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Les intellectuels et la télévision

par Sonia Combe,

Le 21 octobre 1997, Pierre Marcelle, alors chargé de cette chronique dans Libé est invité à un débat d’Acrimed sur « Deux ans de chronique télé à Libération » Sonia Combe a transcrit ici une partie de son propos (publié dans le Bulletin n°3 de l’Association)...

Pour Pierre Marcelle, la seule attitude possible de l’intellectuel vis-à-vis de la TV, c’est de refuser de s’y produire. Il ne s’agit ni d’une échappatoire, ni d’une coquetterie mais de manifester son refus d’un cadre sur lequel il n’a aucun pouvoir.

Dans les conditions actuelles, la personne censée venir parler à la TV ne maîtrise ni les règles de ce cadre, ni le statut de l’émission. Aussi longtemps que l’invité ne sera pas en mesure de demander quel est le " conducteur " de l’émission à laquelle il participe et d’y définir sa place, la seule attitude conséquente est l’abstention. Parce qu’on ne parle pas de littérature à la télé, ni de politique, ni de faits sociaux, on y va pour cautionner une émission supposée parler de littérature, de politique ou de faits de société mais qui, de fait, réduit tout propos, se livre avec les intervenants à des jeux de cirque et leur attribue une fonction.

Prenons l’exemple de la mort de Georges Marchais. La télé l’a réduit à des pitreries, en a fait un clown rendu célèbre par une phrase qu’il n’a jamais prononcée, le " Taisez-vous Elkabbach ", il avait sans doute dit " ne me coupez pas la parole Elkabbach ", peu importe, mais à l’occasion de sa mort, c’est cela qui a été évoqué et non pas le fait que Marchais a pris la direction d’un Parti qui faisait 20% des voix pour le laisser à 10%. Ce qui veut dire qu’à la mort de Marchais, l’événement pour la télé, c’était " Marchais à la télé " et non ? Marchais homme politique et dirigeant du PCF ? Pour la télé, il restait de Marchais la bête de télé qu’elle avait fabriquée. Lorsqu’on est invité à la télé, ce n’est pas pour énoncer ce que l’on a à dire, c’est pour y tenir un rôle.

Un auteur comme Modiano est invité car il joue désormais le rôle du timide. A supposer qu’il cesserait de bafouiller (et d’avoir une gueule télégénique), il ne serait plus invité. Même les meilleures émissions n’échappent pas aux diktats de la télé : lorsque " Qu’est-ce-qu’elle dit Zazie " veut savoir ce que " les gens " lisent, on interroge comme par hasard des gens qui sont plutôt beaux, qui savent parler et qui lisent " Madame Bovary " sur les bancs du Luxembourg ...

Mais aussi : d’entrée de jeu, l’invité est enfermé dans une durée qu’il ne maîtrise pas. C’est le début de l’humiliation, après le temps d’attente où il poireaute dans les couloirs, se fait barbouiller etc. ...Puis on lui fait jouer un rôle qu’il ignore . On ne peut pas aujourd’hui décider d’entrer sur un plateau en restant ce que l’on est en dehors du plateau. On est obligé de passer sous les fourches caudines de la télé. C’est cela qui devrait être inacceptable pour l’intellectuel. Il peut avoir l’illusion qu’il va renverser la situation mais la télé est toujours plus forte que lui.

Ne serait-ce parce qu’elle l’enferme dans son temps. On s’entend dire qu’il faut vivre avec son temps, d’accord, je veux bien vivre avec mon temps mais pas avec celui de la télé. La télé, c’est bien pour le sport, c’est mieux de regarder un match chez soi que d’aller dans un stade. Et puis, comme elle ne sait que produire du compassionnel et de l’émotion qui n’explique rien, c’est bon aussi pour les téléthon et sidathon. Sinon, c’est un outil pervers. Bien sûr, on pourrait inventer des espaces où il se dirait quelque chose d’intelligent à la télé ... Mais pour l’instant, c’est un leurre, on n’est jamais plus malin que la télé. Alors il faut radicaliser sa position refuser d’y aller, refuser de subir l’humiliation.

 
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