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Six mois après les élections

La télé avait un peu oublié l’insécurité

par Hervé Liffran ("Le Canard enchaîné", 9 octobre 2002)

Réveil brutal avec les drames du dernier week-end. Pourtant, depuis plusieurs mois, le plus grand journal de France, le 20 heures de TF1, montrait beaucoup moins d’images d’agressions et d’incendies criminels qu’avant les élections.

Avant le premier tour de la présidentielle, les téléspectateurs avaient subi une avalanche de reportages sur les agressions, les voitures brûlées et les incivilités. Aujourd’hui, si les véhicules continuent de flamber, si les violences n’ont pas disparu, les télés se montrent, sauf durant le dernier week-end, plus réservées sur ces sujets. Et particulièrement TF1, qui préfère mettre l’accent sur l’activisme de Sarkozy et sur le travail des policiers ou des gendarmes. Pour en avoir le coeur net, il suffit de consulter les pages Internet de Télé Bouygues. Lesquelles fournissent la quasi-intégralité du sommaire des journaux de la Une depuis le 1er décembre 1999. Audimat oblige, France 2 et France 3 n’ont pas manqué d’ardeur non plus dans la description imagée de l’insécurité. Mais leur site web ne permet pas de consulter les archives du journal télévisé au-delà de quelques jours. Reste TF1, dont le 20 heures est le plus regardé de France, avec au taux d’audience avoisinant les 40%.

Angoisse à la une

Janvier 2002. PPDA (en semaine) et Claire Chazal (le week-end) ne présentent pas moins de 90 sujets sur l’insécurité. Sans compter ceux consacrés au terrorisme, à la pédophilie ou à la violence urbaine dans les pays voisins. Parmi ces 90 reportages, seule une poignée est axée sur la prévention de la délinquance. En revanche, TF1 se montre fort bavard sur les incendies de voiture (thème développé 7 fois), la violence dans les écoles (7 fois aussi) ou sur la montée de la criminalité.

Février. TF1 connaît une petite baisse de forme avec seulement 37 séquences consacrées à l’insécurité. Mais c’est la délinquance dans les transports publics qui tient la vedette (5 fois en un mois).

Mars. C’est reparti, avec 53 reportages "insécurité" dont, il est vrai, une bonne vingtaine consacrée au drame de la tuerie de Nanterre. Pour le reste, TF1 continue dans sa veine habituelle avec les attaques de commissariats (4), les vols dans les centres commerciaux (3) et une dizaine de séquences sur la violence des mineurs.

Avril. Jusqu’au premier tour de la présidentielle, 32 reportages sur l’insécurité. La veille et l’avant-veille du scrutin, la chaîne Bouygues s’attarde longuement (tout comme France 2 et France 3) sur le visage tuméfié d’un retraité d’Orléans que des jeunes ont tabassé avant de mettre le feu à son pavillon.
Mais au lendemain du 21 avril, l’insécurité disparaît presque des écrans (7 séquences seulement jusqu’au 12 mai). Plus ou moins conscients d’en avoir trop faits, les confrères cognent désormais sur l’épouvantail Le Pen.

Incendies fort négligés

Mai. TF1 ne se réveille qu’après le deuxième tour de la présidentielle. Du 13 au 31 mai, on dénombre 29 sujets en 19 jours. Cette fois, priorité est donnée à Sarkozy, à ses groupements d’intervention régionaux et aux flash-balls (10 sujets). Les violences quotidiennes ne sont plus évoquées que 13 fois.

Juin. La proximité des législatives excite la verve sécuritaire de TF1. 43 reportages sur la délinquance. La plupart sont diffusés avant le second tour du 16 juin. Le choix des sujets n’est pas anodin : avant le scrutin, l’accent est mis sur les agressions ou les dysfonctionnements de la justice. Puis, une fois les élections terminées, TF1 se préoccupe surtout d’encenser l’action du gouvernement.

Juillet. TF1 semble retrouver ses anciens penchants avec près de 70 séquences portant sur l’insécurité. Mais seulement un tiers des reportages sont consacrés aux mauvaises nouvelles de la délinquance. Le récit de l’incendie d’une centaine de voitures en région parisienne, à l’occasion du 14 juillet, est expédié en moins de vingt secondes, sans le moindre reportage. Et pas un mot sur la dizaine de véhicules brûlés le 21 juillet à Poissy (Yvelines). Même silence sur le motard de la police blessé le 26 juillet lors d’une course poursuite à Chartres. Il suffisait pourtant aux limiers de Télé-Bouygues de consulter les dépêches de l’AFP pour en être informés. A l’inverse, TF1 ne ménage pas sa peine pour mettre en valeur l’action gouvernementale. Avec moult images consacrées aux descentes de police dans les cités, aux premiers exploits des GIR ou à ceux des gendarmes.

Août. Le nombre de séquences "insécurité" dégringole, avec une petite trentaine de sujets. Dont une dizaine portant sur les meurtres de jeunes filles dans la Somme et une autre dizaine sur la petite et la grande délinquance. Sarkozy n’est pourtant pas mal traité : à regarder la Une, "la police de l’Essonne augmente ses patrouilles", le Vercors voit opérer des "gendarmes à cheval", "deux filières de voitures volées sont démantelées à Marseille", etc.

Septembre. Malgré la rentrée, TF1 continue à lever le pied, avec 29 sujets, dont seulement une dizaine relatent des agressions. Toujours aucune mention de violences urbaines. Pourtant, l’AFP et la presse locale signalent ce mois-là deux véhicules de police brûlés dans les Alpes Maritimes, une dizaine de voitures particulières en flammes à Dijon, quatre autres dans la région niçoise, etc. Le 20 heures néglige aussi cette incroyable scène, à Nanterre, au cours de laquelle un forcené a blessé des passants à coups de couteau dans une cité HLM. En revanche, la Une évoque longuement "la reconstruction d’un commissariat à Saint-Maur, la création d’un "logiciel pour repérer les délinquants" ou le "démantèlement d’un réseau d’escrocs". Question zèle, le journal de 13 heures, présenté le plus souvent par l’ineffable Jean-Pierre Pernaut, fait encore mieux. Ainsi en janvier, sur 32 reportages consacrés à l’insécurité, 29 relataient des agressions ou leurs conséquences. En septembre, toujours au 13heures, on ne comptait plus que 14 sujets, dont trois seulement évoquaient de nouvelles violences. La quasi-totalité des autres séquences était consacrée aux exploits de Sarko et de ses hommes.

Il ne reste plus à Raffarin qu’à nommer Bouygues porte-parole en chef du gouvernement. Et de Sarkozy.

Hervé Liffran

Dans le même numéro du Canard, cette brève :

Arrêt sur image, l’émission de France 5 consacrée aux médias, a fourni une intéressante statistique le 7 octobre, relative aux journaux de TF1, France 2 et France 3. Ces trois chaînes ont traité 158 fois d’insécurité en septembre 2001, contre 66 fois seulement en septembre 2002. Comme si la délinquance avait chuté de près de 60% en un an.

 
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