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Pluralisme : l’expression de la pluralité des opinions dans l’audiovisuel

par Henri Maler,

Comme le précédent article de la même série - « Pluralisme : de quoi parle-t-on ? », le texte général qui suit (à compléter par les analyses précises du pluralisme anémié qui figurent sur notre site et qui sont rappelées en annexe) est mis en discussion au sein même de notre association. Sous cette forme, il n’engage donc que son auteur (Acrimed).

Le pluralisme dans les médias, entendu de façon élargie et dans toutes ses dimensions, englobe ou devrait englober, en prenant soin de les distinguer, la pluralité des opinions, la diversité des informations, la variété des goûts et des cultures.

Garantir la pluralité des opinions, soit ! Mais lesquelles ? Ces opinions peuvent émaner de plusieurs sources et concerner les domaines les plus divers. C’est pourtant la pluralité des opinions politiques – l’expression de pluralisme politique dans les médias – qui fait l’objet des principales attentions.

(1) L’expression plurielle des opinions politiques dans les médias – le pluralisme politique dans les médias – revêt deux formes ou dimensions relativement distinctes : le pluralisme dans l’expression des institutions et des partis politiques et, abstraction faite de ce dernier, le pluralisme dans l’expression des opinions politiques au sein de tous les médias ou au sein d’un même média. Autrement dit, on ne saurait confondre ces deux formes de pluralisme :
 le pluralisme institutionnel et partisan : l’expression de pluralité des institutions et des partis politiques dans les médias et la représentation qui est accordée à chacun d’eux ;
 le pluralisme politique éditorial : l’expression des opinions politiques propres à chaque média, mais aussi au sein de chacun d’entre eux et, plus généralement, dans tous les médias, que ces dernières expressions émanent des journalistes eux-mêmes ou d’autres commentateurs.

(2) L’évaluation et la régulation de ces deux formes de pluralisme sont des plus problématiques. Dans la presse écrite (imprimée ou numérique) – nous y reviendrons – elles ne peuvent faire l’objet d’aucune régulation impartiale de leur contenu par aucune autorité institutionnelle et sont abandonnées de fait aux effets réputés vertueux de la concurrence entre les médias et de la conscience professionnelle de leurs rédactions et surtout de leurs chefferies. Dans l’audiovisuel en revanche, l’expression du pluralisme politique fait l’objet d’une régulation et d’une évaluation par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).


Du pluralisme comptable…

(3) Mais cette évaluation et cette régulation par le CSA concernent exclusivement le pluralisme institutionnel et partisan et ne visent essentiellement qu’à garantir la répartition des temps de parole et d’antenne. En fixant « les modalités du relevé et de la transmission des temps d’intervention des personnalités politiques », le CSA veille sur cette répartition et sa vigilance repose sur la distinction entre « le pluralisme hors période électorale » et « le pluralisme en période électorale ».

(4) La méthode de calcul des temps de parole adoptée pour garantir le « pluralisme hors période électorale » distingue le « bloc majoritaire » (les interventions du président de la République dans le débat politique national et les parlementaires de la majorité) et l’opposition qui doit disposer au moins de 50% du temps cumulé par le « bloc majoritaire ». Quant aux « autres formations parlementaires » et aux « partis non représentés au Parlement », ils se voient attribuer, sans autre précision, un « temps de parole équitable ».

(5) La méthode adoptée pour garantir « le pluralisme en période électorale » comptabilise en les distinguant le temps de parole et le temps d’antenne : « Le temps de parole correspond à la diffusion de toutes les interventions d’un candidat ou de ses soutiens. Le temps d’antenne recouvre, d’une part, le temps de parole et, d’autre part, l’ensemble des éléments éditoriaux consacrés à un candidat ou à ses soutiens ». Et cette comptabilité distingue deux principes, correspondant à deux types d’élections :

 Le « principe d’équité », applicables aux élections nationales à l’exception de l’élection présidentielle, « implique que les services de télévision allouent aux candidats (ou aux partis politiques) et à leurs soutiens des temps de parole ou d’antenne en tenant compte de leur représentativité et de leur implication effective dans la campagne ». Ainsi, l’appréciation de la notion d’équité se fonde sur deux séries d’éléments :
- la représentativité des candidats qui prend en compte, en particulier, les résultats du candidat ou de la formation politique aux plus récentes élections ;
- la capacité à manifester concrètement son implication dans la campagne : organisation de réunions publiques, participation à des débats, désignation d’un mandataire financier, et plus généralement toute initiative permettant de porter à la connaissance du public les éléments du programme du candidat.

 « Le principe d’égalité » est une « spécificité de la campagne présidentielle ». Ce principe « implique que les temps de parole et d’antenne des candidats et de leurs soutiens soient égaux », mais seulement « à compter du début de la campagne officielle », c’est à dire pendant six semaines.

(6) Ces règles strictement arithmétiques, particulièrement « hors période électorale, sont, à bien des égards, absurdes, voire grotesques. En clair : inacceptables.

 D’abord, parce qu’il n’existe aucune raison, quels que soient les modes de scrutin et l’appréciation que l’on peut porter sur chacun d’eux, d’indexer l’expression institutionnelle et partisane en dehors des périodes électorales, sur les résultats du scrutin majoritaire amplifiés par la constitution ad hoc d’un « bloc majoritaire » ;
 Ensuite, et plus généralement, parce que la fréquence des élections qui impliquent tout le territoire national rend totalement artificielle la distinction entre les périodes électorales et celles qui ne le sont pas ;
 Enfin, parce que la seule considération qualitative prise en compte en période électorale – « la capacité à s’impliquer dans la campagne électorale » – ouvre la voie à des interprétations arbitraires.

