Finesse exotique
Le Petit Bleu d’Agen se consacre aux grands événements qui ponctuent la vie des agenais. Le reste ? Peu importe. Or donc le 2 juin 2013, l’événement fut « people ».
« People »… et publicitaire au bénéfice d’une bijouterie qui méritait bien que l’on mentionne sa bouleversante initiative, comme le précisent les trois lignes qui commentent la belle image.
Et l’événement annoncé fit tellement l’événement que quatre jours plus tard, le 6 juin 2013, Le Petit Bleu d’Agen se dévoua une fois encore.
L’occasion était trop belle : une photo de Miss France tenant en mains le numéro du Petit Bleu du 2 juin : publicité au carré. Avec ce commentaire :
Finesse matrimoniale
Dans son édition du 7 juin, Aujourd’hui en France consacre trois quarts de page et une grande photo à un couple composé d’un homme et de son ex-belle-mère, juridiquement empêchés de convoler en justes noces – jusqu’à la mort de celui qui est le père de l’un et le premier mari de l’autre. Émouvant (et pittoresque ?). Le choix courageux de couvrir une atteinte évidente aux droits fondamentaux de la personne (les tourtereaux envisagent de saisir la Cour de justice européenne), la délicatesse et la pudeur du cliché d’illustration, la précision de l’encadré sur « Ce que dit la loi » qui fournit une information utile aux lecteurs qui se trouveraient dans une situation similaire, tout dans cet article est exemplaire d’un journalisme exigeant et se concentrant sur l’essentiel.
Finesse psychologique
Le dimanche 28 avril, le JT de 13h de France Inter revenait sur un fait divers dramatique qui avait vu un jeune homme abattre trois personnes au hasard, le jeudi précédent, à Istres. Alors qu’au dire même du présentateur, ce jeune homme n’avait « rien expliqué de son geste », sa pratique intensive des jeux vidéo, avec une prédilection pour les jeux de guerre et de tir, fournissait une explication évidente au journaliste. Si évidente, visiblement, que lorsque l’invité du journal, Thomas Gaon, un psychologue clinicien dont l’interview devait pourtant permettre d’« essayer d’en savoir un peu plus », réfutait le simplisme de l’hypothèse du jeu vidéo criminogène, le présentateur revenait inlassablement à la charge, d’abord insistant, puis sarcastique devant le refus d’obtempérer du psychologue :
- Présentateur : « Vous êtes membre de l’observatoire des mondes numériques en sciences humaines. Alors vous avez étudié l’impact des jeux vidéo, que disent les études sur ce sujet ? »
- Thomas Gaon : « [...] Par rapport à la question des tueurs scolaires, ce qu’on sait c’est qu’il n’y a pas de lien de causalité entre la pratique d’un jeux vidéo violent et le passage à l’acte en comparaison d’autres facteurs explicatifs beaucoup plus connus. [...] »
- Présentateur : « Attendez. Vous voulez dire que ces jeux les plus célèbres, "Call of Duty", "Assassin’s Creed", qui consistent tout de même essentiellement à éliminer son prochain, sont sans conséquence sur les adolescents ? »
- Thomas Gaon : « Oui. Il n’y a pas de lien de causalité, oui. Il n’y a pas d’effet en fait. C’est à dire qu’en fait une personne ne peut pas être réduite au fait qu’elle pratique une activité. [...] C’est le principe même, d’ailleurs, de la folie d’être imprévisible. Nous cherchons obligatoirement des causes, des responsables afin d’éviter cette... la reproduction, d’éviter les causes. »
- Présentateur : « Oui enfin je comprends que vous faites quasiment des jeux une conséquence, une pratique qui suit un comportement, mais vous n’en faites à aucun moment l’origine. Passer son temps à tuer des gens sur écran, à les éliminer, à faire la guerre pour vous c’est complètement inoffensif sur la psyché de jeunes adolescents . »
[…]
- Présentateur : « Donc pour conclure, pour conclure, vous ne déconseillez nullement aux parents de continuer à acheter les logiciels les plus violents pour les consoles que réclament les enfants, qu’instille la pub comme étant le comportement normal, c’est à dire tuer des gens en permanence sur les écrans, vous pensez que les parents doivent continuer à acheter parce que la demande est là ? »
Finesse sémantique
Voici ce qu’on a pu lire ces dernières semaines concernant Edward Swnoden, le lanceur d’alerte (en anglais, « whistleblower ») qui a révélé publiquement l’étendue du programme américain de surveillance électronique : « La "taupe" à l’origine des révélations […] » (lemonde.fr, 13 juin 2013), « La "taupe" Edward Snowden toujours en fuite » (leparisien.fr, 11 juin 2013), « La "taupe" du Guardian » (lepoint.fr, 12 juin 2013), « La "taupe" du Guardian et du Washington Post » (liberation.fr, 12 juin 2013). Avant ça, il y avait eu Bradley Manning, « La taupe de Wikileaks » (lemonde.fr, 23 mai 2012 ; tf1.fr, 25 mai 2012 ; franceinfo.fr, 3 juin 2013 ; huffingtonpost.fr, 3 juin 2013 ; etc.)
