Accueil > Critiques > (...) > Nicolas Demorand sur les sentiers de la gloire

Nicolas Demorand, gardien de la démocratie ?

par Mathias Reymond,

Le manque de transparence et de démocratie de la matinale de France Inter nous est fréquemment signalé. Nombreux sont les auditeurs qui nous écrivent et s’interrogent sur le fonctionnement de l’espace « Inter Activ’ » parce qu’on leur a refusé le droit de poser une question impertinente, ou parce qu’ils ont été brusqués ou simplement coupés par Nicolas Demorand. Nous avions déjà consacré un article à ce sujet, en rappelant que d’autres espaces sur la même radio, étaient bien plus ouverts et transparents que le 7-10 [1].
La venue de Jean-Marie Messier le 15 janvier 2009 dans le 7-10 de France Inter animé par Nicolas Demorand est une nouvelle occasion d’observer les méthodes journalistiques de ce dernier. C’est surtout l’occasion d’expliquer notre critique.

La démocratie selon Nicolas Demorand

Ce jour-là, Nicolas Demorand a une nouvelle fois réalisé l’exploit de ne pas répondre aux questions qui lui étaient posées ou aux remarques qui étaient avancées. Ainsi, en prenant la parole, Benoît s’étonne : « Je voudrais signaler tout d’abord que je suis un petit peu choqué de la présence de Jean-Marie Messier (…). » Nicolas Demorand ne relève pas.

Quelques minutes plus tard, un autre auditeur, Eric, insiste : « Bonjour, déjà je partage l’étonnement de Benoît sur la présence de Monsieur Messier. » Réplique immédiate de Demorand : « Ben, écoutez, on est en démocratie, Eric, tout le monde a le droit de s’exprimer. » La réponse est implacable, millimétrée, indiscutable : « On est en démocratie ».

« Tout le monde a le droit de s’exprimer » ? Vérifions-le. « Démocratie » ? Discutons-en.

De quelle démocratie, Nicolas Demorand était-il le garant sur France Culture lorsque parmi les chroniqueurs qui l’accompagnaient (Olivier Duhamel, Alexandre Adler, Alain-Gérard Slama, Olivier Pastré et Marc Kravetz), tous étaient des partisans acharnés du « oui » au référendum sur le Traité constitutionnel européen ? [2] Ou lorsqu’il faisait défiler dans son studio, pendant une semaine entière, uniquement des partisans du « oui » pour commenter la victoire du « non » à ce même référendum ? [3] Ou encore quand il détournait le regard au moment où Miguel Benasayag, seule voix dissonante dans la matinale de France Culture, était licencié par Laure Adler ? [4]

De quelle démocratie Nicolas Demorand est-il désormais le protecteur sur France Inter, quand on constate que durant la pré-campagne pour l’élection présidentielle de 2007, 26 invités politiques sur 30 appartenaient au PS ou à l’UMP ? [5] ; et que durant la campagne de cette même élection, il affiche morgue et mépris face à de « petits candidats » - comme les nomment les médias - tels que Dominique Voynet [6] ou Frédéric Nihous [7] ?

De quelle conception de la démocratie peut-on se prévaloir lorsque sur les 228 invitations politiques ou idéologiques des matinales de France Inter entre septembre 2007 et juin 2008, 88,6% sont des adeptes de la pensée de marché et des zélateurs de la mondialisation libérale et 11,4% y sont plus ou moins opposés [8] ?

Le jour où l’animateur de France Inter exhibe un bouclier démocratique pour justifier l’invitation de Jean-Marie Messier, un auditeur agacé l’interpelle : « Nicolas Demorand, vous prenez les auditeurs de France Inter pour des idiots... » . Il faut croire que tel est le cas, à en juger par l’échange qui suit :

- Jean-Noël : Pourquoi faire de la pornographie sur France Inter à 9 heures moins le quart ?
- Demorand : Ah, de la pornographie ! De la pornographie, d’accord. C’est quoi votre définition de la pornographie ?
- Jean-Noël : Eh bien inviter quelqu’un qui n’a rien à faire sur France Inter alors qu’il y a des millions de gens qui sont dans la misère...
- Demorand : Alors c’est... C’est quoi les gens qui ont le droit de parler dans un espace démocratique, il y a des gens dont il faut interdire la parole, c’est ça, Jean-Noël, votre conception de la démocratie ?
- Jean-Noël : Ce n’est pas inviter toujours les mêmes personnes...
- Demorand : Jean-Marie Messier c’est la première fois que je le rencontre de toute ma vie, hein ! J’ai 37 ans, c’est la première fois ! Bon, on va passer à autre chose...

