Arnaud Lagardère, déclarait dans un entretien accordé au Monde le 23 mars 2002 vouloir « Devenir un groupe à 100 % médiatique (...) Les priorités de développement se trouvent là où il y a des moteurs de croissance. Aujourd’hui, ils sont dans le numérique : dans les nouveaux médias (...), et puis dans la radio et la télévision. La priorité du groupe, dans les cinq à dix ans qui viennent, se trouve dans ces trois directions ». Même si, plus récemment, le groupe manifestait son intention de conserver sa place prépondérante dans l’armement compte tenu du taux de profitabilité : le beurre et son argent. [4]
Donc, ainsi en ont décidés les conseillers, pas de place à Marseille pour une télévision associative participative hors eldorado commercial. Les trois projets en lice du côté associatif, Télé Gazelle, Marseille Fraternité et TV Asso ont été recalés [5].
L’espoir de certains de voir émerger un modèle à la française où, à côté du canal local (de ville) une télévision associative trouverait enfin droit de cité, est stoppé. C’est la configuration de Nantes où, à côté de TV Nantes Atlantique (Soc-Presse) [6], une association, Télénantes (appuyée par les Télévisions Locales de Service Public ) partage, certes en toute inégalité, le canal local 07 VHF [7].
Comment analyser cette décision du CSA ?
Une telle décision peut-être analysée sous plusieurs angles.
1/ Sous l’angle du rapport médias-démocratie tout d’abord, on ne peut que contester cette décision. En effet, le CSA ne prend pas en compte la construction nécessaire, dont il est comptable devant les citoyens, d’un espace démocratique d’expression télévisuelle non-marchand, local dans le cas présent. Une fois de plus [8], le courant associatif est écarté bien que la loi de 1986 (revue en 2000), sur la liberté de la communication, dispose, en son article 29 que « Le CSA veille, sur l’ensemble du territoire, à ce qu’une part suffisante des ressources en fréquences soit attribuée aux services édités par une association et accomplissant une mission de communication sociale de proximité, entendue comme le fait de favoriser les échanges entre les groupes sociaux et culturels, l’expression des différents courants socioculturels, le soutien au développement local, la protection de l’environnement ou la lutte contre l’exclusion ».
Les engagements de Baudis [9], en faveur de la télévision associative, ouvrant la voie à un tiers secteur de la communication se révèlent de vaines paroles verbales...
2/ Sous l’angle capitalistique, le CSA après avoir appelé de ses vœux la création d’un fonds de soutien en faveur des télévisions associatives (calqué sur celui du FSER) [10] en a pris son parti. En fait, il s’en lave les mains et privilégie les sociétés commerciales dotées d’un solide business plan, car adossées à de puissants groupes (Hachette-Lagardère dans le cas de Marseille). Les affaires ont gagné à Marseille : (Cf. le poids économique d’un groupe comme Hachette-Lagardère dans la région, notamment avec Eurocopter à Marignane).
3/ Sous l’angle des rapports avec le politique, la décision du CSA confirme que les Les avant-pensées sont présentes dès qu’il s’agit de médias. La conception instrumentalisée des médias est une constante des politiques. Qu’ils soient locaux, régionaux ou nationaux, un média, pour eux, c’est continuer, derrière les dénégations de façade, la même politique par d’autres moyens. Cela explique bien des alliances et des montages que l’on voit apparaître. Ainsi, tel organisme financier (une Caisse d’Épargne régionale dans le cas de Marseille) lié à la municipalité intéressée à la vie politique locale renforcera le tour de table d’une télévision commerciale de ville, candidate à une fréquence montrant sa préférence marquée pour une conception capitalistique classique, voire archaïque (le financement d’un média par la publicité) que dans un esprit coopératif et mutualiste novateur.
Plus que jamais : influence et profitabilité sont les maîtres mots qui dominent le paysage médiatique actuel. Marseille illustre la recherche de l’influence de type politique (agir sur le pouvoir, instrument d’aide à la prise du pouvoir) et économique (peser dans et par les médias pour développer des pôles de profitabilité). TV7 constitue un levier pour les affaires et les affaires permettent d’obtenir la propriété des médias : circularité et complicité des intérêts se mêlant dans de dangereuses liaisons. La recherche de profit y trouve son compte (en quelques années), notamment, grâce à l’ouverture des écrans publicitaires des télévisions locales à la distribution depuis le 1er janvier 2004 [11]
Plus que jamais l’intervention du législateur est nécessaire et urgente pour adopter en particulier :
– La mise en place d’une législation empêchant « les liaisons dangereuses » entre les médias, avec leur pouvoir éditorial et les groupes industriels et financiers vivant majoritairement de la commande publique (Armement, Bâtiment et travaux publics...). Cette législation d’encadrement nécessaire au fonctionnement d’une démocratie où les dès ne seraient pas pipés, doit s’accompagner la mesure suivante :
– Une politique efficace de soutien aux médias (dont la presse) alternatifs, démocratiques [12]. Le pluralisme étant un principe constitutionnel [13], le législateur doit intervenir pour lui donner un contenu. Le silence assourdissant des grands partis politiques sur cette question est confondant [14]
À cet égard, pour faire place au tiers secteur de la communication, qui tente d’exister à côté du secteur commercial dominant et du secteur public en crise, il est urgent que les pouvoirs publics mettent en place un dispositif légal qui prenne en compte la spécificité des acteurs associatifs dans ce domaine. Cela signifie, pour s’en tenir à l’essentiel :
– Réserver des fréquences à ces acteurs ;
– Créer les conditions d’une viabilité économique, avec notamment la création d’un fonds d’intervention (équipement, fonctionnement) alimentée par une taxe sur les flux publicitaires générés par les grands médias et le hors médias, (soit environ 30 milliards d’euros par an) [15] ;
– Développer le système coopératif de diffusion de chaînes associatives, à l’instar de la presse ;
– Réexaminer le régime fiscal applicable au tiers secteur ;
– Revenir sur la suppression « d’emplois aidés » ;
– Prévoir une procédure compatible avec la vie associative. En effet, les délais de mise en œuvre des procédures d’appel à candidatures doivent tenir compte de la spécificité de ce secteur : le temps associatif n’est pas le temps du business. TVASSO ou TV Gazelle à Marseille n’ont pas les mêmes experts à disposition pour instruire un dossier pour le CSA ; les relations avec les collectivités locales pour convaincre sur un projet de télévision participative sont longues à construire (surtout dans une période post-électorale, où les équipes changent).
Mise en invisibilité du politique, responsabilité du CSA
La responsabilité du CSA est entière dans la décision d’écarter des acteurs associatifs, même s’il s’agit surtout de sa part de rendre invisible une politique gouvernementale inacceptable. [16]. Le ministre Aillagon a refusé d’entériner le travail déjà amorcé (avant 2002) [17], de créer un fonds de soutien et ainsi de prendre en compte cette émergence du tiers secteur audiovisuel, depuis, sur le plan légal la loi d’août 2000 sous la pression des mouvements de lutte, notamment la Coordination des Médias Libres et la Fédération des Vidéos des Pays et des Quartiers depuis plusieurs années. Seule la poursuite et l’amplification d’une mobilisation, autour de ces questions, allant s’élargissant, pourront changer les rapports démocratie-médias au moment où, selon l’expression du sociologue Jean-Marie Charon, « on revient aux belles heures des grands industriels et des maîtres de forges » [18].
Guy Pineau
– Lire notre article précédent sur le sujet : « Alerte sur Marseille : les grosses pointures se lancent dans la télé locale ! »