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Palestine et Israël : des articulets du Monde aux titres trompeurs

Tout journaliste a appris qu’un titre de journal sert à attirer l’attention du lecteur et que ces quelques mots choisis doivent proposer en un clin d’oeil un condensé de l’article qu’ils surplombent. Les titres de deux articulets parus fin avril 2004 dans Le Monde contreviennent pourtant à cette règle élémentaire.

 Le 24 avril 2004, un titre du grand quotidien du soir nous apprend ceci : « Heurts en Cisjordanie et à Gaza, où deux fillettes ont trouvé la mort ».

Des heurts, qui n’en a pas connus, lors de manifestations ou dans des concerts ? Ce n’est jamais bien méchant. Si on est courageux, on se frite ; sinon on fait chauffer ses baskets et on s’esquive. Ce même titre ajoute, séquence émotion, que deux fillettes « ont trouvé la mort ». Généralement, c’est dans un accident qu’on “trouve la mort”. En d’autres mots, ce serait surtout la faute à pas de chance, si ces heurts ont provoqué la mort des enfants. Et surtout, la nationalité de ces fillettes n’est pas précisée. Normal, après tout, pour des êtres si petits, à peine ébauchés, des êtres génériques, sans passé et pour le coup sans avenir, n’ayant pas encore eu le temps de se trouver des racines dans un pays qui n’existe pas, à peine remarquées dans leurs familles si nombreuses. Ce titre, finalement gentillet, chargé de compassion mais pas trop, n’incite pas à lire plus loin.

Sauf si, par mégarde ou par curiosité, on pose son regard sur la première ligne de l’article : aussitôt, c’est l’horreur qui nous saute au visage, nous agrippe, nous entraîne dans une équipée meurtrière. En deux jours d’opérations, les 22 et 23 avril, l’armée israélienne a non seulement provoqué la mort des deux fillettes palestiniennes, mais aussi massacré dix-neuf Palestiniens, sans compter « des orangeraies rasées, un bâtiment abritant un centre pour handicapés servant de position de tirs aux combattants palestiniens dynamité, une maison détruite et une dizaine d’autres bâtiments endommagés », et sans oublier un Palestinien grièvement blessé. Ce massacre, rapporté à la France, se monterait à 420 victimes... Mais, grâce au Monde, on saura désormais qu’on peut qualifier de « heurts » des actes considérés comme des crimes de guerre par le droit international.

 Venons-en au deuxième titre, tout aussi anodin, paru dans le numéro du 28 avril 2004 : « Le cinéaste israélien David Benchetritt molesté ».

Ici, le métier, la nationalité et le nom du protagoniste sont donnés dans le titre. Après tout, c’est un adulte et il mérite le respect. S’il a été molesté, cet homme de culture, fragile à coup sûr, idéaliste certainement, ce ne peut être qu’au cours d’une petite altercation. Manifestement, ce titre dit tout, pas besoin d’aller plus loin dans la lecture.

Mais on a du temps devant soi, on baguenaude entre les pages, on traîne le long des colonnes, on laisse son oeil glisser sur les premiers mots de l’article, et à nouveau un scénario stupéfiant de violence nous foudroie le cerveau, sorte d’Orange Mécanique made in Israël. Les faits : le 21 avril, David Benchetritt a été grièvement blessé par des vigiles en civil devant le ministère de la Défense, à Tel-Aviv, sous le regard de « soldats en faction qui se sont abstenus d’intervenir  ». Il subira une intervention chirurgicale de plus de quatre heures et sera obligé, selon ses propos sur France-Inter, d’interrompre pour six mois le montage de son film consacré... au comportement de l’armée israélienne et aux objecteurs de conscience. Eh oui, monsieur Benchetritt, quand on est trop curieux sur l’armée israélienne, on risque sa vie et on paie cash ! Mais, grâce au Monde, on aura appris que le vocable « molesté » peut correspondre à une agression d’une extrême violence.

 A quoi il faut ajouter que la visibilité de ces deux articles est des plus réduites  : à peine 10% de la surface de la page pour le premier et sa relégation en bas à gauche, et 5% pour le second, coincé tout en haut à droite.

Mais ce n’est pas tout. Le premier article, sur le massacre des Palestiniens, non seulement est signé « AFP » (autant dire que son auteur est anonyme, ce qui pose l’énorme problème, souvent posé mais jamais résolu, des dépêches d’agence), mais surtout, la source - le commandement militaire israélien - n’est pas mentionnée. Quant au second article, rédigé par un journaliste du Monde, qui a pu parler au téléphone avec le molesté, il n’est pas signé ! Pas de source, pas de signature : au Monde, on sait s’asseoir, ni vu ni connu, sur la charte rédactionnelle du journal et sur les règles élémentaires du journalisme.

Difficile de savoir à qui il faut imputer la responsabilité de ces titres biaisés, qui donnent une présentation tronquée des faits. L’effet, lui, même s’il n’est pas intentionnel, est indiscutable : banalisation de l’horreur et absolution de Sharon, de sa politique et de ses crimes

Alors, gardons les yeux ouverts, car même malmenée, la vérité peut parfois se nicher dans les coins d’un grand journal comme Le Monde, tout en bas à gauche ou tout en haut à droite...

Michel Robin

 
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