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Le Portail "Orange" sonde la légendaire paresse des enseignants

par Grégory Salle,

Nous avons déjà signalé la propagande sourde distillée par des portails Internet apparemment inoffensifs (abstraction faite du déversement publicitaire qu’ils génèrent…) à travers le cas des grèves [1]. Cette fois, le portail Orange lance un vrai débat de société : « Les enseignants sont-ils plus absents que les autres ? » Une question on ne peut plus « neutre », motivée par une « étude confidentielle évoquée par RTL ». Autrement dit, l’alliance de la fiabilité et de la rigueur.

Le portail Orange est un amalgame indistinct de services, d’« informations » et de publicités. Un bandeau sur la sécurité routière en France côtoie celui d’un site destiné à retrouver ses anciens camarades de classe ; une réclame qui promet la bonne méthode de régime est voisine d’une distribution de sondages du conglomérat BVA-Orange-L’Express-France Inter. Plus bas, un bandeau déroule des brèves hétérogènes (en l’occurrence, un crash aérien, un incendie d’appartement mortel, la chute des permis de construire, l’état de la dette publique, la hausse du chômage au Japon…), le tout complété par les « commentaires » des internautes. La liste n’est pas exhaustive.

Un sondage pour commencer…

Merveille de démocratie d’opinion à la sauvette, au milieu de ce fatras trône la « question du jour ».

« Les enseignants sont-ils plus absents que les autres ? » Quels « autres » au juste ? Les autres travailleurs ? Les autres fonctionnaires ? Les autres fainéants ? La question ne le précise pas. Quoiqu’il en soit, trois choix s’offrent au répondant sollicité. En premier, à gauche : « Oui, c’est scandaleux. » Sur la même ligne, à droite : « Non, absolument pas. » En dessous, à gauche, « Ça s’explique ! » De quoi faire rougir le moins scrupuleux des sondeurs.

Un modèle d’équilibre, donc, qui oppose à un seul « non » catégorique, deux « oui » – un méchant et un gentil. Le « absolument pas », qui récuse l’affirmation en « débat », peut difficilement contrebalancer le « c’est scandaleux », qui en propose un commentaire. Et il est impossible de choisir un « non » nuancé, du type « pas vraiment, mais il est scandaleux d’essayer de le faire croire avec ce type de sondages », de même qu’il est impossible d’être « sans opinion ». Mieux, la question posée passe à la trappe le fait que l’étude mobilisée ne concerne que les enseignants du primaire. Pourquoi s’embarrasser de précisions quand on veut faire simple ?

… Et un peu d’analyse pour aller plus loin

Le sondage n’est pas seul ; il est adossé à l’article suivant :

Les enseignants du primaire prennent deux fois plus de congés maladie que les salariés du privé : c’est ce qu’a révélé lundi une étude « confidentielle » évoquée par RTL.
Selon ce rapport, 45 % des professeurs des écoles ont posé au moins un congé maladie pendant l’année scolaire 2007-2008, alors que « 22 % des actifs en entreprise ont déposé un arrêt de travail l’an dernier ».
« Le pic d’absence est constaté à la fin du premier trimestre, avant et après les vacances de Noël, avec les grippes et les gastro-entérites saisonnières, et une remontée au mois de mai », explique le site de RTL.
Le débat est relancé : pour Patrick Gonthier, secrétaire général de l’Unsa Education, « les pressions sur les professeurs sont de plus en plus importantes » et cela explique aussi une partie des arrêts maladie.

Un métier de contact
Pour Dominique, principal d’un collège, également interviewé par RTL, « il y a à la base un manque de formation ». Il dit regretter l’époque où les enseignants avaient « des cours de morale professionnelle ».
Le nouveau ministre de l’Education nationale, Luc Chatel, également porte-parole du gouvernement, a immédiatement répondu qu’il ne fallait pas « stigmatiser une profession ».
« On a plus de chances d’être malade quand on travaille en contact du public que lorsqu’on est seul dans son bureau », a-t-il expliqué, ajoutant que le problème était surtout « d’optimiser le niveau des remplacements ».
« Sur 10 jours d’absence d’un enseignant du premier degré, seuls 6 seraient réellement remplacés », indique LeParisien.fr.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Croyez-vous aux résultats de cette étude « confidentielle » ? Les enseignants en général sont-ils selon vous trop absents ? Ou ont-il de bonnes raisons de l’être ?
Aurélie Blondel (Bazikpress)

