A en croire Ouest-France, le maintien du pluralisme passerait par une hégémonie renforcée. Malgré ce boniment peu convaincant, les opérations de constitution du monopole d’Ouest-France sur son territoire reçoivent à l’avance la bénédiction des élus socialistes.
On ne peut pas rêver plus belle opération de promo. Le maire de Nantes déclare dans Ouest-France [2] qu’Ouest-Franceest le meilleur repreneur pour les journaux du pôle ouest de la Socpresse. Rien que le titre choisi a dû faire rougir de contentement les dirigeants d’Ouest-France. C’était le 24 septembre au lendemain d’une conférence de presse du maire de Nantes : le surtitre annonce que « Jean-Marc Ayrault défend l’avenir de Presse-Océan » avant cette citation en gras en guise de titre : « Ouest-France, la meilleure garantie ».
En quelques jours, Ouest-France s’est ainsi retrouvé plébiscité par les politiques du secteur. Les présidents du Conseil général et de la Région, tous socialistes, embrayant le pas du maire de Nantes, qui est aussi à la tête de la communauté urbaine et du groupe socialiste à l’Assemblée nationale.
L’appui socialiste à la concentration des médias
Ce concert de louanges pour le repreneur du pôle ouest de la Socpresse commence par un éloge de la concentration dans la presse. Le maintien des emplois et des titres est un élément à prendre en compte, mais le maire de Nantes n’oublie pas de relever un bel avantage de l’opération pour Ouest-France, celui de se renforcer par cette annexion : « La compétition entre groupes de presse conduit à une concentration. Le groupe Ouest-France n’est pas à l’abri de cette compétition », a déclaré Jean-Marc Ayrault, sans émettre a moindre critique, même formelle, sur ces phénomènes capitalistiques et industriels de concentration dans la presse. Le dogme libéral a ainsi un défenseur tacite. M. Ayrault s’inquiète seulement des risques de l’alternative du recours à Ouest-France, le rachat par des fonds de pensions, « beaucoup plus risqué pour l’emploi, la pérennité des entreprises, et le pluralisme ».
Le pluralisme atténué de l’ogre contre son gré
Il faut un certain sens de l’acrobatie intellectuelle pour que les politiques fassent leur l’argument du président-directeur général d’Ouest-France. François-Régis Hutin avance depuis des mois que le rachat de trois titres dans la zone où son groupe devient hégémonique est motivé par la défense du pluralisme. Un grand mot qu’il a su tempérer par le passé. En 1999, lors d’une première tentative de rachat infructueuse, le P.-D. G. François-Régis Hutin avait inventé le terme de « pluralisme atténué » pour qualifier le résultat du contrôle de ces mêmes titres de l’Ouest de l’ancien groupe Hersant. Il semble difficile de penser sérieusement que l’hégémonie fasse d’emblée bon ménage avec le pluralisme, ou qu’une position dominante puisse s’auto-réguler. Majoritaire à la rédaction d’Ouest-France, le Syndicat national des journalistes avait alors déclaré : « Malgré des propos qui se veulent rassurants de la part de la direction d’Ouest-France, le pluralisme ne peut que sortir affaibli d’un tel dispositif. La présence sur douze départements, le rachat il y a quelques années de La Presse de la Manche, un nombre croissant d’hebdos entrant dans la nébuleuse Ouest-France font qu’à l’Ouest d’une ligne La Havre-Le Mans-La Roche-sur-Yon, la très grande majorité des titres relèveraient d’un seul et même groupe ». Depuis, l’arrivée du gratuit 20 minutes à Nantes (détenu à 50% par Ouest-France) et la présence de la télévision "Nantes 7" dans le périmètre du rachat accentuent la présence incontournable du groupe rennais de François-Régis Hutin. « Nous devons nous défendre... Dans cette affaire, nous sommes des victimes de la faiblesse des autres. Elle nous conduit à une concentration que nous ne voulions pas... », déclare sans tousser François-Régis Hutin [3].
Aujourd’hui, les élus reprennent cette idée assez peu convaincante qui voudrait que le pluralisme se trouve maintenu, voire conforté, par une position de monopole sur le territoire de diffusion d’Ouest-France. « Je serais vigilant à ce que l’autonomie de la rédaction de Presse-Océan soit respectée » affirme Jean-Marc Ayrault. Cette déclaration de principe a toute chance de ne pouvoir jamais exercer le moindre pouvoir d’ingérence sur les relations exercées à l’interne et à terme entre la rédaction du journal racheté et ses nouveaux maîtres. « Ouest-France pensait que je serais hostile au rachat, au nom du pluralisme. Ce n’est pas le cas. Je ne le dis pas par complaisance mais d’un point de vue rationnel », ajoute M. Ayrault lors de cette même conférence de presse. L’unanimisme sans faille des politiques nantais s’est fait par salves. Après Jean-Marc Ayrault s’exprimant le 23 septembre, Jacques Auxiette, président de la Région Pays de la Loire explique le 4 octobre qu’ « Ouest-France est la seule qui offre les garanties » souhaitables sur le plan du pluralisme et sur le plan social. « Certes les journaux seront dans les mains d’un même groupe, mais celui-ci a fait les preuves de son professionnalisme et de son exigence éthique qui le qualifient plus qu’aucun groupe industriel ou financier ». Patrick Mareschal, président du Conseil général de Loire-Atlantique écrit le 6 octobre au ministre des finances pour défendre la solution Ouest-France « seule option sérieuse de rachat, basée sur un savoir-faire incontesté (...) seule proposition de rachat exempte de risques ». Avec de tels propos, il serait anormal, et pas très fair-play, que les diverses colonnes du groupe Ouest-France élargi laissent un jour filtrer de sévères critiques envers ces élus qui ont applaudi à l’avance la concentration des médias dans leurs terres d’élection. Jean-Marc Ayrault a souligné qu’il intervenait dans ce cas de la même manière que pour soutenir une implantation industrielle. Reste que par son impact indéniable sur l’opinion, un journal, un groupe de presse, ne sont en rien comparables à un fabricant de semi-conducteurs ou de matériel informatique.
NLC