La traduction du terme anglais « whistleblower » par le mot « taupe » est tout simplement fausse. D’après Le Petit Robert, une taupe est « un espion infiltré dans le milieu qu’il observe », et un espion est « une personne chargée d’épier les actions, les paroles d’autrui pour en faire un rapport, ou une personne chargée de recueillir clandestinement des documents, des renseignements secrets sur une puissance étrangère. » Le terme « taupe » a donc une connotation négative. Il renvoie à une personne de mauvaise foi, qui utilise la ruse et le mensonge au service d’un petit groupe (un gouvernement ou une compagnie, par exemple). Or le lanceur d’alerte est l’exact contraire : c’est une personne de bonne foi qui constate des pratiques contraires à l’intérêt général et au bien commun, et qui, écoutant sa conscience, décide de dénoncer publiquement (ou à une autorité compétente en la matière) lesdites pratiques, en mettant souvent en péril son image, sa santé financière ou physique, ou même sa famille.
Est-ce vraiment trop demander à des journalistes professionnels de connaître le sens des mots ? Pas forcément de tous les mots du dictionnaire, mais au moins de ceux qu’ils utilisent dans leurs articles…
Finesse déontologique
Le 13 juin 2013, à l’initiative de Journalisme & Citoyenneté et l’APCP, la Sorbonne a accueilli une réunion consacrée à la perspective de la création d’une instance de déontologie (sur laquelle nous avons dit notre mot ici-même). Un compte-rendu du débat est disponible sur le site des Assises internationales du journalisme et de l’information. Il mérite d’être lu. Retenons pour notre part la précaution précautionneuse d’un grand combattant.
Laurent Joffrin, polémiste, ce n’est même pas Don Quichotte, mais Sancho Panza contre les moulins à vent.
Finesse pathétique
Plusieurs appels à des rassemblements le lendemain de la mort de Clément Méric sont rendus publics. Voici comment le correspondant de Libération à Bruxelles, Jean Quatremer, en toute décence, a réagi à l’un d’entre eux, avec un sens aigu des circonstances.
Finesse scientifique
Dans le numéro d’avril de Science et Vie Junior, la BD récurrente qui met en scène « Cucaracha, la blatte savante » scrutant le comportement des « zoms », est intitulée « Orient Extrême »… Derrière ce jeu de mot qui annonce la couleur, un concentré de poncifs islamophobes présentant tous les « Orientaux » comme des fanatiques. Les parents ayant abonné leur enfant pré ou jeune adolescent à une revue de vulgarisation scientifique seront ainsi ravis de constater qu’ils s’y imprégneront aussi de l’esprit de Valeurs actuelles !
