« L’Alsace rivalise avec José Bové », tel est le titre prometteur ou racoleur de ce papier signé Nathalie Chifflet : une Région mise en « rivalité » avec un simple citoyen, fut-il médiatiquement connu, a de quoi laisser perplexe... Accès de modestie de la part d’élu régionaux rarement coutumiers du fait, admiration spectaculaire pour les revendications portées par José Bové, ou au contraire une manière de faire passer ce dernier pour un usurpateur ? Devinez ...
« Le Conseil Régional, réuni hier en commission permanente, a mis en avant sa réactivité aux problèmes de l’actualité : sécheresse, crise économique en général et agricole en particulier. » On a peur de comprendre : la principale, si ce n’est la seule, qualité de José Bové serait sa « réactivité aux problèmes de l’actualité ». Le pauvre ! Faut-il d’ores et déjà conseiller aux élus régionaux ainsi qu’à Nathalie Chifflet une lecture assidue des livres, entretiens et déclarations du porte-parole de la Confédération paysanne ? Probablement, oui...
Mais venons-en à l’information qui devrait justifier le titre de l’article :
« José Bové n’a qu’à bien se tenir, a dit en substance Adrien Zeller (UDF, Président du Conseil régional d’Alsace) hier à l’issue de la réunion de rentrée de la commission permanente du conseil régional. Le leader de la Confédération paysanne n’a pas le monopole de la défense de l’agriculture régionale, a laissé entendre le président alsacien qui a annoncé une série de mesures en faveur de l’agriculture. ».
Qui parle exactement dans ce compte-rendu. Adrien Zeller ou la journaliste qui prétend rapporter ses propos ? On ne sait puisqu’ Adrien Zeller « a dit en substance » et « a laissé entendre ». Ces ambiguïtés ne peuvent avoir qu’une seule explication : Nathalie Chifflet a entendu dans la déclaration présidentielle ce qu’elle désirait ardemment y trouver.
En tous cas, José Bové « n’a qu’à bien se tenir » : Alsaciennes, Alsaciens, sachez que vos élus veillent sur vous, ils veulent votre bonheur, sont compétents, et ce n’est pas un oiseau de malheur comme ce « leader de la Confédération paysanne » qui doit vous en faire douter.
Au passage d’ailleurs : on retrouve à nouveau cette paresse intellectuelle qui veut que chacun à qui on donne l’occasion de parler au nom d’une organisation en soit un « leader », c’est-à-dire un dirigeant. José Bové est un porte-parole de la Confédération paysanne, pas moins certes, mais pas plus non plus.
Dans un même souffle, on nous explique que la Confédération paysanne, par la voix de son « leader » José Bové, « n’a pas le monopole de la défense de l’agriculture régionale ». C’est d’une telle énormité qu’on hésite sur la manière d’aborder de tels propos. Mais allons-y.
Qui a entendu José Bové revendiquer « le monopole de la défense de l’agriculture régionale » ? Tout au plus essaye-t-il de convaincre l’opinion publique qu’une autre agriculture que celle, productiviste et soutenue entre autres par la FNSEA [1], est non seulement possible mais souhaitable.
Et de plus, José Bové tente, justement, de faire en sorte de sortir des schémas étriqués habituels, et de mettre en évidence des interdépendances à grande échelle ; lui coller sur le dos la défense d’une agriculture « régionale » est pour le moins abusif. En effet, ne nous y trompons pas : quand les élus régionaux parlent d’ « agriculture régionale », ils pensent aux agriculteurs de la région ; ils ne parlent probablement pas d’une agriculture respectueuse des spécificités (géologiques, climatiques, etc.) de la région. Nuance.
Après une entrée en matière si alléchante, entrons dans le détail de la « série de mesures en faveur de l’agriculture. » :
« Le conseil régional a ainsi décidé hier d’une aide exceptionnelle à l’agriculture alsacienne victime de la sécheresse. La décision de principe a été prise, mais le montant ne sera connu qu’en novembre. (...) « Nous ne pouvons nous substituer ni à la PAC ni à la solidarité nationale, mais nous voulons être là » a déclaré M. Zeller. »
Autrement dit : du pur effet d’annonce, complaisamment relayé par notre journaliste docile. La suite rapporte complaisamment quelques mesures
« Par ailleurs, différentes subventions ont été adoptées, qui iront au développement des productions végétales (325000 €), comme le houblon et le tabac, à la promotion des produits régionaux certifiés par Alsace qualité (192300 €), à un programme de développement de l’agriculture biologique (50000 €)... « Pas besoin d’aller à Cancon » a commenté le président alsacien ».
A quoi peut bien rimer ce « Pas besoin d’aller à Cancon » ? Notre journaliste, séduite par la formule, ne tente même pas de l’expliquer.
Suit un paragraphe à propos du « développement économique » régional ; on nous y vante le « volontarisme » de l’exécutif régional pour « soutenir la création d’emploi », sous forme de subventions (en tout 800000 €) accordées à « 43 entreprises de l’agro-alimentaire, du secteur bois, de l’artisanat, du BTP, de l’industrie ». Rien, bien sûr, sur les critères retenus pour le choix des heureux élus, ni sur leur identité . Remarquons que le Conseil régional est soucieux de ne pas insulter l’avenir : les secteurs concernés sont nombreux...
« La mutation économique est vive et douloureuse ; mais les choses bougent. Il y a des initiatives. Ce n’est pas désespérant. »
Qui est l’auteur de propos aussi convenus qu’affligeants, à peine dignes de collégiens ânnonant un « cours d’initiation à l’économie » mal assimilé ? Nathalie Chifflet, qui les cite, ne le précise pas ; tout porte à croire qu’il s’agit d’Adrien Zeller. Laisse-t-elle planer le doute par charité envers l’édile ?
Décidément en verve, le même Zeller conclut par des considérations sur les effets de la canicule chez les personnes âgées ; il « a plaidé pour « une combinaison des solidarités ; familiales, associative, locale, avec l’effort de l’Etat ». Il faut à ses yeux « faire fonctionner autrement le système et prendre des décisions véritables ». » Et Nathalie Chifflet d’annoncer avec gourmandise les propositions « en matière de régionalisation de la santé » qu’Adrien Zeller s’apprête à faire en compagnie d’un sénateur UMP du Haut-Rhin, Jean-Louis Lorrain.
Devant un tel déferlement de langue de bois et de platitudes ahurissantes, un journaliste se devrait de ne pas se contenter de jouer le porte-voix d’un élu qui n’a rien d’intéressant à dire, mais qui tient à le faire savoir. Est-il pensable d’imaginer que Nathalie Chifflet n’ait rien remarqué ?
En tous cas, elle peut postuler au service de presse du Conseil régional ; elle a fait ses preuves.
Au fait, qu’est devenu José Bové dans tout ça ?