Depuis les élections présidentielle et législatives l’industrie de l’« opinion publique » se tient relativement tranquille. Plus inhabituelle, la « rentrée » s’est, quasiment, faite sans elle. Nous ne nous en plaindrons pas. Sauf que cette tranquillité publique relative vient d’être rompue sans surprise par le Journal du dimanche et l’Ifop. Les deux compères n’ont pu contenir leur désir de bricoler et publier une fausse nouvelle électorale. Et pour cause il n’y a aucune élection en vue, présidentielle en l’occurrence (et aucun candidat bien sûr). Un caprice éditorial pour fêter à leur manière Halloween ? Les deux contrefacteurs sont restés silencieux sur ce point. Le sondeur crédite pourtant M. Le Pen de 30% d’« intentions de vote » contre 29 pour E. Macron pour un 1er tour. On est presque déçus de pas connaitre les « intentions » d’un 2e tour (non publiées mais elles figurent sur la notice détaillée déposée à la commission des sondages).
L’entame du commentaire journalistique pourrait laisser plus d’un lecteur perplexe tant il sonne faux.
« Il ne s’agit nullement de rejouer le match des 10 et 24 avril dernier. Encore moins de se projeter vers 2027, nombre de compétiteurs ne se représentant pas dans cinq ans, à commencer par Emmanuel Macron. Mais bien de mesurer l’évolution, en un semestre, du rapport de force électoral alors que la menace de la dissolution a été agitée par le Président ».
Impossible de savoir si le Journal du Dimanche et l’Ifop prennent tous les lecteurs pour des crétins. Prétendre mesurer un rapport de force électorale sur la base d’intentions à un scrutin fictif et dont il ne saurait être question de l’aveu même du commentateur, il fallait oser. Mélange d’incohérence, de contradiction et de mauvaise foi, autant dire que le rédacteur en chef politique du JDD entretient un rapport « distancé » avec un raisonnement rationnel.
« Intentions de vote » avec ou sans scrutin...
Une mémoire défaillante est une « faculté » utile pour l’exercice du métier de journaliste. La bulle médiatique Zemmour est déjà oubliée, et son score lors du scrutin présidentiel aussi (cf. Eric Zemmour : de l’ivresse au dégrisement).
Pour les sondages d’intention de vote on considère généralement que leur valeur prédictive croît avec la proximité du scrutin. Autrement dit, plus le scrutin s’approche moins ils risquent, « théoriquement », de se tromper. Certes. Les sondeurs brésiliens l’ont néanmoins échappé belle. Quant aux « surprises de dernière minute » les doxosophes ont pour habitude de « faire porter le chapeau » aux sondés, soit disant volatiles et de plus en plus. C’est bien connu : c’est toujours la faute de l’autre...Et quand bien même, pourquoi publier aussi fréquemment et longtemps avant les dires des sondés s’ils ne tiennent pas parole ? [2]. Les marchands d’opinion ne sont pas à une incohérence près.
La presse a fini par admettre (à contrecœur ?) que les « intentions de vote » exprimées longtemps avant un scrutin « sont souvent loin du compte » (cf. par exemple Le Monde, 20 mai 2021.). « Toujours » était visiblement impossible à dire pour un journal de référence en matière de doxosophie. Sans surprise cet aveu ne signifiait pas un changement des pratiques éditoriales. Gageons que le sens de « longtemps avant » laisse une grande latitude à une presse qui refuse de comprendre qu’une intention de vote n’existe pas par essence. La nature de ce que récoltent les sondeurs quand ils soutirent des intentions à des sondés à toute époque, par internet, ne l’intéresse guère. Tant que les journalistes, politiques notamment, se comporteront comme des turfistes et non des analystes de la vie politique, rien ne changera fondamentalement. Nous renvoyons nos lecteurs à nos nombreuses critiques sur la valeur des dites intentions.
Quant à savoir ce que sont des « intentions de vote » sans élections, donc sans objet, la réponse est simple et va de soi, non ? Mise à part leur existence comptable, elles ne sont, faux paradoxe, que fiction. Mais rien de littéraire, car même les nouvelles de ce type (façon JDD-Ifop) sont fausses. On peut compter néanmoins sur eux pour dénoncer les fake news, celles des autres...