Finesse analytique
Après sa tentative remarquée mais avortée de reconversion dans la chanson, Christophe Hondelatte a renoué en 2012-2013 avec ses premières amours audiovisuelles [1] en animant l’émission « Hondelatte Dimanche » (« HD ») sur la chaîne de la TNT Numéro 23. Comme le résume tout en sobriété la courte présentation qui figure sur le site de l’émission, « cela fait 30 ans que Christophe Hondelatte ravit les auditeurs et téléspectateurs par son grand professionnalisme et son enthousiasme. Journaliste de talent au franc-parler assumé, il anime avec passion chaque dimanche, en première partie de soirée sur Numéro 23, le talk-show "Hondelatte Dimanche" qui donnera la parole, en toute liberté, aux acteurs et militants de tous horizons. » Et effectivement, nous allons voir que Christophe Hondelatte sait parler aux « militants de tous horizons »…
– Le 16 juin, d’abord, lorsqu’il reçoit Hervé, un militant antifasciste, dont l’engagement lui semble incongru et qu’il confond avec le hooliganisme – tout en s’inventant des amis imaginaires…
- Christophe Hondelatte : « Alors, bon moi j’ai un peu de mal à comprendre cet engagement antifasciste, je pense qu’on est un certain nombre comme ça, parce que s’engager, consacrer une partie de ses loisirs, vous travaillez par ailleurs, mais une partie de vos loisirs est consacrée à cela, à la lutte contre le fascisme, et moi, très honnêtement hein, j’ai pas l’impression d’être cerné de fascistes… »
[…]
- Hervé : « Et c’est sûr que si l’antifascisme c’est s’intéresser uniquement à la poignée d’individus qui revendiquent, par exemple, l’attachement au fascisme historique, ça existe aussi mais c’est assez dérisoire, c’est vrai que notre combat il est incompréhensible… »
- Christophe Hondelatte : « Ça justifie pas le combat d’une vie. »
- Hervé : « … il est incompréhensible, ou alors on s’imagine que c’est effectivement des gens un peu bizarres qui s’occupent en fait un petit peu comme ça… Comme deux équipes de foot qui combattraient l’une contre l’autre, et évidemment c’est pas du tout ça. J’espère qu’en tout cas… »
- Christophe Hondelatte : « Mais est-ce que c’est aussi quelques coups de manche de pioche de temps en temps sur des types qui ont un combat politique que… »
- Hervé : « Alors ça, c’est l’autre tarte à la crème du sujet, la question de la violence... »
- Christophe Hondelatte : « Moi, moi, moins, parce que moi j’en ai des copains antifascistes, ils y vont de temps en temps le vendredi, le samedi soir, à certains endroits pour en découdre, non ? Jamais ? »
- Hervé : « Non, c’est pas comme ça que ça se passe. C’est drôle comme façon de présenter, comme s’il y avait des lieux de rendez-vous où fascistes et antifascistes se donneraient rendez-vous pour se défouler, c’est Fight Club ça, mais… »
- Christophe Hondelatte : « Fred Perry, il y a les soldes de Fred Perry, mais enfin bon… »
– Le 23 juin ensuite, c’est avec son « éditorial », par lequel il ouvre chaque émission, que Christophe Hondelatte fait des étincelles… Pour le dernier numéro de la saison, il gratifie ainsi le téléspectateur d’une analyse de la perplexité que d’autres militantes, les Femen, et plus largement l’anatomie féminine, lui inspirent.
« Bonsoir les amis, avant de s’attaquer au dernier numéro de la saison, je voudrais partager avec vous mes interrogations au sujet des Femen. Vous savez que trois militantes de cette organisation, dont deux Françaises, ont été condamnées en Tunisie à quatre mois de prison ferme pour avoir exhibé leurs nichons en public à Tunis. Quatre mois de taule pour trois paires de lolos, je vous concède que c’est cher payé, mais moi j’avoue que je ne comprends pas bien où ces féministes hystériques veulent en venir, quel est leur message ? Quels effets escomptent-elles sur le destin des femmes tunisiennes ? Il me semble que débarquer dans un pays étranger tétons à l’air pour promouvoir la cause des femmes relève du grand n’importe quoi. Le féminisme n’a de chance de prospérer en Tunisie comme ailleurs que s’il est porté par les Tunisiennes. Alors bien sûr ce sera long et il n’est pas juste que ce soit long, mais ce qui importe c’est que ce soit solide et durable et partagé par une majorité de citoyens en l’occurrence tunisiens. Et je ne vois pas bien en quoi trois paires de nibards exhibées dans un pays prude et travaillé par les islamistes peuvent contribuer à quelque progrès que ce soit. Je ne le vois vraiment pas. On y va… »
Tout en finesse...
Un collectif d’Acrimed (avec Gilles Balbastre, Adriano Brigante, Antoine Cadou, Blaise Magnin, Henri Maler)