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« Islamo-gauchisme » à l’université ? Servilité et surenchère : Elkabbach face à Frédérique Vidal

par Henri Maler,

Jean-Pierre Elkabbach sévit dans les médias depuis plus de cinquante ans [1]. Après avoir occupé, à proximité des pouvoirs politiques de droite, des postes très en vue dans l’audiovisuel public et sur Europe 1, il a trouvé refuge sur CNews : conseiller de l’actionnaire majoritaire Vincent Bolloré, il anime sur cette chaîne une émission hebdomadaire : « Repères ». « Chaque dimanche un intervenant différent, qu’on ne voit pas partout », proclamait-il dans Le Parisien du 19 septembre 2020. Et le 14 février 2021, il recevait successivement deux de ces inconnus : Alain Duhamel (pour un entretien tout en complaisance entre deux dinosaures) et Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur (pour un entretien tout en servilité et en surenchère).

Après avoir consacré, avec la ministre, 3 minutes sans aspérité à la crise de la recherche, le moment était venu de participer pendant 8 minutes à la « chasse aux sorcières » organisée par toutes les droites, autour de cette question :


La vidéo est consultable ici (à partir de 39’)

Ainsi le veut la critique des médias : on se bornera ici, bien qu’elle dise n’importe quoi, à résumer les réponses de Frédérique Vidal, pour mettre en valeur l’art de l’entretien selon Elkabbach : des interviews en forme de tribunes libres pour la plupart, ou des éditoriaux de parti-pris à peine masqués.

À droite toute ! C’est parti pour une dénonciation à sens unique du militantisme des « islamo-gauchistes » et des « indigénistes qui disent la race, le genre, la classe sociale ».

 J.-P. Elkabbach : « Alors, sur cinq colonnes, Le Figaro titrait vendredi – vous l’avez sans doute lu – confirmant une vague de témoignages préoccupants : "L’islamo-gauchisme gangrène les universités". Est-ce que vous êtes d’accord ? »

Image à l’appui de la Une du Figaro :


 Frédérique Vidal : « Ce que l’on observe dans les universités, c’est qu’il y a de gens qui peuvent utiliser leurs titres… »

 J.-P. Elkabbach l’interrompt pour souligner le péril : « Ils le peuvent, ou ils le font ? »

 Frédérique Vidal poursuit : « … pour porter des idées radicales ou pour porter des idées militantes de l’islamo-gauchisme, vraiment. »

 J.-P. Elkabbach : « Vous ajoutez aussi les indigénistes qui disent la race, le genre, la classe sociale tout ça, ça forme un tout... »

Comme chacun sait, tout est dans tout.

 Frédérique Vidal approuve : « Absolument. » Et de préciser qu’en biologie, on sait depuis longtemps que les races n’existent pas…

 J.-P. Elkabbach, savamment : « Lévi-Strauss l’avait dit aussi. »

Comme si les universitaires mis en cause ne savaient pas que les races, au sens biologique, n’existent pas.

Et Frédérique Vidal d’ajouter à ce propos : « Je suis tranquille avec ces sujets-là. »

 J.-P. Elkabbach : « Vous, vous êtes tranquille, mais il y a beaucoup qui ne le sont pas. Vous avez dit "les minorités", mais elles sont agissantes, actives… »

Frédérique Vidal indique alors qu’il y a des chercheurs qui recherchent librement…

 J.-P. Elkabbach, sans le moindre militantisme et tout en finesse : « Mais on les empêche. Il y a une sorte d’alliance entre Mao Tsé-Toung si je puis dire et l’ayatollah Khomeini, euh... »

Sourire approbateur de Frédérique Vidal qui ajoute : « Mais vous avez raison […]. »

 J.-P. Elkabbach : « Et regardez Gilles Kepel, connaisseur éminent, dénonce dans son livre Le prophète et la pandémie  : "Les islamo-gauchistes tiennent le haut du pavé à l’université et ils interdisent toute approche critique." C’est donc plus une réalité qu’un fantasme ? »

Puisque Gilles Kepel le dit, sans le moindre militantisme… et le répète, toujours sans le moindre militantisme, sur les (très nombreux) plateaux où il est invité [2].

Et Frédérique Vidal d’annoncer qu’elle va demander au CNRS de faire une enquête sur l’ensemble des courants de recherche, afin de distinguer ce qui relève des recherches académiques et ce qui relève du militantisme.

