Wikipédia est un terrain de luttes, parfois incomplet, parfois inexact, en perpétuelle réécriture. C’est aussi un espace qui fait apparaître la critique des médias – ce qui s’apparente vite, pour les médias dominants, à un crime de lèse-majesté. Trop, c’est trop : Le Point a décidé de passer à l’action.
Le 17 février, des centaines de « bénévoles contribuant à Wikipédia » publient une lettre ouverte dans laquelle ils dénoncent des « courriels d’intimidation par un journaliste du magazine Le Point ». Le lendemain (18/02), Le Point réplique et consacre un papier à Wikipédia, cette « machine à calomnier ». Le journaliste s’y indigne en passant que « Mediapart, Arrêt sur images, Acrimed, Le Monde Diplomatique, Reporterre, ou Politis [soient] des sources abondamment citées pour "crédibiliser" la fiche Wikipédia du Point. »
Mais ce n’était là qu’un début. Le 19 février, le directeur du Point Étienne Gernelle publie un édito (« Dérives de Wikipédia : déliquescence journalistique à France Culture »). Et le 20, Le Point enchaîne avec une tribune (« Halte aux campagnes de désinformation et de dénigrement menées sur Wikipédia »). Hermétique à toute critique, l’éditocratie se mobilise. Parmi les signataires : Sophia Aram, Thierry Ardisson, Olivier Babeau, Élisabeth Badinter, Tristane Banon, Eugénie Bastié, Nicolas Bouzou, Alexis Brézet, Pascal Bruckner, Éric Chol, Ruth Elkrief, Raphaël Enthoven, Marc-Olivier Fogiel, Caroline Fourest, Marcel Gauchet, Xavier Gorce, Nathalie Heinich, Bernard-Henri Lévy, Rachel Khan, Gaspard Koenig, Luc Le Vaillant, Alain Minc, Benjamin Morel, Éric Neuhoff, Pascal Perrineau, Denis Olivennes, Natacha Polony, Jean Quatremer, Dominique Reynié, Abnousse Shalmani, Pierre-Henri Tavoillot, Vincent Trémolet de Villers, Philippe Val…
Des omniprésents médiatiques qui, au vu de leurs exploits successifs, auraient tout intérêt à une certaine amnésie – c’est que leurs faits d’armes sont rarement glorieux. Les archives d’Acrimed, et celles de Wikipédia, en témoignent.
Revenons à notre tribune. Après avoir exprimé leur « profonde inquiétude face aux campagnes de dénigrement systématiques et sans contradicteurs orchestrées par des contributeurs militants anonymes sur Wikipédia », les signataires s’inquiètent que « de nombreuses entreprises, personnalités publiques et organisations [fassent] l’objet de traitements infamants sur cette plateforme. » Avant de poursuivre :
Propos décontextualisés, lecture partisane des faits, volonté d’entacher les réputations… La démultiplication de ces cas constitue une menace sérieuse pour l’intégrité de l’information, la qualité du débat public et de la démocratie.
Défense de rire. Heureusement que les grands médias en général, et Le Point en particulier, sont immunisés contre les « propos décontextualisés », la « lecture partisane des faits » et la « volonté d’entacher les réputations ». La paille, la poutre…
Comme si cela ne suffisait pas, Le Point remet le couvert le 21, avec le témoignage de Pierre-Henri Tavoillot (« "Wikipédia est vulnérable au militantisme exacerbé" »), qui « raconte les difficultés qu’il a rencontrées pour apporter des modifications à sa page Wikipédia ». Ce n’est d’ailleurs ni le premier ni le dernier : les figures médiatiques ont une propension certaine à tenter de (faire) modifier à leur avantage la page qui leur est consacrée, comme Eugénie Bastié en 2023 (nous rappelant au passage le cas Philippe Corcuff, épinglé par Le Plan B en 2007).
L’obsession du Point non plus n’est pas nouvelle : un mois plus tôt, l’hebdomadaire publiait déjà une enquête : « Nous avons infiltré une formation d’Urgence Palestine pour influencer Wikipédia » (17/01)… Qui succédait déjà à un autre article, encore un mois avant : « Wikipédia, plongée dans la fabrique d’une manipulation » (13/12/2024).
Une véritable campagne en somme, avec pour objectif de cadenasser davantage encore le débat public.
Maxime Friot