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Tribune

Festival à Biarritz : la BIG connivence journalistique

par Camille Fakrizadeh,

Nous publions ci-dessous sous forme de « tribune » [1] une analyse d’un Festival de musique et de sa médiatisation (Acrimed)

Pour sa 5ème édition, le BIG, le Biarritz International Groove Festival, n’en finit pas d’afficher les dérives du marketing culturel et la scandaleuse bienveillance de la presse à l’égard de l’industrie du spectacle.

Enquête

Parvenir à réitérer, pendant cinq ans et en grandes pompes, un festival de musique au budget déficitaire, boudé par le public et décrié par les artistes, n’est assurément pas à la portée de n’importe qui. Il faut à la fois de la persévérance, un budget communication démesuré et bénéficier de la complicité alarmante d’une presse aussi bien locale que nationale. On doit le BIG Fest, le Biarritz International Groove Festival, à Sébastien Farran, figure people issue du sérail, fils et petit-fils d’animateurs radio, ancien juré de l’émission de télé-réalité « Popstars », actuel manager de Johnny Hallyday et de Joey Starr. Dès la première édition du BIG, Sébastien Farran affiche sa volonté de lancer un grand festival de musique actuelle dans le Sud-Ouest, mais en coulisse il nous révélera vouloir avant tout « créer une marque », faisant un investissement commercial comme un autre, dont on attend les profits et mesure la valeur commerciale en centaine de milliers d’euros [2].

Surfant sur l’imaginaire touristique de Biarritz, culture VIP et bling-bling assumée (à l’imagine des voitures clinquantes à l’effigie du BIG qui tournaient en continu dans Biarritz), les trois premières éditions seront ultra-déficitaires car très dissonantes des attentes d’un public local plutôt attaché aux petites salles, à la contre-culture et la pensée no-logo [3], ne supportant pas que l’on renomme la côte basque « petite Californie » [4]. La quatrième édition s’avère quant à elle un scandale inédit dans le panorama musical hexagonal : qu’ils soient artistes, bénévoles, festivaliers ou encore techniciens, tous rapporteront le constat d’une organisation défaillante, et désengagée de toute notion de respect [5]. Très rare dans le monde de la musique, l’organisation du BIG ne remboursera jamais les places pour Pete Doherty qui annula sa venue pour une énième hospitalisation pourtant plus que prévisible. Pas de remboursement non plus pour les têtes d’affiches M83 et Berri Txarrak qui refusèrent d’assurer leurs prestations en raison de nombreux changements de dernière minute imposés par l’équipe de Sébastien Farran. “C’est la première fois en 18 ans de carrière que nous suspendons un concert. Le traitement des responsables de production est inacceptable » fit savoir le groupe basque Berri Txarrak. Le DJ Yuksek quant à lui préféra stopper son concert avant la fin, dénonçant une mauvaise sonorisation.

Malheureusement, les artistes ne seront pas les seuls à subir le manque de considération de l’organisation, les techniciens débuteront une grève pour dénoncer un manque de moyen hors du commun, comme la difficulté permanente d’obtenir une bouteille d’eau pour boire. La fiasco atteignit l’apothéose lorsque le concert de Joey Starr s’interrompit en raison d’une panne de courant.

Pendant des semaines, les festivaliers furieux déverseront leur rancœur sur les réseaux sociaux : « organisation déplorable », « tarifs de consommation exorbitants », « files d’attente interminables », « posture agressive des agents de sécurité », « Big Boîte réservée aux VIP  ». Face à toutes ces déconvenues, Sébastian Farran restera bien discret, diffusant un semblant de communiqué sur la page Facebook du Big Festival qui se déchargera de toute responsabilité quant à l’annulation des artistes.

Une connivence journalistique généralisée.

Or, et c’est peut-être le plus hallucinant, pour assurer la promo de sa cinquième édition, Sébastien Farran a à nouveau bénéficié ces dernières semaines de la plus grande complaisance des rédactions qu’elles soient locales et nationales, et bien sûr sans que le scandale de l’édition 2012 soit même évoqué. Courant juin Joey Starr assurait avec grandiloquence la promo du BIG Festival au Grand Journal de Canal+. Et d’une manière comparable, France 3, Télérama, Tsugi, les Inrockuptibles, Technikart, Elle, etc. [6] ont fait l’éloge d’un événement présenté comme « à ne pas manquer », multipliant les formules positives et les superlatifs. On y voit régulièrement Sébastien Farran mentir sur la finalité de sa démarche et sur les chiffres d’affluence des années passées, sans que les « journalistes culturels » croient bon de glisser un bémol et de vérifier les sources.

