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Irrationnel païen, chrétien, ou médiatique : lequel choisir ?

par ColMar,

Les Dernières Nouvelles d’Alsace qui n’ont cessé de dénoncer les passions irrationnelles des partisans du « non » au Référendum, ont-elles viré leur cuti ?

Dans leur édition du 13 juin 2005, elles publient, sous la signature de Roger Wiltz, un curieux et long article surtitré « Insolite » et titré « Schiltigheim », « Etranges cercles de lumière ». La fascination pour le « paranormal » ou le « surnaturel », s’y donne libre cours, en dépit de quelques prudences formelles.

L’avis de plusieurs interlocuteurs est sollicité : un certain « Frédéric » dont on ne connaît que le prénom et la « formation technique », des « scientifiques » non identifiés ; un « théologien », le père François Brune.

Mais la rédaction de l’article entretient une ambiguïté permanente : les passages entre guillemets identifient à coup sûr des paroles attribuées, mais d’autres passages, nombreux, sans guillemets ne permettent pas de savoir s’il s’agit de rapporter des propos ou s’il s’agit en même temps de l’opinion de Roger Wiltz, l’auteur de l’article, qui paraîtrait alors les partager et les faire partager au lecteur. Des TP à proposer à une école de journalisme...

« Cela a commencé il y a un an. ... Frédéric a vu sur un mur, des trucs bizarres, qu’il a pris en photo. C’étaient ses premiers cercles de lumière, depuis ça n’arrête pas. » Le lecteur est appâté.

« Un « cercle de lumière », c’est une déformation des reflets du soleil. Lorsque le soleil éclaire une fenêtre, les vitres renvoient une partie de la lumière sur le mur d’en face. Normalement, sur ce mur, on voit l’image de la fenêtre » Seulement, voilà : « Mais parfois, le reflet est déformé et l’on voit une espèce de cercle à l’intérieur duquel se dessine une croix. »

 «  Une aberration  », proclame le premier sous titre. Admirons au passage l’habileté du terme avec son double sens : soit, « l’état d’une image qui s’écarte de la réalité », soit, une « anomalie », une « folie ». (Petit Robert).

« Qu’y a-t-il d’extraordinaire ? Rien, selon des scientifiques. Sauf que de tels phénomènes ne sont pas décrits dans leurs livres ».“ C’est quand même bizarre, cette focalisation ” [...] » Cette citation sans auteur est bientôt suivie de cette explication, dont on ne connaît pas l’origine : « Normalement, une vitre renvoie 4% de la lumière reçue. Dans le cas des “ cercles , le reflet apparaît bien plus lumineux. Et le cercle, c’est l’image du soleil. »

Si même des scientifiques, que l’on cite sans les nommer, le disent... Alors phénomène paranormal ? Les « scientifiques » étant de peu de ressource, le journaliste donne la parole à « Frédéric », l’inventeur du phénomène. A partir de là, le lecteur ne sait plus qui parle. Frédéric ? Le journaliste ? Ce dernier prend-il à son compte les « explications » de Frédéric ?

 «  Des “signes”  », annonce le deuxième sous-titre, suivi de cette « explication » : « Frédéric, qui a une formation technique [donc ?], a son idée. Les “ cercles de lumière ne sont pas le fruit des hasards du vent. Certains jours, le reflet est tout à fait normal. On voit une vraie fenêtre. Le lendemain, un cercle. Allons, cela veut dire quelque chose, non ? » Bon sang, mais c’est bien sûr ! Si l’explication scientifique fait défaut, pourquoi ne pas chercher ailleurs ?

« Ce sont des signes. De quoi ? Patience... on en voit un peu partout dans le monde depuis cinq ou six ans. Frédéric en avait vu sur des sites internet. » Autrefois, on disait, « c’est vrai, je l’ai lu dans le journal », aujourd’hui, « c’est vrai, c’est sur Internet »... Comme les signes du Zodiaque. Ah, la modernité !

Frédéric témoigne : « Il ne pensait jamais qu’ils lui apparaîtraient un jour dans les rues aux noms prédestinés [sic] de son petit Schiltigheim : rue Rouge, rue du Soleil, rue de la Lune, etc. » La dérive irrationaliste s’accroît, grave...Celle du journaliste aussi ? Il oublie les guillemets qui lui permettraient au moins de se mettre à l’abri de citations explicites, sans donner l’impression qu’il en assume le contenu : « Alors, “ signes ” de quoi ? Un petit tour sur Internet et une piste apparaît : les “ cercles de lumière ” seraient [conditionnel prudent ici] des signes envoyés par les « maîtres de sagesse » dont le principal s’appellerait “ Maîtreya ”. C’est ce qu’affirme [sans guillemets...] en tout cas un certain Benjamin Creme, peintre britannique, né en Ecosse en 1922 et qui, depuis 1972, dit être en relation télépathique directe et permanente avec l’un d’eux. Son “ maître ” lui explique les événements inexplicables du monde [toujours sans guillemets] et il se charge de répandre la bonne parole par des livres, revues et conférences. Benjamin Creme est entouré de gens qui croient que [retour des guillemets]ceux qui cherchent des signes les trouveront ” ou encore, que “ Maitreya inondera le monde de tant d’événements extraordinaires qu’il semblera impossible de leur trouver la moindre explication ”. Le 16 avril, Benjamin Creme a tenu une conférence à la Mutualité à Paris pour apporter son message d’espoir : “ Les maîtres de sagesse, avec Maitreya à leur tête, reviennent ouvertement parmi nous ” pour nous aider à créer une “ civilisation fondée sur la coopération, la justice et la fraternité ”.... »

Ce n’est pas tout : « Et il n’y a pas que les « cercles de lumière » qui annoncent leur prochaine venue. Il y a les agroglyphes ! Vous savez, [au lecteur supposé-savoir...] ces étranges dessins géométriques qui apparaissent soudain, en l’espace d’une nuit, dans des champs de blé - crop circles, en anglais... ».

