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Paroles de précaires de France 3, chaîne du secteur public

Sur France 3, des négociations durent depuis un an, à la suite de l’engagement pris alors (après un mois de grève !) de régulariser la situation d’un certain nombre de précaires. A l’arrivée, ce sont environ 130 postes qui ont été titularisés dont une quarantaine de journalistes. Malgré les apparences, ces quelques titularisations ne sont pas une contribution généreuse de France Télévision à la résorption des abus de l’intermittence. A qui en douterait, il suffit de rappeler que le rapport sur l’intermittence (dont une partie ne sera pas rendu public) a été confié par Aillagon à Bernard Gourinchas, ancien Directeur des Ressources Humaines de France 3 qui a inventé un logiciel qui fabrique de la précarité : dès qu’un salarié serait en droit d’obtenir une intégration, on arrête toute collaboration...et on cherche un autre précaire !


A la suite d’une réunion paritaire avortée qui s’est tenu les 21 et 22 novembre et au cours de la quelle, la direction de France 3 s’est livrée à une caricature d’examen des candidatures à Contrats à Durée Indéterminée, le SNJ-CGT de France 3 a publié ces « paroles de précaires », la plupart journalistes [1].

Témoignages des précaires de France 3, chaîne de service public

 1h10 ce dimanche matin, un précaire (plus de 1000 jours) pleure au téléphone : « Tu connais mon dossier mais je ne parle pas que pour moi, des camarades sont dans la merde, il y a des gens qui crèvent la dalle, il y en a marre, ils vont faire ce qu’ils veulent, ne vous couchez pas, il faut foutre la merde, pétons une bonne grève, le seul syndicat qui reste en France doit bouger, rappelle moi, j’ai besoin de parler » ;

 « Depuis le 28 Septembre, fin de ce CDD, je n’ai pas retravaillé, je suis au bout, mes enfants commencent également à le ressentir et vont de moins en moins bien ; il y a urgence à résoudre ma situation, afin que je puisse poursuivre une carrière dans les meilleures conditions et assurer pleinement ma responsabilité de père ; on me dit comprendre mon désarroi et que je ne dois pas avoir de rancœur ; on me souhaite du courage, on me dit merci, qu’on ne m’oubliera pas ; votre soutien m’est nécessaire » (plus de 1100 jours ; touche l’Allocation de Solidarité Spécifique des Assédic) ;

 « C’était pour moi la dernière chance d’intégrer une rédaction, d’envisager plus sereinement mon avenir professionnel, sans compter que j’ai une tribu de 6 mômes à faire grandir ; ils auraient du être rassurés, je n’ai pas de problème de mobilité, ma femme ne devrait pas rencontrer trop de difficultés pour retrouver un emploi dans ces régions » (500 jours, postulait sur 23 postes) ;

 « Le rédacteur en chef vient de m’annoncer qu’il ne me souhaite plus dans son service » (plus de 600 jours) ;

 « J’avais envie de m’investir dans un travail de fond dans une région ; je viens de recevoir un courrier des Assédic : vu la nouvelle réglementation mes droits à indemnisation s’arrêtent fin 2003, (au départ j’ai cru que c’était une erreur) ; dans l’hypothèse où je ne trouverais pas de travail d’ici le 31 Décembre, mon indemnisation Assurance chômage s’arrêtera à cette date ; je dois déposer un nouveau dossier de demande d’ouverture de droits en Décembre. Merci pour tout » ( plus de 1300 jours) ;

 « J’ai choisi France 3 chaîne de service public et de proximité ; c’est avec enthousiasme que j’avais posé ma candidature ; conscient que l’avenir était à la compétence complémentaire j’ai suivi la formation ; j’ai choisi la mobilité pour m’enrichir mais je souhaitais intégrer une rédaction pour travailler à long terme ; je suis catastrophé » (plus de 1000 jours, 30 rédactions) ;

 « J’accepte toute mobilité, mais l’ ARH m’a fait attendre deux heures son rendez-vous et a finalement jugé qu’il était inutile de me recevoir » (plus de 1000 jours) ;
« j’ai toujours été disponible et mobile, je me suis investi et j’ai constamment veillé à la qualité et au sens de mes images, c’était un aboutissement professionnel (plus de 800 jours) ;
« nourrie par la passion, l’enthousiasme, je suis pourtant reconnue par mes supérieurs » (plus de 600 jours) ;

 « Je suis biqualifié, et l’ ARH me dit que je n’ai qu’à aller aux prud’hommes et qu’ils payeront » (plus de 1000 jours) ;
« J’ai travaillé 289 jours par an sur les trois dernières années, 100 jours de plus qu’un titulaire, ils devaient s’engager par écrit ils ne l’ont pas fait » (plus de 1000 jours) ;

