du Comité Orwell. Avant qu’il ne soit trop tard. Qui sommes-nous ? Alexandre Devecchio, journaliste en charge de FigaroVox, la rubrique « idées et débats » du Figaro.fr et Jean-Michel Quatrepoint, ancien journaliste du Monde et ancien dirigeant de La Lettre A [3] ont co-fondé le Comité, avec moi et quelques autres rebelles [4].

Au commencement, il y a donc ce constat d’une parole confisquée. En effet, ne serait-ce que dans les six derniers mois, qui a donné aux idées de Jean-Michel Quatrepoint l’espace médiatique qu’elles méritaient, en dehors de L’Express (28 septembre 2015), Paris Match (24 septembre 2015) ], Les Échos (2 novembre 2015)], du FigaroVox [5], d’Atlantico [6], de Causeur [7] et de Capital (27 octobre 2015) ? Conformément à notre engagement pour la défense du pluralisme, nous avons bravé la censure et fait, nous aussi, un peu de place à Jean-Michel Quatrepoint dans nos médias respectifs : Alexandre Devecchio lui a accordé deux autres interviews sur FigaroVox [8], puis je l’ai moi-même reçu dans mon émission de radio « Mediapolis » sur Europe 1 le 2 septembre dernier, avant de le réinviter dans mon émission de télévision « Polonium » sur Paris Première le 27 novembre [9]. Car bien qu’il soit très difficile d’œuvrer concrètement pour le pluralisme, c’est pour les membres du Comité Orwell un souci de tous les instants. La variété des invités de mon émission « Polonium » en atteste : de Joey Starr à Alain Finkielkraut, de Patrick Pelloux à Karl Lagerfeld en passant par Bruno Roger-Petit, Jacques Weber ou encore Agnès Verdier-Molinié [10]. Ainsi nous efforçons-nous de donner la parole à des personnalités peu ou pas connues, contrairement à beaucoup de médias concurrents.


Un colloque orwellien

Non content de promouvoir des positions peu communes, le Comité a tenu son premier colloque le 9 janvier dernier [11], sur le thème « Terrorisme, Europe, Immigration : les journalistes sont-ils à la hauteur des enjeux ? » La bienpensance de gauche n’aurait jamais osé associer ces trois thèmes, même implicitement. Le Comité revendique ce côté iconoclaste pour faire vivre les débats, politiquement corrects ou non. Et comme nous l’indiquons sur le site du Comité, ce fut « un succès qui en appelle d’autres ». Jugez plutôt : après avoir rappelé que notre attachement à la figure d’Orwell était lié à son refus de tout manichéisme, Alexandre Devecchio a introduit la discussion en nous éclairant sur « la fracture entre les médias et le peuple », à l’aide d’un sondage que nous avions commandé pour « confirmer notre intuition », et qui montre en effet que « les Français » se trouvent mal informés sur toute une série de sujets [12]. Évoquant le « thème qui aurait été le moins bien traité par les journalistes, […] celui de la réforme du collège, avec seulement 26% d’avis positif », il a tenté d’en trouver la raison, avec beaucoup de perspicacité et sans aucun manichéisme, dans l’importance du sujet pour « les Français », qui y voient « une question de civilisation » et « se demandent si on va former des citoyens libres ou si on va continuer à former des décérébrés tout juste bons à tapoter sur leur iphone ». Mais ce n’est bien sûr qu’une hypothèse qui reste à confirmer… par exemple à l’aide d’un sondage.

Élisabeth Lévy, directrice de la rédaction du magazine Causeur, dont le professionnalisme n’a d’égal que la subversion [13], a ensuite pris la parole pour regretter l’absence d’Éric Zemmour, qui est, comme chacun sait, « au cœur du débat sur la liberté et sur le pluralisme dans les médias ». Elle a ensuite dénoncé à juste titre la façon insupportable dont Michel Onfray a été traité dans les médias [14], en soulignant qu’il était devenu « une tête de turc » pour s’être « écarté de la doxa » si répandue en matière d’immigration : « accueil total ou barbarie ».

Pour nous aider à penser contre nous-mêmes, nous avons également invité Laurent Joffrin, pour l’écouter entonner son sempiternel refrain selon lequel « tout va très bien madame la marquise » [15] s’attirant quelques sarcasmes – justifiés – de notre public. Mais on est pluraliste ou on ne l’est pas.

Jean-Michel Quatrepoint a ensuite animé l’entracte en pointant fort à propos quelques évolutions regrettables de l’exercice du journalisme : la « dé-spécialisation » des journalistes au profit des experts (économistes, politologues, anciens militaires, etc.), la domination exercée par les journalistes politiques, la paupérisation du métier de journaliste, et l’importance du choix du patron de la rédaction par l’actionnaire pour exercer son influence. Après mon intervention, ce fut au tour du trop rare Brice Couturier, pilier de la matinale sur France Culture, qui nous a encore ébloui par son intelligence et sa cohérence. Se réclamant de quelques penseurs éminents comme Pierre-André Taguieff et Pascal Bruckner [16], il a décortiqué, plus précis et nuancé que jamais, les mécanismes utilisés par les journalistes pour « noyer le poisson », notamment le recours aux sciences sociales qui cherchent toujours à « innocenter les coupables ». La citation, que Philippe Val ne renierait pas, vaut d’être retranscrite in extenso :