Après les scientifiques, après Frédéric, vient le théologien...

 «  La foi du théologien  », déclare le troisième sous-titre. Avant de lui donner la parole, l’auteur de l’article convoque une objection d’origine inconnue [tout en faisant mine de douter ?] : «  Mais dans les “ vrais ” agroglyphes, paraît-il, les tiges des céréales ne sont pas cassées, seulement pliées, et l’on ne voit, autour, aucune trace de pas humains. On dirait des dessins réalisés depuis l’espace. Et puis d’ailleurs, il n’y en a pas que dans les blés, aussi dans les sables, la neige. ».C’est le journaliste qui dit ce qui précède, sans guillemets ! La suite appartient donc à l’auteur de l’article : «  Bref, il se passe des choses étranges et inexplicables .  » Mais pas pour tout le monde : « Sauf pour Benjamin Creme et les maîtres de sagesse. » Ouf !

Heureusement, un théologien est appelé à la rescousse... Enfin, quelqu’un de sensé : « Cela fait doucement rigoler le père François Brune qui, depuis une vingtaine d’années, se consacre aux miracles, mystères et autres dialogues avec les morts. »

Mais est-il si sensé ? Citation de notre père : «  “Je crois au merveilleux, à la communication avec l’au-delà. Mais, il y a quantité de phénomènes inexpliqués qui n’ont pas un intérêt considérable.” » Et l’auteur de l’article d’enchaîner aussitôt : « Le père Brune ne connaît pas les cercles de lumière , mais il a entendu parler de Benjamin Creme. Il n’a qu’un commentaire : “ Oui, bon...”  »

Serait-ce un scepticisme rationnel de bon aloi ? Détrompez vous : «  Les agroglyphes, en revanche, il « y » croit. “C’est un phénomène extraordinaire, totalement inexplicable. Il y a une intelligence derrière, c’est certain. Mais de qui ça vient, c’est un autre problème. ” » Cette fois, les propos sont clairement attribués à notre théologien qui invite même à ... la méfiance !

 «  Gare à la manipulation  », prévient le quatrième sous-titre, suivi de ces fortes paroles : « Cependant, pour François Brune, il faut se méfier de tous ces « signes ». Dans un de ses livres, « Dieu et Satan » (ed Oxus, oct 2004), il estime que « ’’ le danger commence lorsque les messages reçus essaient de faire croire à leur récepteur, sur terre, qu’il a été choisi pour une mission extraordinaire, qu’il doit, par exemple, répandre ces messages sur toute la terre. C’est le début de manipulations qui peuvent conduire à la folie, à la possession.’’ »

Certes, mais notre théologien est-il 100% rationaliste ? Ou bien n’est-ce pas plutôt une concurrence déloyale, celle des « charlatans », qu’il ne supporte pas ?

Ce retour à un minimum de rationalité est immédiatement suivi de cette réserve : « En même temps, le père Brune regrette que “la plupart des scientifiques déconsidèrent le merveilleux, livrant ainsi le grand public aux charlatans ”. » Une réserve immédiatement tempérée, puisque ce passeur du « merveilleux » a des alliés même chez certains scientifiques : « Il aime citer le physicien Olivier Costa de Beauregard qui considère les phénomènes de la parapsychologie comme une manifestation, à un autre niveau, des lois de la physique quantique. Comme si, à force d’étudier la matière, l’on y découvrait l’esprit et que la physique rejoigne la mystique. Ce que la plupart des collègues de Costa de Beauregard n’ont pas admis. »

Marginaux de toutes les croyances, unissez-vous ? En effet  : «  De la même façon, François Brune se sent marginal dans l’Église catholique. Il croit à l’au-delà et à ses manifestations sur terre, et ne pense pas du tout que la religion soit simplement une façon d’enseigner la morale. Pour lui, l’Église a tort d’écarter le merveilleux et de se laisser prendre aux raisonnements « scientistes ». Elle laisse ainsi le champ libre aux sectes. » Encore une concurrence déloyale...

Pour finir, ce voyage organisé au cœur du « surnaturel », l’article conclut : « C’est pourquoi le père Brune s’intéresse fortement aux apparitions de la Vierge, notamment celles qui ont lieu depuis avril 1968 en Egypte. Il ne se contente pas de recueillir des témoignages, il « y » croit. »

Et le lecteur des DNA, que peut-il faire d’autre avec ce salmigondis ?

Décidément, Les Dernière Nouvelles d’Alsace arborent sans retenue ... de fort ostensibles signes religieux.

ColMar.

 
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