Accueil > Critiques > (...) > Journalisme et politique

EN BREF

La presse est unanime : Christiane Taubira ne démissionnera pas

par Julien Salingue,

Christiane Taubira a quitté le gouvernement le mercredi 27 janvier. L’information a fait la « une » des radios, des chaînes d’information en continu, ainsi que des sites internet. « Analystes » et « experts » ont commenté cet événement, s’efforçant d’énoncer les « raisons » d’une démission. Et ils semblaient, du moins à l’heure où ces lignes sont écrites, unanimes : cette démission est « logique ».

Ah bon ? De toute évidence, certains ont la mémoire courte. Heureusement, ce n’est pas notre cas. Nous nous sommes ainsi souvenus qu’il y a quelques semaines – voire même quelques jours – les mêmes médias donnaient la parole à des « experts » et des « analystes » qui expliquaient doctement pourquoi Christiane Taubira… ne démissionnerait pas.

Impossible de lister ici les innombrables articles qui entreprenaient de démontrer pourquoi la ministre de la Justice resterait au gouvernement. Suivent donc quelques morceaux choisis, de RTL au Figaro en passant par Francetv info, Metronews ou encore L’Express :

 RTL : « Un départ de Christiane Taubira n’est pas à l’ordre du jour et un changement de ministère n’est pas non plus en perspective. […] Pour rester sous les ors de la République, elle est prête à tout accepter. François Hollande, de son côté, a du mal à se passer d’elle. Au moment où le chef de l’État multiplie les clins d’œil à la droite, Christiane Taubira continue d’être une figure de gauche » [1].

 Metronews : « Si l’exécutif ne semble pas disposé à se séparer d’elle, Christiane Taubira ne semble pas non plus décidée à partir. […] En restant accrochée à son fauteuil, Christiane Taubira espère pouvoir encore peser sur des arbitrages à venir, dont sa réforme sur la justice des mineurs, qu’elle entend mener avant la fin du quinquennat » [2].

 Francetv info : « Pourquoi François Hollande ne congédie-t-il pas sa ministre de la Justice ? Et pourquoi s’accroche-t-elle à son siège si elle est en désaccord avec le chef de l’Etat ? Francetv info vous résume les raisons qui poussent Christiane Taubira à rester au gouvernement ». Les raisons sont résumées par les intertitres : « Elle incarne la caution de gauche du gouvernement » ; « Elle serait plus "dangereuse" en dehors » ; « Elle veut mener à terme plusieurs réformes » [3].

 RTL, avec l’éditorialiste Alba Ventura : « Pourquoi Christiane Taubira reste-t-elle au gouvernement ? C’est une bonne question. C’est vrai qu’elle en a avalé des couleuvres. C’est vrai aussi qu’elle a souvent montré qu’elle n’était pas d’accord (sur la réforme pénale ou le travail le dimanche). Certains disent qu’elle est la caution de gauche du gouvernement et qu’elle peut être utile pour ressouder la gauche. D’autres estiment qu’elle a sa liberté de parole et qu’elle ne renonce pas à ses idéaux. La ministre, de son côté, avance que dans les textes à venir elle continuera d’incarner la Justice ».

Puis, prophétique (et avec toute l’ironie de la personne bien informée à qui on ne la fait pas) : « Si elle part, c’est fini : elle n’aura rien. Si elle reste, elle aura peut-être le ministère de la Culture dont elle rêve. On ne veut pas penser une seule seconde qu’on en soit là. Non, on ne veut pas penser à ces petits arrangements entre vieux amis, que l’icône de gauche Taubira, indispensable dans un gouvernement qui glisse vers le sécuritaire, aurait obtenu la promesse de devenir bientôt ministre de la Culture. Non ce sont les mauvaises langues qui disent ça. Enfin jusqu’à ce que ça arrive » [4].

Ou pas.

 L’Express.fr : « Alors qu’elle assume ne pas être d’accord avec la déchéance de nationalité pour les binationaux condamnés pour terrorisme, la ministre de la Justice n’est ni remerciée ni démissionnaire. Et ce, pour plusieurs raisons ». Lesquelles ? De nouveau, les intertitres parlent d’eux-mêmes : « Taubira, une icône » ; « Taubira, mieux vaut l’avoir avec soi » ; « Taubira, indisciplinée mais sage » ; « Taubira : La volonté d’agir de l’intérieur » [5].

 Le Figaro.fr, avec une interview lumineuse de Jérôme Sainte-Marie [6] : « La garde des Sceaux ne souhaite pas partir. Cette position illustre parfaitement le décalage qui existe dans le parcours personnel de Christiane Taubira, entre l’image d’une personne atypique dans le monde politique, et la réalité, qui est qu’elle fait de la politique depuis toujours. […] En n’en faisant qu’à sa tête, elle réussit à poser ses conditions. Elle a réussi l’exploit d’être un ministre inédit, qui défend une réforme sans la soutenir personnellement […]. Comme toute la vie politique est centrée sur la prochaine présidentielle, il existe le risque qu’elle se présente ou qu’elle trouble l’unité du Parti socialiste. C’est pour cette raison qu’elle est ménagée par François Hollande qui ne lui demande pas de présenter sa démission, mais la garde comme un marqueur de gauche » [7].

Etc, etc.

Nous n’insisterons pas ici sur l’infinie variété des « arguments » avancés par les journalistes, analystes et « experts » convoqués, et nous nous contenterons de relever le ton péremptoire avec lequel certains assènent leurs certitudes, ainsi que le caractère creux de la plupart des articles qui brodent à partir d’à peu près rien (et pour cause !), tout en adoptant là encore un ton plein d’assurance. Et c’est ainsi qu’un certain journalisme politique semble avoir pour raison d’être de relayer des rumeurs ou des confidences glanées, « de source sûre » évidemment, dans les couloirs et les alcôves des lieux de pouvoir.

Tout ça pour quoi ? Pour pas grand chose, puisque quelques jours plus tard la réalité contredisait ces fictions journalistiques, renvoyant brutalement au néant ces commentaires de bruits de couloir qui tiennent lieu d’analyses politiques. Mais cela n’a pas entamé la capacité à « rebondir » de ces « grands médias » qui, à l’instar du site Francetv info (exemple parmi bien d’autres), « analysent » immédiatement l’événement…

… deux semaines après avoir « analysé » pourquoi l’événement n’aurait pas lieu :

Misère…



Julien Salingue

 
Acrimed est une association qui tient à son indépendance. Nous ne recourons ni à la publicité ni aux subventions. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don ou en adhérant à l’association.

Notes

[1« Christiane Taubira : son départ du gouvernement n’est pas d’actualité », 19 janvier 2016. Voir également, toujours sur RTL.fr, « Pourquoi Christiane Taubira conserve son poste envers et contre tout », 23 décembre 2015.

[5« Pourquoi Hollande tient-il tant à Taubira ? », 8 janvier 2016.

[6Ancien de Louis Harris, BVA, CSA, et qui « dirige actuellement Pollingvox, une société d’études et de conseil spécialisée dans les enjeux d’opinion, fondée en 2013 ».

A la une