Sur la période étudiée, ce sont 103 reportages/duplex/analyses en plateau qui ont été consacrés à l’élection présidentielle de 2022. Sur une durée aussi longue, c’est plutôt faible : un JT comportant en moyenne une dizaine de reportages par soir, le traitement de la présidentielle représente dès lors moins de 5% de la production éditoriale totale sur la période étudiée, même si le nombre de reportages par soir a pu largement varier sur la période d’observation.
Au cours des mois de septembre et d’octobre, à plus de six mois du scrutin, l’élection n’était sans doute pas encore perçue comme un sujet « d’actualité chaude », tandis que les vagues de variants Delta et Omicron du Covid-19 ont au cours de cet automne 2021 pris une place de plus en plus importante dans le JT ; on ajoutera qu’en février, la crise puis la guerre en Ukraine ont donné lieu à un nombre significatif d’éditions spéciales. Et si elle bénéficie d’un suivi sur la durée, là où les autres sujets sont en général ignorés au bout de quelques jours, il n’en demeure pas moins que l’élection présidentielle, comme la vie politique en général, est un des parents pauvres des journaux télévisés.
Dans le cadre de la présidentielle de 2022, en plus des sujets classiques, le 20h a mis en place toute une série de formats « à thème » et dispositifs « exceptionnels ». « Le comparateur du 20h » compare les programmes des candidats sur des sujets tels que la sécurité, la retraite ou encore le temps de travail. Dans la même optique, « Demandez le programme » présente les mesures des candidats sur un thème mais cette fois sans les comparer. Les sujets « Banc d’essai » sont des reportages qui entendent tester la faisabilité de leurs mesures. Le 31 janvier encore, le 20h annonce : « Nous allons tout au long des dix prochaines semaines de campagne nous installer sur une place de marché et tendre l’oreille. Ce sera Roanne où les habitants ont voté comme les Français en 2017 et en 2012. » (Anne-Sophie Lapix) [1]. Ce sont les reportages « Au cœur de la campagne » où, entre les commentaires de journalistes, des citoyens sont invités à se prononcer sur des thèmes de campagne comme le pouvoir d’achat ou les déserts médicaux (2 reportages sur la période étudiée). Enfin, le 20 février, le JT lance « Dans l’isoloir » : « Nous nous sommes posés pour vous écouter dans un centre commercial » explique Laurent Delahousse. Il s’agit, sur notre période d’observation, d’un unique reportage, où des citoyens peuvent exprimer leurs avis dans un isoloir monté par l’équipe de France 2 – nous reviendrons sur certains de ces dispositifs dans l’analyse. [2]
« Petits » et « grands » candidats
Une majorité de ces reportages (94 sur 103) se centrent sur des candidats, partis et mouvements politiques en tant que tels. À ces 94 reportages s’ajoutent 9 sujets, classés dans la catégorie « Autre » du tableau ci-dessous, et qui portent principalement sur des problématiques hors des partis comme le choix du journal Ouest France de ne pas publier de sondages (24/10), la possibilité qu’une femme soit élue présidente (28/11) ou encore la pertinence de parler de la présidentielle au réveillon de Noël (24/12). L’ensemble des reportages se répartissent comme suit :
Un premier constat s’impose : fidèles à la division journalistique du personnel politique entre « petits » et « grands », le 20h de France 2 a invisibilisé de nombreux candidats. Certains n’ont été évoqués qu’entre deux sujets, comme Jean Lassalle lorsqu’il a obtenu ses 500 parrainages (17/02). D’autres ne sont mentionnés qu’à la marge, sans reportages propres. C’est le cas de Nathalie Arthaud (LO) : le 20h se contente d’annoncer sa candidature en plateau (09/10) et ses propositions sont mentionnées à seulement deux reprises dans le « comparateur du 20h » (le 17/02 sur les retraites et le 21/02 sur le temps de travail). C’est aussi le cas de Philippe Poutou (NPA), mentionné à une seule reprise dans le « comparateur du 20h » (21/02) et d’Anasse Kazib (Révolution permanente), auquel le 20h n’accorde qu’une brève évocation : le 04/02, dans un reportage consacré aux difficultés des candidats à trouver des parrainages, aux côtés de Gaspard Koenig (Simple) et Hélène Thouy (Parti animaliste), dont la recherche de parrainages avait déjà été évoquée le 27/10 [3].
