Le 4 janvier 2002
Chers amis,
C’est avec étonnement, pour ne pas dire plus, que nous avons pris connaissance de la réponse de Jean-Marie Colombani (parue dans le numéro de janvier 2002 du Monde Diplomatique) [1]. aux questions soulevées par Ignacio Ramonet au sujet de l’entrée du Monde en Bourse (parues dans le numéro de décembre 2001 du Monde Diplomatique [2].
Passe encore que le directeur du Monde ressasse, à destination des lecteurs du Monde Diplomatique, les arguments mercantiles par lesquels il tente de justifier le passage du Monde en Bourse. Bien que ces arguments n’aient convaincu ni les syndicats des journalistes du quotidien qui ont manifesté leurs réserves, ni le Comité d’entreprise qui s’est prononcé négativement, ni 47,04% des journalistes de la Société des rédacteurs du Monde (SRM) qui ont fait de même ou se sont abstenus, Jean-Marie Colombani affirme sans sourciller que sa démarche " a reçu l’approbation, claire et nette, de nos différentes instances "…
Oublions - très provisoirement - cela. Ce qui est difficilement acceptable, en tout état de cause, ce sont les prétentions de mise sous tutelle de la rédaction du Diplo qui s’affichent dans les dernières lignes de cette " tribune libre ".
En sa qualité de Président du conseil de surveillance du Monde Diplomatique , Jean-Marie Colombani déclare : " (…) j’ai fixé une limite : que Le Monde reste actionnaire à 51%. J’ai toujours considéré que la garantie des personnels du Monde valait mieux, en termes d’indépendance, que celle de telle ou telle personne privée ".
Quelle est cette personne privée qui pourrait menacer l’indépendance du Monde Diplomatique ? Quel est ce clone de Murdoch qui rôderait dans les couloirs du prestigieux mensuel ? Le grand " surveillant " du Monde Diplomatique sait fort bien qu’il n’existe pas. Alors pourquoi cette perfidie ? Parce que Le Monde Diplomatique, étant, selon Jean-Marie Colombani, incapable d’assurer lui-même son indépendance, aurait besoin de la " garantie des personnels du Monde ". En vérité, c’est l’indépendance du Monde Diplomatique à l’égard de l’orientation prise par Le Monde depuis qu’il en a pris la direction que Jean-Marie Colombani tente de menacer.
A ses yeux, en effet, les journalistes du Monde Diplomatique sont de grands enfants - qu’il s’arroge le droit de sermonner solennellement : " (…) il est un dogme " beuveméryen " que Le Monde Diplomatique doit garder à l’esprit, à l’heure où certains de ses membres s’impliquent dans des activités militantes : il s’agit du nécessaire refus, par les journalistes, de tout engagement partisan. C’est la première garantie d’indépendance que nous devons à nos lecteurs ".
Ainsi, journalistes et " Amis du Monde Diplomatique ", premiers garants de l’indépendance de leur mensuel, sont invités à se méfier des " activités militantes " de certains d’entre eux : sans doute faut-il leur préférer les activités mondistes ou mondaines…
Quant au refus de l’engagement partisan - dans un parti, pour un parti, pour un parti-pris ? On ne sait, mais qu’importe ! -, il permet au directeur du Monde de faire passer tout désaccord politique pour un engagement pernicieux. Les seuls engagements légitimes sont sans doute ceux que se réserve Jean-Marie Colombani lui-même : jadis mobilisé aux côtés de Balladur (contre Chirac), récemment impliqué dans la mise en place du " processus de Matignon " sur la Corse, devenu désormais porte-voix d’un " nous tous" qui serait " américain " et champion de " l’économie sociale de marché ", selon l’expression qu’il a lui même inventée (Le Monde du 1er janvier 2002) pour désigner la potion miraculeuse qu’il entend prescrire - en toute indépendance, bien sûr -… au Monde lui-même.
A lire la " tribune " de Jean Marie Colombani, on ne peut que rester confondu devant une telle profession de (mauvaise) foi, s’agissant de la réponse du directeur d’un quotidien qui n’a de cesse de transgresser les principes qu’il prétend imposer aux autres.
Acrimed (Action-Critique-Médias)