Puisqu’on trouve un peu de tout et de rien dans ce commentaire, résumons-nous. Une « étude confidentielle », qui ne permet de connaître ni le mode de production des chiffres (donc d’en apprécier la validité), ni le commanditaire de l’étude en question ; le fait qu’elle soit du pain bénit pour le gouvernement est sans doute une coïncidence… Ensuite, pêle-mêle : une comparaison avec les « actifs en entreprise » qui érige du même coup la firme privée en norme. Une considération médicale qui suggère implicitement, en citant Noël et le mois de mai, des arrêts maladie de complaisance destinés à faciliter l’organisation des vacances. Un « débat relancé » : certes, grâce à cette « étude confidentielle » et providentielle, amplifiée par un sondage et un article qui, sous couvert de constater la résurgence d’un « débat », s’emploient à le légitimer, sinon à le créer de toutes pièces. Un seul syndicat convoqué, notoirement modéré, et dont l’explication avalise tacitement la question posée. Des enseignants qui n’ont pas été « formés à la morale professionnelle » (en seraient-ils à ce point dépourvus ?). Un nouveau ministre campé dans la position confortable de défenseur du corps enseignant ; difficile d’être intronisé de manière plus bienveillante, surtout quand les dizaines de milliers de postes supprimés dans l’éducation en quelques années ne sont tout bonnement pas mentionnés. Et une dernière question en forme d’alternative, dont les deux termes accréditent l’idée que, bonnes raisons ou pas, les enseignants sont plus absents que ces « autres » mystérieux.

Un onglet permet d’approfondir, si l’on peut dire, le sujet. Il permet de « consulter les arguments ». Là encore, la couleur est annoncée d’entrée de jeu. Premier intertitre : « Les parents dénoncent souvent l’absentéisme des enseignants. » Voilà un débat posé sur de bons rails ! Le texte commence ainsi : « Les absences des professeurs, très visibles, sont vivement dénoncées par les familles. Les chiffres révélés lundi relancent le débat. » Plus bas, diverses prises de position, comme celle d’Olivier, qui déplore un « problème de management » et réclame que le directeur d’établissement soit « véritablement le patron des enseignants ». Le deuxième intertitre, « Pourquoi les profs ont plus de raisons de s’absenter », homologue les chiffres sans sourciller.

Il faut attendre la fin du texte pour quelques nuances et contradictions. Mais là encore, c’est plutôt flou. On lit ainsi la nécessité de ne pas généraliser (« Des chiffres à considérer avec précaution »), mais on ne peut pas dire que le portail Orange ait été très pointilleux en la matière, ni qu’il ait mis en relief cette nécessité. On lit aussi que, selon le représentant de l’Unsa, cette étude « contredit d’autres études du ministère ». On ne saura pas lesquelles… mais on apprend par la bande que la pseudo-étude « confidentielle » (et qui, désormais, ne l’est plus tant que ça) pourrait ainsi provenir du ministère [2].

Les résultats du sondage, bien qu’approximatifs tant le graphique est grossier, ne sont alors guère étonnants. Le 30 juin au soir, le « Oui, c’est scandaleux » est largement en tête, avec environ 55 %, le « Non, absolument pas » est nettement derrière, avec environ 25 %, talonné par le « Ça s’explique », avec environ 20 %.

Le lendemain de la « fuite », après avoir fait quelque bruit, l’étude commanditée par le ministère a les honneurs du journal de 20 heures de France 2. Mais, comme l’a relevé « Arrêt sur images », le reportage rend compte de la fragilité des chiffres qui émeuvent tant les commentateurs empressés et David Pujadas [3].

On attend avec impatience un sondage relançant le débat : « Tous les étrangers sont-ils des voleurs ? »

Grégory Salle
- Merci à Alain pour le signalement.

 
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Notes

[2Selon un article du site LePoint.fr, « L’absentéisme des instits : l’auteur du rapport », ces chiffres « proviennent d’un audit commandé il y a un an par l’équipe de Xavier Darcos à un cabinet de consultants privé, Roland Berger ».

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