Du côté du champ politique dominant, le parti des Républicains apparait comme le parti politique ayant bénéficié de la couverture médiatique la plus importante avec 19 reportages. L’extrême droite (RN et Zemmour) a quant à elle bénéficié de 15 reportages. De l’autre côté du spectre politique, ce sont 23 reportages qui ont été consacrés à la gauche (au sens large : PS, EELV, Primaire populaire et Christiane Taubira, LFI et PCF). Enfin, 9 reportages ont été consacrés au président Macron (qui n’était, au moment des reportages, pas encore candidat) et à ses soutiens – « discrétion » liée à sa déclaration de candidature tardive. Cela ne signifie pas que le président et sa majorité soient marginalisés dans le JT ! Emmanuel Macron y est même omniprésent, mais en tant que président (dont on commente la gestion de la crise sanitaire et de la guerre en Ukraine), non en tant que futur candidat à l’élection présidentielle [4], dont la rédaction analyserait par exemple le bilan – un angle tout bonnement inexistant (voir en annexe 1).
Déséquilibres manifestes
Autre constat majeur de notre travail d’observation : un déséquilibre éditorial, déjà constaté ailleurs dans le champ journalistique, en faveur de la droite et de l’extrême droite. À ce sujet, deux événements/personnalités ont nettement polarisé le traitement médiatique pendant les 4 premiers mois d’observation. D’une part, le processus de primaire au sein du parti Les Républicains [5]. D’autre part, la candidature d’Éric Zemmour : 9 reportages au total, dont un consacré au programme (25/11), auxquels il faut ajouter 4 reportages sur les rivalités avec Marine Le Pen (principalement autour du ralliement de personnalités à Éric Zemmour).
Le cas Éric Zemmour mérite donc qu’on s’y arrête un instant. Jusqu’à mi-octobre, aucun reportage n’est consacré au (pas encore) candidat d’extrême droite. Il n’est pas absent pour autant : au cœur de plusieurs questions lors de l’interview de Marine Le Pen (27/09) ; lorsque Laurent Delahousse mentionne une réaction d’Olivier Véran à son égard (02/10), etc. Mais c’est à partir de la mi-octobre que le 20h commence à réellement consacrer des reportages à l’ancien chroniqueur du Figaro, en en faisant l’une des personnalités dont la candidature (potentielle avant le 30 novembre) est la plus traitée, loin devant les candidatures de gauche (voir l’annexe 2 pour le détail). Souvent dépolitisée, cette candidature est comme ailleurs banalisée, la rédaction adoptant des angles qui passeront largement sous silence le caractère raciste et xénophobe de ce programme d’extrême droite au profit des coulisses (« Vente de livre, appel au don et même produits dérivés : quelles sont les ressources dont dispose aujourd’hui Éric Zemmour ? », 16/10) et d’un suivisme à l’égard de son calendrier : « Son déplacement [à Marseille] se termine comme il a commencé. Alors, le quasi-candidat a-t-il perdu sa dynamique ? » (28/11). Seul un reportage sera consacré à l’une de ses mesures… à la mode « fact-checking » : le 25/11, « L’œil du 20h » se penche sur sa proposition de « récupérer 20 milliards d’euros en retirant une grande partie des aides sociales aux étrangers », un chiffre « qu’aucune institution, aucun organisme social ne confirme ». [6] Enfin, comme ailleurs, les bisbilles à l’extrême droite ont fortement intéressé la rédaction : 4 reportages ont porté sur les transfuges du RN au parti Reconquête, l’incertitude de Marion Maréchal, ou encore sur des comparaisons entre les meetings des deux candidats : au-delà de la forte médiatisation de l’extrême droite, la dépolitisation des enjeux au profit des querelles de personnalités fait l’agenda.
Si les candidats généralement classés « à gauche » dans les médias et dans le champ politique sont manifestement sous-représentés, ils ne sont pas pour autant marginalisés (un quart des sujets). Mais l’intérêt porté aux différents candidats de ce camp est tout à fait inégal – et pas vraiment indexé sur leur poids politique... On notera, d’abord, une quasi-invisibilisation de Jean-Luc Mélenchon (3 sujets), pourtant au plus haut à gauche dans les sondages, indicateur qui constitue traditionnellement la boussole du journalisme politique. Sur les 23 reportages consacrés à la gauche, 40% concernent la « Primaire populaire » (5) et la candidature de Christiane Taubira (4), là où, à titre de comparaison, la primaire EELV n’a bénéficié que de 3 reportages.