Localement, le quotidien local Sud-Ouest consacre quant à lui quatre pages de publireportage le 12 juillet complètement vouées à assurer la grandeur du BIG Festival. Bien seul au milieu de ce consensus journalistique angoissant, le quotidien le Journal du Pays Basque est le seul à nuancer l’enthousiasme des organisateurs du BIG Festival. Ainsi le BIG Festival rappelle avec insistance que la musique vivante est devenue une affaire d’investissement, qu’elle répond aux logiques de gain, et donc, de promotion et de renvoi d’ascenseurs. Avec un budget communication dépassant les 100 000 euros, Sébastien Farran a un certain talent et il a su établir des partenariats presse qui se concluent par de délicieux publireportages. Il sait aussi négocier la venue de Joey Starr et Johnny Hallyday sur un plateau-télé, en contrepartie d’une bonne publicité en faveur de son festival. Enfin, les organisateurs savent que pour un journaliste, se risquer à un reportage critique, c’est renoncer à se faire accréditer, et donc renoncer aux concerts, à l’open-bar dans le coin presse, à la BIG Boite en fin de soirée, etc.

Affluence complètement surévaluée

Sébastien Farran qui reconnaît créer la marque BIG Festival afin de revendre le concept, a tout intérêt à surévaluer l’affluence du BIG Festival. Pour cette cinquième édition, il n’hésite pas annoncer 35 000 personnes et pourquoi s’en priver, les journalistes ne vérifieront pas ses sources. Ainsi le chiffre sera repris tel quel par la plupart des médias, avec en figure de proue le quotidien Sud–Ouest (qui on le rappelle est partenaire de l’événement) [7].

Complètement décomplexé, le quotidien 20minutes va jusqu’à comparer le BIG Festival au festival des Vieilles charrues et ses 240 000 spectateurs [8].

Qu’importe si sur le terrain à Biarritz, la plus petite enquête permettait de savoir qu’il n’y avait pas plus de 6000 personnes au concert de Neil Young (contre 9500 annoncés), qu’un grand nombre de festivaliers avait été accrédité, invité ou avait gagné les places auprès des partenaires. Personne ne s’est indigné de voir que Sébastien Farran a inclus dans son comptage toutes les personnes qui ont traversé le BIG Village, un espace gratuit sur la plage de la côte des basques à Biarritz, très fréquentée en cette saison. Cette hausse de fréquentation aurait pourtant dû interpeller la profession, connaissant la très mauvaise réputation du BIG Festival localement, son prix élevé des entrées comparé à d’autres festivals de musique actuelle comparables (Garorock, EHZ....) et la désaffection pour les grands événements musicaux depuis quelques années (le festival des Vieilles Charrues a connu une baisse de fréquentation de 9% en 2013).

Depuis, certains internautes scandalisés par le traitement journalistique tentent de rétablir la vérité sur les réseaux sociaux, dénonçant le verrouillage des commentaires négatifs en pied d’articles par l’équipe web-master du quotidien Sud-Ouest.

Toujours dans le quotidien local, Sébastien Farran s’enthousiasme en affirmant qu’ « en sortant de scène, Cassius prédisait qu’Iraty allait devenir le plus grand spot de DJs de France » . La phrase est-elle vraiment de Cassius ? Comment oser comparer Biarritz et 50 000 habitants, avec la prolifique scène électro Lilloise ou Lyonnaise ? Ce soir, nous y étions, la salle était au quart remplie, avec une ambiance toute commune, pour ne pas dire terne pour ce genre de musique.
Enfin et surtout, peu de médias se sont réellement posé ces quelques questions dérangeantes : quelles sont les réelles motivations de Sébastien Farran et son équipe ? Pourquoi la ville de Biarritz finance-t-elle à hauteur de 130 000 euros un événement si décrié l’année passée ? Qu’est-ce qui explique la verve de Michel Poueyts, adjoint à la jeunesse et aux sports à la mairie de Biarritz, quand il fait l’éloge du BIG Festival ? Une municipalité ne devrait-elle pas plutôt soutenir avec de l’argent public les initiatives culturelles ancrées localement, présentant une réelle perceptive de développement et une volonté de se différencier de l’industrie musicale ?

On l’aura compris, pour cette cinquième édition du BIG Festival, si le soutien du public a été très maussade, Sébastien Farran aura bien ficelé tout ce qui touche de près ou de loin à la communication, même si tout ceci n’est pas très rock’n’roll.

Camille Fabrizadeh

 
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Notes

[1Les articles publiés sous forme de « tribune » n’engagent pas collectivement l’Association Acrimed, mais seulement leurs auteurs.

[2On compte parmi les sponsors privés en 2013 : ERDF, la SNCF ou encore la bière Carlsberg. A lire : « Et ça va chercher dans les combien tout ça ? » par Marie José Mondzain, philosophe directrice de recherche au CNRS, in L’Appel des appels, Ed. Mille et une nuits.

[3Au même moment se tient l’Errobiki Festibala, festival de musique improvisée, organisée chaque année par Beñat Achiary, musicien de jazz et de musique contemporaine.

[4En permanence, Sébastien Farran nomme la côte basque la petite Xalifornie, un rapprochement qui n’a pas beaucoup de sens culturel, social ou météorologique, mis à part la culture surf.

[5Une organisation plus que chaotique pour un Big Festival à la dérive par Cécile Vignau. Le Journal du Pays Basque, 25 juillet 2012.

[8Et toujours dans 20 minutes.

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