 J.-P. Elkabbach : « On ne prétexte pas la liberté académique pour ronger et miner la démocratie ? »

Frédérique Vidal déclare que les universitaires sont « les premiers à dénoncer ces dérives ».

 J.-P. Elkabbach : « Il y a un observatoire, mais on n’entend pas assez les réactions. »

Le très informé Elkabbach fait ici probablement allusion à « L’Observatoire du décolonialisme », dont le militantisme est si proche du sien qu’il lui échappe manifestement. Et, atteint de surdité et de cécité, l’informateur, manifestement désinformé trouve que l’on n’entend pas assez la pléthore de réactions, en forme d’articles et de tribunes très militants, publiés dans Le Point, Le Figaro, Valeur actuelles, etc. Titres universitaires à l’appui, dans nombre de cas.

Reprenons.

 J.-P. Elkabbach : « Il y a un observatoire, mais on n’entend pas assez les réactions. Vous avez parlé du CNRS tiens. Antoine Petit est le président du CNRS, en 2019 il vient de préfacer le livre, je cite le titre : Sexualités, identités, corps colonisés. Et il explique, il écrit : "’la race’ devient la nouvelle grille de lecture du monde". Il est président du CNRS, vous allez l’écouter celui-là ? »

Peu importe, à notre avocat de l’accusation, que sa citation soit généreusement tronquée et que les guillemets qui entourent la « race » soient opportunément oubliés (mais rétablis oralement par Frédérique Vidal) [3]. On relèvera, pour parfaire le propos d’Elkabbach que cette préface avait été dénoncée, en décembre 2019, par Nathalie Heinich, Pierre-André Taguieff et Dominique Schnapper, chercheurs non militants s’il en est [4]. Simples questions : Elkabbach veut-il réduire au silence « celui-là », président du CNRS, ou qu’il fasse l’objet d’une action politique de la ministre ?

Frédérique Vidal intervient alors pour affirmer qu’elle a lu l’ouvrage en question et invite, une fois encore, à distinguer la recherche et les opinions.

 J.-P. Elkabbach : « Là, c’est le diagnostic. Qu’est-ce que vous pensez faire avec le gouvernement de Jean Castex ? Qu’est-ce que vous allez proposer pour défendre la laïcité et en même temps que l’université ne soit pas peu à peu mangée par cela ? »

Frédérique Vidal élude la question et invite à distinguer les gens qui font de la science et ceux qui « font du scientisme ». Résistons à la tentation de commenter cette incongruité !

 J.-P. Elkabbach de conclure : « Donc vous dites "peut-être danger, mais vigilance et action" ? »

 Frédérique Vidal confirme : « Absolument. »

Fin de ce chapitre de l’entretien, orchestré par le conseiller de Bolloré.

Dans l’entretien au Parisien déjà mentionné, notre serviteur servile osait : « Je poserai les questions de bon sens […] avec un engagement d’impartialité. Je hais les conformismes. » Et l’anticonformiste manifestement impartial d’ajouter : « Moi, c’est moi. Je reste qui je suis. » Aucun doute là-dessus !


Henri Maler, avec Maxime Friot


Post-scriptum : Alors que nous achevions cet article, Samuel Gontier a opportunément publié le sien sur le site de Télérama : « Sur CNews, Jean-Pierre Elkabbach et Frédérique Vidal s’allient contre les islamo-gauchistes ».

 
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Notes

[1Sur sa carrière, on pourra consulter Wikipedia.

[2Comme au matin du 8 février sur France Inter, où il est ainsi lancé par Nicolas Demorand : « Vous parlez, je cite, d’un "pharisaïsme professé par nos islamo-gauchistes décoloniaux et autres intersectionnels qui interdisent toute approche critique". » Lancement que même Léa Salamé, se voit obligée de tempérer : « N’est-ce pas vous […] qui faites partie des universitaires les plus influents sur le sujet, les plus écoutés, les plus médiatisés plutôt que ceux que vous appelez les "islamo-gauchistes" qui seraient majoritaires dans l’université selon vous ? »

[3Antoine Petit écrit : « La "race" devient la nouvelle grille de lecture du monde sur laquelle s’intègre la grille du genre, et qui s’articule à la hiérarchie homme/femme : aux colonies, le plus petit des "Blancs", sur l’échelle sociale, sera toujours plus grand que n’importe quel colonisé, surtout s’il s’agit d’une femme. [...] La mise en partage de ces travaux, qui doivent être lus par tous, constitue un document incontournable de savoir sur des passés qui émeuvent, choquent et en tout cas interpellent. »

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