Le caractère inédit de cette « Primaire populaire » explique en partie, sans que cela le justifie pour autant, l’intérêt que la rédaction du 20h – comme bien d’autres ! – lui a accordé. Surtout, ce processus de plusieurs semaines a permis aux journalistes de se livrer à l’exercice qu’ils affectionnent le plus : feuilletonner le « récit de la présidentielle » en commentant la tambouille politicienne et les positionnements des uns et des autres dans la course de petits chevaux. Il faut souligner, enfin, combien les mots d’ordre des organisateurs de cette primaire ont parfaitement rencontré le récit dominant des rédactions, dont l’obsession pour « l’union de la gauche » rythme – et depuis des années – une partie importante, voire parfois centrale, des interviews des responsables politiques du centre-gauche à la gauche radicale… aux dépens, éternellement, des enjeux de fond.
On est finalement en droit de s’interroger sur la surmédiatisation dont cette « Primaire populaire » a fait l’objet au regard, d’une part, d’autres processus représentatifs à gauche, et d’autre part, de la marginalisation criante de la France insoumise et du PCF, dont les candidats n’ont certes pas été désignés au terme d’une quelconque « primaire », mais qui n’en disposent pas moins de programmes politiques et qui, comme les autres, font campagne. Un deux poids deux mesures qui illustre la manière dont les médias pèsent – volontairement ou non – sur le champ politique – et biaisent la perception par le public des enjeux et des acteurs d’une campagne présidentielle... Un exemple qui est loin d’être le seul.
Deux poids deux mesures
Bien sûr, les rédactions argueront des spécificités du calendrier politique afin de justifier la disproportion de leur couverture. Pour la droite comme pour le centre-gauche, on observe en effet un pic de reportages au moment des primaires : en dehors du congrès des Républicains, seul un reportage a été consacré à Valérie Pécresse en janvier et deux reportages en février ; sur les 5 reportages consacrés aux Verts, 3 ont été réalisés au moment de la primaire du parti. Il en va de même, comme nous l’avons vu, pour la « Primaire populaire ».
Mais comme nous l’avons déjà entrevu, le suivisme vis-à-vis des calendriers des partis n’explique pas tout – a fortiori en temps de campagne présidentielle, où l’animation politique et la campagne d’un parti ne sauraient être cantonnées aux « primaires » ! Dès lors, on ne peut que confronter les rédactions à leurs propres arbitrages. Par exemple : le 20h a consacré 3 reportages à la primaire EELV contre 6 reportages (soit le double) pour le congrès LR, et ce sur une période équivalente [7] ; le 13 février, jour de meeting pour Valérie Pécresse et Jean-Luc Mélenchon, la première bénéfice d’un reportage à part entière là où le second doit se contenter d’une simple mention entre deux sujets ; la participation de Xavier Bertrand au congrès LR bénéficie d’un direct du siège du parti (11/10), là où l’investiture d’Anne Hidalgo par le PS (15/10) ou l’annonce de la candidature de Nathalie Arthaud (09/10) sont toutes deux renvoyées à une simple évocation entre deux reportages…
Une majorité de reportages traitant de la politique politicienne
Comme dans les journaux des matinales radio ou sur un plateau de chaîne d’info, la maltraitance de l’information se mesure surtout à la part de reportages traitant de ce que l’on peut qualifier de « politique politicienne » : 72 sur 103, soit près des trois quarts… Les rivalités entre Jadot et Hidalgo (08/10), « une possible candidature de Christiane Taubira » (09/12), une potentielle « stratégie anti-Valérie Pécresse à l’Élysée » (12/12) ou encore « l’ombre de Nicolas Sarkozy dans la campagne » (12/02) occupent la majeure partie des reportages.