Comme s’il était question des rencontres personnelles de Nicolas Demorand qui, une fois de plus, répond à côté de la question et joue sur les mots et avec les mots en se camouflant derrière l’invocation apparemment irréfutable de la démocratie. Les voix de ceux que les Jean-Marie Messier ont abusés sont quasiment inaudibles dans l’émission « Inter Activ’ » du « 7/10 » de France Inter. Mais surtout, plus que tout autre sans doute, Jean-Marie Messier incarne la confiscation de l’antenne par le même échantillon d’invités (économistes, philosophes, politiques, etc.). Quelle est alors l’apport de l’invitation de l’ex-PDG de Vivendi à la démocratie, alors que toute son activité passée montre qu’il la méprise souverainement et, qu’il n’est qu’un porte-parole de plus dans le flot des partisans de la pensée de marché et de la mondialisation heureuse ? Enfin, que nous importe d’apprendre que Nicolas Demorand n’avait jamais rencontré Jean-Marie Messier et ne lui avait jamais tendu le micro ? Ce micro, étendard de la démocratie… selon Nicolas Demorand.

Pourtant le « 7/10 » de France Inter ne manque pas d’auditeurs et Nicolas Demorand d’admirateurs qui apprécient son dynamisme, voire son impertinence. Mais ce n’est pas son « style » personnel et encore moins sa personne que nous mettons en cause. Alors…


Pourquoi Nicolas Demorand ?

« Pourquoi tant d’acharnement contre Nicolas Demorand » nous demande un correspondant. Un leitmotiv ? Ou pire, une obsession ? Des lecteurs assidus se diront sans doute : « Encore un article sur Nicolas Demorand ! » Et, un peu las, agacé ou exaspéré, l’un d’entre eux nous écrira peut-être : « Encore un article agressif sur l’animateur des matinales de France Inter qui, certes, n’est pas un ange, qui, certes, se regarde parfois un peu le nombril, qui, certes, ne cache pas ses orientations politiques et affinités idéologiques, et qui, certes, donne souvent la parole aux mêmes personnes, ou plus exactement aux porte-voix des mêmes doctrines, mais qui n’est pas le pire… ». Un autre lecteur (à moins que ce ne soit le même) poursuivra, énervé : « Prenez Elkabbach ! Prenez Aphatie ! Prenez Pernaut ! Ils sont encore plus marqués idéologiquement, ils sont à la botte du pouvoir politique ou du pouvoir économique. Il y a plus scandaleux que Demorand… »

Certes, cher lecteur assidu, un peu las mais parfois énervé… Mais ce ne sont pas les personnes en tant que telles qui nous importent, mais, à travers elles, la place qu’elles occupent, les fonctions qu’elles remplissent, les procédés qu’elles emploient. Encore faut il les appeler par leur nom. « Dans un univers où les positions sociales s’identifient souvent à des ‘noms’, expliquait Pierre Bourdieu, la critique scientifique doit parfois prendre la forme d’une critique ad hominem.  » [9] Entendons par là une critique qui nomme ceux qui incarnent ces positions sociales et les conteste à ce titre.

Ce n’est donc pas la personne de Demorand que nous critiquons aujourd’hui, ni celle de Stéphane Paoli hier, ni celle de Martin Dubois ou Christine Durand demain, mais bien la fonction remplie et les procédés employés dans ce créneau horaire particulier, sur cette antenne précise : France Inter. Et c’est pour cela que notre critique est parfois plus virulente et insistante qu’à l’égard d’un Aphatie, d’un Elkabbach ou d’un Pernaut.

Si nous pouvons paraître plus sévère quand nous contestons le rôle de Nicolas Demorand, c’est parce que ce dernier exerce justement sur France Inter (et auparavant sur France Culture), antenne de service public. Le degré d’exigence n’est pas le même pour un média public qui, ne serait-ce qu’en raison de son mode de financement, appartient à la collectivité, que pour un média financé par la publicité et par les missiles de Lagardère. Le degré d’exigence est d’autant plus grand que France Inter est une station du secteur public et devrait se comporter en composante du service public… au lieu de reproduire – en un peu mieux ? - ce que font les autres radios et leurs animateurs.