C’est pourquoi, à la seule exception de l’élection présidentielle, le seul principe indiscutable qui devait s’imposer en toutes périodes est celui d’une répartition des temps de parole et des temps d’antenne proportionnelle aux résultats de la précédente élection nationale au suffrage universel, qu’elle soit, présidentielle, législative ou européenne, avec, éventuellement, une prime à l’exécutif (Président et gouvernement).


… Au pluralisme véritable

(7) Encore ne s’agit-il et ne s’agirait-il là que d’une évaluation purement quantitative du pluralisme institutionnel et partisan qui, en donnant l’illusion de la rigueur, peut être parfaitement mystificatrice.

 D’abord parce qu’en dépit de la distinction entre les temps de parole et les temps d’antenne, cette comptabilité ne tient aucun compte des conditions d’expression des institutions et des partis représentés ou des divers types d’émission – qu’il s’agisse des horaires de diffusion, du format et la durée des émissions, de leur genre (entretien ou débat) et ou de l’attitude des journalistes concernés.
 Ensuite, parce que cette évaluation ne tient pas compte, même si l’on s’en tient aux opinions strictement politiques, de l’orientation des informations et des commentaires qui ne sont pas consacrés à un candidat particulier : que ces informations et commentaires émanent directement de journalistes, de chroniqueurs ou de consultants ou que ces acteurs soient confrontés dans des débats.
 Enfin et surtout parce que l’expression de la pluralité des opinions politiques n’est pas dissociable de l’expression des opinions dans les domaines les plus divers qui, même quand ils peuvent relever de choix politiques ou renvoyer à des opinions politiques, ne s’y réduisent pas.

(8) Ces derniers points sont décisifs. Sauf à se laisser berner par un électoralisme de pacotille, la focalisation sur la comptabilité des temps de parole et des temps d’antenne des partis et des institutions politiques masque l’évaluation du pluralisme éditorial qu’il soit strictement politique ou s’étende à d’autres domaines : les questions économiques, les questions écologiques, les questions de société, les questions internationales.

 Quel pluralisme éditorial, dès lors qu’il est strictement politique, peut être garanti quand les commentaires prennent le pas sur les informations et que ces commentaires sont confiés à des journalistes qui se comportent en accompagnateurs plus ou moins distants des principaux partis et des principales institutions ? Quand ce journalisme de microcosme est flanqué de politologues qui se prévalent d’une prétendue science, de sondologues qui prétendent lire dans les entrailles de l’opinion et de communicants qui confondent la politique et la publicité ? Quand enfin les débats les confrontent le même et le presque pareil, si ce n’est toujours par leur orientation politique, du moins par leur conception de la politique ?

 Quel pluralisme éditorial, dès lors qu’il s’étend à des questions dont la politique s’empare, mais qui ne se réduisent pas à un traitement partisan, peut être garanti quand, chaperonnée par de commentateurs omniprésents parce qu’ils se croient ou qu’on les croit omniscients, l’expression sur ces questions est monopolisée par un cercle restreint de spécialistes et d’experts ajustés aux opinions dominantes ? Quand, en particulier, un « nous » occidental et européen conditionne la plupart des analyses ? Ou encore quand l’orthodoxie économique libérale et les lobbys qui la servent dominent à la fois l’espace académique et l’espace médiatique ?

(9) En ces matières, les déséquilibres les plus flagrants – et ils sont nombreux – ne peuvent ni ne doivent être corrigés par une représentation proportionnée aux résultats électoraux (quand ce n’est pas aux sondages d’opinion). Les arguments ne sont ni des votes ni leur représentation. Pour ne pas être livrés à de nouveaux chiens de garde de la domination, le journalisme devrait exercer la pédagogie dont il se prévaut. Pourquoi faudrait-il espérer qu’un enseignant (par exemple en philosophie, en économie ou en sciences sociales) informe de façon équilibrée (à défaut de neutralité) sur les conceptions en présence, et abandonner le journalisme aux commentaires à voix multiples, mais à sens unique ?

Où l’on voit que la pluralité des opinions dépend largement de la diversité des informations Or informer (avant de commenter) c’est présenter les arguments en présence sur les questions controversées, c’est faire valoir la diversité et la polyphonie des arguments sans les peser au trébuchet des voix, des opinions ou de l’audimat. En cela devrait consister aussi le journalisme d’information. Nous en sommes loin.

Henri Maler

PS : Quelques exemples (parmi d’autres) du pluralisme audiovisuel des opinions :

I. Notre rubrique générale : Le pluralisme par temps d’élection

… Et sur des échéances particulières
- Sur référendum de 2005 : « vous avez dit équité ? »
- Sur la présidentielle de 2007 : les mauvais comptes du pluralisme

II. Notre rubrique générale : le pluralisme par tous les temps.

1. Sur la pluralité des opinions politiques.
- La politique et le pluralisme à la télévision à l’épreuve des chiffres du CSA (2007)
- Salon de la télé : CSA cherche pluralisme, les yeux bandés (2007)
- Temps de parole : les angoisses de Nicolas Demorand, des démocrates du PS et des caniches du CSA (2007)

2. Sur la pluralité des opinions économiques
- Les voix enchanteresses de l’économie sur France Inter(2008)
- Les voix enchanteresses de l’économie sur France Culture (2009)
- Le chœur des chroniqueurs économiques des ondes (2012)
- Le printemps des chroniqueurs économiques (2013)

 
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