 « J’ai toujours collaboré à France 3, c’est une chaîne de service public dont j’apprécie les valeurs ; j’avais couru, fait toutes les démarches, donné mes candidatures en main propres, mais tous mes espoirs s’effondrent les uns après les autres malgré les engagements de la Direction, mon moral chute librement, je suis exclu du planning dans ce site depuis presque deux ans » (plus de 900 jours) ;

 « Depuis 1998 à France 3, je ne comprends pas pourquoi mon dossier a été écarté par la Direction sans qu’aucun motif me soit donné » (plus de 800 jours) ;

 « J’ai la passion de mon métier ; je n’ai jamais refusé d’être mobile car je me suis enrichie des problématiques locales ; je suis attachée à ce rapport étroit avec l’actualité dans des journaux régionaux ; je travaillais régulièrement 230 jours depuis 1999, cette année je passe juste les 100 jours, il m’est encore possible de bénéficier d’allocations Assédic, mais j’en suis à compter les jours pour anticiper la fin des droits ; cette réduction massive m’inquiète fortement, mais il est vrai que je demande des frais de missions et les rédacteurs en chef craignent que je m’installe dans une région, que je cumule des jours et que cela m’ouvre des droits ; j’ai du mal à obtenir des entretiens ; j’ai postulé sur une quarantaine de postes ; quand on est CDD à France 3, même exclusif et à temps plein, on ne peut accéder à la formation interne ; je revendique le droit à la formation comme n’importe quel salarié pour lequel l’entreprise cotise ; ’ai fait toutes les démarches CIF et CFPJ pour obtenir la biqualification mais je n’ai jamais eu les financements ; je revendique le droit d’avoir une vie privée ce qui est fort difficile compte tenu des déplacements incessants que je suis obligée de faire pour gagner modestement ma vie…jusqu’à ce que je perde la Carte de Presse…faute de contrats ; dès lors plus aucun compliment sur mon travail n’aura de valeur…j’avais des nouvelles rassurantes de quelques CDD boulés des requalif qui étaient certains d’être embauchés dans leur région mais je crains que ce qui est arrivé ruine rapidement l’assurance des plus accros au métier, comment vivre d’autant d’incertitudes ; je revendique le droit de participer pleinement à la vie d’une rédaction, d’émettre des propositions et de les mener à bien comme n’importe quel journaliste digne de cette qualification ; nous espérons dans le syndicat » (plus de 700 jours, 16 rédactions) ;

 « J’apprécie le travail d’équipe au sein de cette rédaction avec laquelle j’ai un lien très fort et j’aurais tant aimé le pérenniser, j’ai parfait mon écriture, je me suis enrichie » (700 jours) ;

 « A travers cette candidature j’exprimais mon attachement à France 3, sa liberté de ton, son atmosphère (plus de 800 jours) ;

 « Je suis très attachée aux valeurs de service public, de rigueur dans la traitement de l’actualité ; je suis fière d’y travailler ; je souhaitais m’impliquer encore davantage et mettre mon enthousiasme et ma force de propositions au service de France 3 (plus de 600 jours) ;

 « A plus de trente ans je suis en quête de stabilité professionnelle, plus que jamais » (plus de 700 jours) ;

 « France 3 correspond parfaitement à ma conception du métier de journaliste » (plus de 900 jours) ;

 « J’aurais tant aimé associer ma passion pour France 3 et faire pleinement partie d’une rédaction, c’est aujourd’hui une priorité » (plus de 500 jours) ;

 « J’avais tant envie de mettre mes compétences et mon implication au service de l’entreprise ; mais ma situation actuelle, mes carences me plongent dans un sérieux désarroi » (plus de 700 jours) ;

 « Je suis prêt à donner le meilleur de moi-même ; la perspective d’un CDI était très motivante » (plus de 1000 jours) ;

 « J’espérais une intégration pour avoir au moins un week-end sur deux, je suis séparé et j’aurais pu mieux organiser mes visites à ma petite fille » (plus de 1000 jours) ;

 « Merci infiniment pour votre aide, vos messages d’encouragement qui m’ont mis du baume au cœur et renforcé ma détermination ; je ne peux même plus vous appeler sur mon portable car je n’ai plus qu’un portable à carte ; mon âge est un handicap ; on paye pour une gestion calamiteuse du personnel ; il faudrait enlever le H de DRH ; je me contenterai d’un CDDD de ci de là, mais on me refuse même ça ; France 3 a vite oublié les remplacements au pied levé, les nuits enchaînées aux journées car il n’y avait personne ; il ne me reste plus que les prud’hommes comme beaucoup d’entre nous qui sommes dépressifs ; la Direction mise sur la lassitude et espère que beaucoup abandonneront ; je suis déterminée à aller jusqu’au bout car je n’ai plus rien à perdre » (plus de 800 jours) …

Le SNJ-CGT de France 3 conclut ainsi « Ces moments de vie sont dédiés à ceux qui jouent avec la précarité. ».

 
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Notes

[1Des paroles que l’on se gardera ici de commenter pour ne pas les neutraliser au moment même où elles sont rendues publiques (note d’Acrimed)

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