Le traitement de l’ensemble des événements aboutissant à la désignation de Valérie Pécresse comme candidate des Républicains illustre parfaitement ce traitement de la politique par le biais quasi-exclusif des luttes entre candidats (voir l’annexe 3 pour le détail). Sur les 14 reportages consacrés au processus de désignation de Valérie Pécresse, un seul évoque (de manière superficielle) les programmes, tandis que les 13 autres se contentent de relayer les déplacements et les rivalités des différents candidats. Quelques reportages permettent de saisir les angles choisis par le 20h pour traiter de ces évènements. « L’ombre de Xavier Bertrand plane au-dessus des Républicains, car à sept mois de la présidentielle, les députés LR réunis à Nîmes aujourd’hui se posent tous la même question : qui parmi ces 6 candidats est le meilleur à droite pour les faire sortir de 10 ans d’opposition ? » est par exemple l’angle adopté par le 20h dès… le 9 septembre ! Dès lors, les (en)jeux d’appareils vont obséder le JT, qui en fait son feuilleton sous couvert de suivi de « l’actualité politique » : « Xavier Bertrand a amorcé cette semaine un rapprochement avec son ancien parti » (10/09) ou encore : « C’est un passage obligé de la rentrée : le bureau de Nicolas Sarkozy. Tous les candidats de droite à la présidentielle y défilent et tiennent à le faire savoir. » (22/09) Le 20h consacrera même deux reportages à « la course aux nouvelles adhésions, une stratégie assumée » (20/10 et 16/11), se contentant de paraphraser la stratégie du parti [8]. Ainsi, le 20/10, on nous informe que « Xavier Bertrand et Valérie Pécresse ont envoyé un mail à leurs soutiens ». « Sur le terrain, les bulletins d’adhésion sont au cœur de leur stratégie » souligne ainsi le reportage, donnant ensuite à voir une réunion avec les soutiens de Xavier Bertrand et de Valérie Pécresse… sans les questionner [9].
Le format contre l’information
Les « sujets de fond » ne sont pas non plus exempts de critiques… L’analyse journalistique des enjeux politiques est en effet superficielle. Le format l’explique en grande partie. Prenons l’exemple du reportage du 15 septembre consacré à la primaire des Verts. Anne-Sophie Lapix annonce l’enjeu : « 5 candidats sont en lice […]. Si vous ne les connaissez pas très bien, [nos journalistes] vous présentent leurs profils et leurs nuances de vert. » Un objectif que le JT prétend remplir en 2 minutes et 30 secondes. Fatalement, on ne s’étonnerait pas que les téléspectateurs en tirent des informations caricaturales et rien de solide sur le fond des propositions, le JT se contentant de diffuser des micro-interventions (n’excédant jamais 15 secondes…) des différents candidats dans d’autres médias. Le récit journalistique, aux classifications pour le moins critiquables, n’aide en rien : « À chacun sa personnalité. Le pragmatisme pour Yannick Jadot le plus connu, le féminisme pour Sandrine Rousseau qui entend jouer les outsiders, Delphine Batho, elle, prône la décroissance, quand Jean-Marc Governatori joue la carte libérale. L’élu local Éric Piolle veut apporter, lui, son expérience. » Le reportage se contentera ensuite (et enfin) d’expliquer que pour Jadot ou Governatori, « pas question d’une écologie punitive », que « Delphine Batho est la plus radicale » et que sur la laïcité, « les candidats défendent la loi sur la laïcité mais une ligne de divergence apparaît : Sandrine Rousseau marque sa différence. […] Une position qui fait vivement réagir Jean-Marc Governatori ». De là à appeler cela de « l’information »…
D’un point de vue technique en revanche, le sujet est très bien exécuté : incrustations à l’écran, multiplications d’extraits médiatiques et vidéos d’illustration, infographies adaptées au jeu de mot du sujet, etc. :
Une paresse qui rend d’autant plus édifiants les grands mots des présentateurs déplorant… l’absence de propositions de fond sur les questions sociales ! Par exemple, le 14 novembre, Laurent Delahousse annonce en introduction d’un sujet sur les difficultés des services de pédiatrie : « On revient en France et une question : l’hôpital public qui souffre de crises et de maux multiples va-t-il réellement devenir un enjeu de campagne ? Face à l’urgence, les candidats n’abusent pas vraiment d’idées sur la question. » Ou serait-ce plutôt les journalistes qui ne vont pas les chercher ? Le même jour, lançant un sujet sur le nucléaire, il souligne : « En France le nucléaire fait donc son retour clairement dans le cœur de la campagne présidentielle. » On se serait dès lors attendu à ce que les reportages abordent les programmes des candidats : il n’en sera rien.