Autrefois on avait recours au marxisme, ça permettait d’utiliser la lutte des classes pour dire que les coupables étaient des victimes, et depuis que c’est un petit peu démodé on a affaire plutôt à la sociologie bourdivine ou bourdieusienne […] qui nous explique que les islamiques étant des musulmans, ils font donc partie des minorités opprimées, ils sont donc des sans pouvoir, et que donc ils sont du bon côté de la lutte des classes. »


Mais c’est probablement Geoffroy Lejeune, rédacteur en chef du service politique de Valeurs Actuelles, parangon de journalisme rigoureux et sans concession à l’air du temps, qui a produit l’analyse la plus critique du fonctionnement médiatique ordinaire, peut-être un peu malgré lui, en évoquant la course au clic et au buzz et le rôle que joue l’AFP dans la dépolitisation de l’information politique. En effet, « on explique [aux journalistes] qu’il faut que le papier, l’interview, le reportage [qu’ils sont] en train de faire fasse une dépêche », or « l’AFP ne s’intéresse quasiment qu’à ça : ce qui va faire la dépêche c’est ce qu’on appelle le verbatim, c’est la petite phrase, le tacle, la saloperie d’untel sur untel, etc. ». Nul doute que Geoffroy Lejeune a depuis lui aussi adhéré à Acrimed.

Quant à moi, à rebours d’une certaine bien-pensance gauchiste, j’ai tenu à signaler que si les questions de société (les « questions de civilisation » si chères à mon compère Alexandre Devecchio) « sont devenues si difficiles à traiter, c’est parce qu’elles sont devenues un enjeu pour une pensée, notamment une pensée de gauche, qui a abandonné les questions économiques ». Pour résumer : les pensées d’envergure quoique minoritaires sur les questions de société, par exemple celles qui osent prendre position contre l’islamisation de la France comme celles d’Élisabeth Lévy ou de Brice Couturier, subissent des attaques insupportables et déloyales depuis que la gauche est de droite sur le plan économique. Pour prolonger cette analyse, qui peut certes paraître un peu pointue, j’ai donc voulu discuter des « données économiques, [qui] sont également très mal traitées dans la presse ». En effet, comme je l’ai indiqué en terminant mon intervention lors du colloque du Comité, l’analyse du traitement médiatique déplorable de l’économie [17] « nous révèle que c’est dans l’impossibilité de remettre en cause un système économique qui malgré tout, a conquis l’ensemble de la pensée dominante – un système économique, libéral, technocratique, tel que l’Europe en est une des quintessences. C’est là-dessus que ça se joue, parce que je crois que ces questions-là sont liées, et c’est en ça que la pensée d’Orwell nous l’apprend » (sic).

***

Si l’on en juge par l’activité du Comité qui porte son nom, on peut considérer que George Orwell aurait sans doute adhéré à Acrimed. Alors faites comme lui, rejoignez Acrimed dès maintenant !

Tribune (presque) imaginée par Martin Coutellier

 
Acrimed est une association qui tient à son indépendance. Nous ne recourons ni à la publicité ni aux subventions. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don ou en adhérant à l’association.

Notes

[2Sur Challenge.fr.

[3La Lettre A est, d’après sa page wikipédia, « une lettre confidentielle consacrée à l’actualité politique, économique et médiatique en France. Chaque semaine, elle enquête au cœur du pouvoir et répond aux besoins d’information spécifiques des décideurs français de haut niveau ».

[4Emmanuel Lévy, journaliste à Marianne ; Franck Dedieu, rédacteur en chef adjoint à L’Expansion ; et Benjamin Masse-Stamberger, journaliste à L’Express.

[5Dans [une chronique d’Éric Zemmour (16 septembre 2015) et dans deux interviews d’Éléonore de Vulpillières (29 septembre 2015 et 14 janvier 2016).

[6En publiant les « bonnes feuilles » d’un de ses ouvrages, en deux articles (12 et 13 septembre 2015).

[7Dans un article consacré à un de ses livres (15 octobre 2015), puis dans une interview à nouveau réalisée par Éléonore de Vulpillières (9 février 2016).

[8Les fans de Jean-Michel Quatrepoint qui ne seraient pas encore rassasiés peuvent consulter ces interviews ici et .

[9J’ai également pris soin de mentionner l’interview de Causeur dans ma revue de presse du 9 février dernier sur Europe 1.

[10Voir les articles que nous avons consacrés à cette VRP ultralibérale multicarte.

[11Les vidéos des « moments forts » ont été publiées par le Comité sur internet.

[12À propos de cet inextinguible désir de faire dire au sondages ce que pensent « les Français », voir notre rubrique « sondages » et en particulier l’article que nous avons récemment consacré à « un bavardage sur sondage ».

[13Voir les articles que nous avons consacrés à cette « polémiste », à laquelle Usul s’est également intéressé dans une vidéo de sa série « Mes chers contemporains ».

[14Renvoyons à nouveau à la tribune que Michel Onfray nous a (presque) envoyée.

[15Que Laurent Joffrin lui-même résume ainsi : « Vous pouvez faire votre journal demain, vous pouvez écrire dans un journal quand vous le voulez, personne ne vous censure. Si le journal A n’en veut pas, B le prendra. » Les amateurs de ce type de mélodie pourront consulter la rubrique dédiée au directeur de Libération et en particulier l’article consacré à son ouvrage d’anti-critique des médias paru en 2009.

[16Deux intellectuels médiatiques dont on pourra découvrir quelques morceaux de bravoure respectivement ici, et  ; le site « Les mots sont importants » permet également de se faire une idée des méthodes discursives de Pierre-André Taguieff.

[17Les articles d’Acrimed concernant le traitement médiatique des question économiques sont consultable dans notre rubrique « Économie ».

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