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Contre-réformes et mobilisations de 2003

Manifestations du 25 mai 2003 : revue de presse

Dans la presse quotidienne, le lendemain de la manifestation, la fièvre monte.

Des chiffres

Devant le succès indiscutable des manifestations, les chiffres varient d’un quotidien à l’autre et ne tiennent compte - souvent sans le préciser - que de la manifestation parisienne : France-Soir donne 500 000, Libération 730 000, Le Parisien 400 000. Le Figaro ne prend pas de risques et se contente d’ouvrir la fourchette entre les estimations officielles et celles des organisateurs : «  entre 360 000 et 730 000  ».

Le même Figaro chipote sur l’ampleur de la manifestation et, comparant les dernières grèves depuis 1995, découvre « une mobilisation décevante ». Et son éditorialiste relativise sans grande conviction : « Trois cent mille, quatre cent mille ou six cent mille manifestants à Paris ? Le défilé d’hier ne fut sans doute pas le triomphe espéré, pour les syndicats, mais il serait vain de nier que la réforme des retraites entre dans des eaux agitées. » Dans sa tentative de minimiser, il est suivi de près par le quotidien Les Echos qui préfère pourtant couper les cheveux en quatre : « c’est certes moins que lors de la mobilisation exceptionnelle du 13 mai [...] mais c’est au moins autant que la journée d’action du 19 mai  ».

Haro sur les fonctionnaires

Le Figaro est atteint de schizophrénie. Obligé, dans ses pages intérieures de reconnaître que « outre la forte participation des enseignants, au coude à coude avec les autres agents du public, cheminots en tête, la manifestation a réuni des salariés du secteur privé (Citroën, Alstom, Air Lib, Toyota, Pechiney, Michelin, Giat) », le quotidien gouvernemental relativise autant que nécessaire pour que son éditorialiste du jour - Alexis Béjeret - , puisse enfoncer le clou sur lequel il s’acharne avec constance : « la France des fonctionnaires » - car c’est bien elle qui, pour l’essentiel a défilé (...) ».

Et les fonctionnaires coûtent chers. Le Figaro Entreprises - hebdomadaire livré avec le quotidien - nous propose dans sa rubrique « La semaine de... » les réflexions d’André Levy-Lang, ancien président de Paribas. Ce dernier n’est pas content. Dans « Qui paye pour les grèves ? » il résume en une phrase l’autre thème du débriefing de la presse des journées d’actions du 25 mai : « les grèves du service public aggravent les inégalités sociales ». Les Echos, encore, conforte la désinformation : « Régime de la fonction publique : les contribuables devront éponger la moitié du déficit ». Quand les patrons et la presse à leur solde s’inquiètent des inégalités sociales, on se doute que, selon eux, ces inégalités dépendent du statut des salariés (privé/public), et non de l’échelle des revenus et des pouvoirs dont ils occupent le sommet !

Une seule solution

Le titre du Figaro l’annonce d’avance : l’opposition aux contre-réformes, c’est l’opposition à toute réforme. A la France qui dirait « oui », s’opposerait la France qui se bornerait à dire « non ». Et cette France ne manifeste pas, elle « défile ». Cela donne , dans le titre de « Une » : « Le ’’non’’ défile ».

L’opposition entre le « oui » qui pense comme Le Figaro et le « non » qui défile sans tenir compte du Figaro renvoie à cette alternative, où se lit la menace d’une apocalypse : « Le courage ou le déclin ». C’est le titre de l’éditorial du jour.

La contre-réforme Fillon ou le chaos. Car les « fossoyeurs de la répartition », ce ceux sont qui s’opposent à notre bon ministre. Et le chœur de répéter : il n’y a pas d’alternative. L’éditorial (il y en a d’autres) de Gilles Bridier, de La Tribune, est significatif : « Par quel autre réforme la remplacer ? C’est là où le bât blesse ». Ou encore : « une manifestation n’est pas un projet ». Et Le Figaro d’alerter ses lecteurs sur le rôle de « l’extrême gauche » (laquelle « rêve de grève générale ») tout en raillant le PS où « le discours porte » : « bref, la lutte des classes n’est pas morte ».

Et maintenant ?

 Le Parisien cultive l’ambiguïté. Le titre de « Une » : « Fillon dit NON aux manifestants » (avec un " NON " en grands caractères) ne permet pas de savoir s’il dresse un constat, se félicite de la fermeté du gouvernement ou réprouve son intransigeance. Et de décrire « une marée humaine déterminée et joyeuse  ».

 France-Soir est moins équivoque quand, à la « Une », il place le « front syndical hostile » face à ses responsabilités, et compte les points, à la veille de Roland Garros : « Et maintenant ? ».

 Le Figaro, lui, dans l’éditorial déjà cité, est parfaitement clair : « Courageusement, le gouvernement affiche sa volonté de tenir. Il doit continuer. Contre vents et marées. Contre la conjuration des égoïsmes syndicaux. Contre la démagogie des socialistes. Contre une certaine lâcheté de l’opinion, flageolante aujourd’hui si l’on en croit les sondages, mais qui demain lui sera reconnaissante d’avoir gardé le cap. (...) Reculer ? Ce serait un naufrage pour le Premier ministre, qui n’y survivrait pas. Un désastre pour la droite, qui, après ses deux échecs face à la rue de 1986 et 1995, perdrait définitivement tout crédit. Un drame pour la France, surtout, condamnée par l’arrêt des réformes à s’enfoncer dans les déficits, le fiscalisme, la sous-compétitivité, le chômage de masse et la fuite des cerveaux. (...) Pour la France, c’est le moment de choisir entre le courage et le déclin. » Terrible !

Mais pour ceux qui croiraient encore que Libération et Le Monde - à s’en tenir du moins à leurs éditorialistes - pourraient être des alliés, il faut vite déchanter.

 Libération s’interroge à la « Une » : « Qui va céder ? » Une bonne question qui évite d’avoir à prendre parti. « Et sur quoi ? » Une très bonne question que Libération ne pose pas directement, mais à laquelle Michel Helvig, dans l’éditorial sobrement intitulé « Fossé », propose une réponse confondante : « Si l’on osait, seule une dissolution pourrait la trancher devant les électeurs... Mais peut-être, dans l’immédiat, sans monter tout de suite aux extrêmes, serait-il utile de répondre favorablement à une revendication des plus sensées émise hier par des syndicalistes : qu’enfin un débat télévisé sur les retraites soit organisé à une heure de grande écoute. Thibault, Blondel, Chérèque, face à Raffarin, Fillon et Delevoye, on est prêt à parier pour un Audimat digne de Nation-Place d’Italie ! »

Un bon débat télévisé et, hop ! le « fossé » se comble...

 Quant au Monde, il nous offre - enfin ! - l’éditorial de Jean-Marie Colombani qui, sous le titre « Fracture sociale », dresse un sombre tableau de la situation et reproche au gouvernement de « refuser la négociation », autrement dit de refuser « d’ouvrir un véritable dialogue avec les syndicats qui, à ce jour, n’a pas eu lieu ». Mais sur les contre-réformes elles-mêmes, discrétion et prudence !

En revanche, à la fin de l’article intitulé « Le gouvernement veut tenir, les syndicats lancent d’autres grèves », on trouve ceci, dans l’édition en ligne du « quotidien de référence » :

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Il y a des publicités, bien placées, qui donnent un éclairage bien singulier sur l’orientation de notre monde... et du Monde [1].

 
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Notes

[1Merci au correspondant, « lecteur fidèle de votre revue électronique », qui nous a signalé cette... incongruité.

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