Évidemment, les six mois d’observation ne peuvent se réduire à ce genre de traitement. « Le comparateur du 20h » et « Demandez le programme » démontrent par exemple qu’il est parfaitement possible de faire des reportages de fond, même si le format reste contraint et ne concerne que 6 sujets entre septembre et février [10] sur les 103 que nous avons observés… La rédaction gagnerait à en faire la norme, plutôt que de chercher sans cesse à « innover » via des gadgets télégéniques qui, sous prétexte de renouveler les genres, font de l’ancien avec du nouveau. La pastille « Dans l’isoloir » du 20 février offre un bon exemple de ces procédés télévisuels qui tentent de camoufler la vacuité informative et le néant journalistique avec des artifices formels : la rédaction de France 2 a ainsi eu la lumineuse (et peu dispendieuse) idée d’installer ce jour-là un isoloir dans l’espace public afin de recueillir la parole des passants sur leur perception de la campagne présidentielle, le pouvoir d’achat, etc. Ou comment faire passer de simples micros-trottoirs pour du journalisme politique [11].
« 20h22 » : entre gris clair et gris foncé
On ne saurait conclure sans mentionner un léger bémol dans ce bilan accablant de médiocrité. Le 30/09, France 2 a lancé une nouvelle séquence : « 20h22 », animée par Anne-Sophie Lapix, Nathalie Saint-Cricq et Mohamed Bouhafsi [12]. Côté pluralisme, on note l’absence jusqu’à présent de Macron ou de ses soutiens. Avec 6 invitations, c’est la gauche qui est la plus présente (Jadot et Hidalgo deux fois, Montebourg et Roussel une fois), devant la droite (Pécresse, Barnier et Bertrand) et l’extrême droite (Marine Le Pen deux fois, et Zemmour). Si les premiers échanges se sont largement focalisés sur des enjeux politiciens et ont ignoré les programmes (c’est le cas notamment de l’interview de Xavier Bertrand), les dernières émissions (notamment celles avec Éric Zemmour et Anne Hidalgo) ont consacré la majorité du temps aux propositions des candidats en balayant un large éventail de thématiques et en ne traitant pas que des sujets comme l’immigration, la laïcité ou la sécurité, comme c’est si souvent le cas depuis des mois dans une grande partie des médias.
Hormis quelques dispositifs spéciaux abordant le fond des programmes, les reportages du 20h reflètent le pire du journalisme politique dominant. Micro-sujets, multiplication de « dispositifs spéciaux » et « innovations » qui changent tout pour que rien ne change, focalisation sur les jeux d’appareils escamotant les programmes, dépolitisation. Le tout avec un déséquilibre dans la médiatisation des rapports de force politiques et des effets de loupe ayant bénéficié en premier lieu à la droite et à l’extrême droite, mais également à la « Primaire populaire ». Contrainte par le format même du programme, la rédaction n’en reste pas moins engluée dans des pratiques consistant à vouloir mettre en scène un « récit » de la présidentielle au jour le jour. Quitte, pour cela, à malmener l’information et à offrir aux téléspectateurs une vision particulièrement déformée et biaisée des enjeux du scrutin présidentiel.
Arnaud Gallière
Annexe 1 : Le bilan d’Emmanuel Macron façon France 2
Le 27 janvier, Anne-Sophie Lapix annonce : « Nous sommes à un peu moins de 2 mois et demi du premier tour de la présidentielle, l’occasion de revenir sur les instants décisifs du quinquennat. » Un bilan du quinquennat ? C’était surestimer le journalisme politique… Le reportage porte d’abord… sur l’incendie de la préfecture du Puy-en-Velay le 1er décembre 2018. « Que reste-t-il de cette préfecture qui avait brulé ? Que reste-t-il du 1er décembre 2018 et de la colère des Gilets jaunes ? Y-a-t-il encore une envie de révolte ? […] Que reste-t-il de cet instant décisif ? » se demande en introduction le journaliste. Cependant, le reportage se focalise rapidement sur l’ancien préfet et « la violence » des manifestants. Et de poursuivre : « À trois mois de l’élection présidentielle, les braises de l’incendie ne sont donc pas toutes éteintes. Ce qui les attisent aujourd’hui, c’est le Covid, la tension entre vaccinés et antivax et aussi une certaine petite phrase d’Emmanuel Macron ["Je veux emmerder les non-vaccinés"]. » Voilà pour le panorama, façon France 2, des « instants décisifs » du quinquennat… Notons qu’en mars, un autre reportage « L’instant décisif » a été diffusé, (16/03) cette fois sur les déplacements d’Emmanuel Macron et Marine Le Pen à Whirpool le 26 avril 2017 durant l’entre-deux-tours. Les journalistes semblent plus intéressés par les stratégies de communications des candidats à l’époque que par dresser un bilan de la politique industrielle de l’exécutif.