Ainsi, si nous publions des commentaires acides sur les dérives journalistiques d’un Demorand, ce n’est pas parce que l’on éprouve une quelconque antipathie à son égard, c’est simplement parce que l’on est en droit d’attendre qu’il assume son rôle de serviteur du public, auxquels les autres journalistes cités prétendent parfois.

On n’attend pas grand-chose des Aphatie, Elkabbach ou Pernaut – que nous n’épargnons pas non plus. Prenons quelques exemples. Pernaut ne serait pas dans son rôle de salarié du groupe Bouygues (via TF1) en parlant des accidents quotidiens sur les chantiers. Elkabbach ne serait pas dans son rôle de salarié de Lagardère (via Europe 1) s’il dénonçait les conditions de travail des employés des magasins Virgin ou d’EADS. Aphatie ne serait pas dans son rôle de salarié de Vivendi (via Canal +) en dénonçant les ententes illicites dans le secteur de la téléphonie mobile [10]… Alors qu’il serait dans le rôle de Demorand de parler des accidents quotidiens sur les chantiers, des conditions de travail des salariés de Virgin ou d’EADS, ou des ententes illicites dans le secteur de la téléphonie mobile.

Plus généralement, il n’est pas étonnant que les Aphatie, Elkabbach ou Pernaut soient des « journalistes de marché ». Il est plus étonnant, inquiétant, et même déplorable que, sur France Inter, à ce créneau horaire précis – la tranche la plus écoutée – l’animateur soit le porte-voix ou le passe-plat des variantes d’une même pensée, quelle qu’elle soit. Or la structure de cette émission, la course à l’audience à laquelle elle n’échappe pas, l’habitus de l’animateur et de ses partenaires, tracent le périmètre du discutable et de l’acceptable le matin sur France Inter. Et la présence d’une voix dissonante (de l’extrême gauche ou de la droite souverainiste, par exemple), chichement accordée, n’est que le paravent d’un pluralisme anémié.

Et « Là-bas si j’y suis », dites-vous ? C’est exact. Mais l’émission de Daniel Mermet, aussi partisane soit-elle, n’a jamais eu, contrairement à celle de Nicolas Demorand, la prétention à la neutralité, et n’a jamais mis en avant, contrairement à celle Nicolas Demorand, la « transparence et la démocratie » comme gage de qualité de l’émission. « Là-bas si j’y suis », émission engagée ? Soit. Mais une émission engagée, qui ne s’en cache pas, et qui, vous l’aurez certainement remarqué, est diffusée de 15 heures à 16 heures ! Alors pourquoi pas une émission de parti pris animée par Nicolas Demorand de 16 heures à 17 heures ? Une émission, plutôt « ouiouiste » que « noniste », plutôt libérale – au sens économique - que contestataire ou marxiste, plutôt « République des Idées » que « Attac », plutôt Télérama et Libération que L’Humanité et Le Monde Diplomatique… Mais qui se présente comme telle. Et qui l’assume.

Or, et c’est pour cela que notre critique s’oriente encore vers Nicolas Demorand, le 7-10 de France Inter est une émission de parti pris mal dissimulé, ouiouiste, libérale tendance « République des Idées » et Télérama. C’est une émission de parti pris, mais qui ne l’assume pas. Pis : qui le nie.

Mathias Reymond

 
Acrimed est une association qui tient à son indépendance. Nous ne recourons ni à la publicité ni aux subventions. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don ou en adhérant à l’association.

Notes

[4Lire notamment l’article de Pierre Marcelle dans Libération (23 mars 2004), repris dans notre article « Benasayag viré : réactions contre la censure ».

[5Voir le décompte dans l’article : « Les invités des matinales de la radio ».

[9Cité dans Informer sur l’information. Petit manuel d’observation des médias (hélas, épuisé  !).

[10Vivendi détient l’opérateur SFR.

A la une

Nathalie Saint-Cricq dans Libération : une « pointure » et beaucoup de cirage

« Nathalie Saint-Cricq vote », et Libération vote Saint-Cricq.