Annexe 2 : Liste des sujets consacrés à Éric Zemmour entre septembre 2021 et février 2022
Comment le 20h a traité de la candidature d’Éric Zemmour ? Voici une liste des reportages. Le 16 octobre, le 20h se penche sur les ressources financières de Zemmour. Le 20 octobre, l’organisation de sa campagne fait à nouveau l’objet d’un sujet, mais cette fois c’est l’aspect logistique qui est privilégié. Le 30 octobre, un sujet est consacré à des manifestations contre la venue d’Éric Zemmour et le 19 novembre, un sujet compare la rhétorique d’Éric Zemmour à celle de Donald Trump. Notons que la veille, Anne-Sophie Lapix a mentionné l’ouverture du procès contre Zemmour pour provocation à la haine raciale entre deux reportages. Le 25 novembre est diffusé le seul sujet sur les idées d’Éric Zemmour : un sujet de « L’œil du 20h » tente de comprendre comment sont calculés les 20 milliards d’économie qu’Éric Zemmour compte faire en supprimant des aides aux étrangers extra-européens. Le 28 novembre, un reportage relate la visite à Marseille et les déboires subis par Éric Zemmour. Un sujet qui reviendra dans un reportage du 30 novembre. Le même jour, le JT diffuse un autre reportage sur Éric Zemmour, celui-ci sur l’officialisation de sa candidature. Enfin, le 5 décembre un sujet se penche sur le meeting de Villepinte du jour-même.
À partir de fin janvier, le 20h se concentre sur les rivalités entre Marine Le Pen et Éric Zemmour, avec pas moins de 4 reportages. Le 22 janvier, un premier reportage est consacré aux rivalités entre Zemmour et Le Pen, et notamment aux défections des soutiens de Le Pen vers Zemmour. Le 28/01, un sujet se concentre sur les choix de Marion Maréchal. Le 3 février, le 20h s’intéresse aux électeurs FN tentés par Éric Zemmour et enfin le 05/02, l’affrontement par meeting interposé entre Le Pen et Zemmour fait l’objet d’un sujet.
Ajoutons à cela l’annonce de l’ouverture d’une enquête suite au meeting de Villepinte le 06/12 et la mention de son déplacement en Arménie le 12/12. Notons qu’en mars, au moment d’écrire ces lignes (28/03), 3 reportages ont été consacrés à Zemmour dont un reportage « Banc d’essai » (15/03) et un reportage sur sa rivalité avec Marine Le Pen (25/03).
Annexe 3 : L’élection de Valérie Pécresse
Les 9 et 10 septembre, deux reportages analysent la stratégie électorale de Xavier Bertrand, le 22 septembre un reportage est consacré à l’influence de Nicolas Sarkozy sur la primaire, suivi d’un duplex du siège de LR. Quelques jours plus tard, le 25, un duplex relaie la décision des Républicains de passer par un congrès et non par une primaire et le 11 octobre un autre duplex est consacré à l’officialisation de la participation de Xavier Bertrand au Congrès. La course à l’adhésion chez les Républicains pour pouvoir voter est quant à elle abordée dans un sujet du 20 octobre et un autre le 16 novembre. Ajoutons à cette liste la mention du passage des candidats à Colombey-les-Deux-Églises pour la commémoration de la mort de De Gaulle le 9 novembre. Il faut attendre le 30 octobre, c’est-à-dire la veille du premier tour et le soir de l’émission « Élysée 2022 » sur France 2 consacrée à un débat entre les candidats LR, pour qu’enfin les programmes soient évoqués rapidement. Le reportage détaille ainsi les propositions des candidats sur « les salaires et les suppressions de fonctionnaires ». Le 2 décembre un reportage et un duplex sont consacrés aux résultats du vote du premier tour. Le lendemain, un reportage intitulé « Les Républicains : deux lignes politiques à départager » est diffusé. Cependant, contrairement à ce que laisse penser le titre du reportage, le téléspectateur devra se contenter du fait qu’Éric Ciotti « incarne une droite régalienne et identitaire » et que les « deux lignes politiques » sont « directement inspirées du programme de François Fillon ». Un reportage que l’on peut donc difficilement qualifier de fond. Enfin, le 4 décembre, deux reportages sont consacrés à la victoire de Valérie Pécresse.