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Enthousiasme médiatique pour Raphaël Glucksmann

par Adrien Pourageaud,

Les éditorialistes et autres journalistes politiques ont le chic pour s’emballer sur les « dynamiques » des « personnalités » politiques. À gauche, le jeu s’apparente à une ritournelle : feu sur Jean-Luc Mélenchon et sur la Nupes, pâmoison devant la « gauche raisonnable ». Après Manuel Valls ou Bernard Cazeneuve, le « nouvel espoir de la gauche » s’appelle Raphaël Glucksmann.

En ce mois de janvier 2024, Raphaël Glucksmann fait l’agenda médiatique : invité des « 4 vérités » sur France 2 le 8, interview dans Nice-Matin le 12, dans Le Monde et sur le plateau de « Questions politiques » (France Inter et Franceinfo) le 14, invité de « C à vous » sur France 5 le 15, en Une de L’Obs le 25, interview dans Ouest-France le 29… Difficile de passer à côté de la tournée médiatique du député européen (et par ailleurs compagnon de Léa Salamé). [1]



« Le nouvel espoir de la gauche  ? » (Le Point, 21/12/2023), « Peut-il créer la surprise  ? » (L’Obs, 25/01), « Raphaël Glucksmann pourra-t-il sauver le Parti socialiste  ? » (France Info, 31/01), « L’espoir de la gauche  ? » (« C à Vous », 15/01), « L’empêcheur de voter en rond  ? » (Le Point, 21/01), « L’espoir d’un sursaut pour le PS » (Les Échos, 01/02), « La carte chance du PS » (Libération, 22/01), « Nouvel espoir de la social-démocratie ? » (AFP repris par France 24, 22/12/2023), « La nouvelle mode Raphaël Glucksmann » (Le Parisien, 25/12/2023). De toute évidence, les faveurs médiatiques lui sont acquises. Ce qui se joue ici, c’est, encore une fois, la redéfinition médiatique de ce que doit être la gauche : « social-démocrate », « pro-européenne », et surtout… anti-mélenchoniste.



À l’avant-garde, on trouve L’Obs, qui s’interroge sur les attentes légitimes des Français : « Comment les circonstances pourraient-elles jouer en sa faveur ? Quelles sont ses convictions ? Et jusqu’où peut-il aller ? ». La directrice de la rédaction, Cécile Prieur, défriche, dans son édito (25/01), « la voie de la social-démocratie ». « Car la social-démocratie n’est pas morte […] elle vient de remporter une élection décisive en Pologne en s’alliant avec le libéral Donald Tusk ». En France, c’est donc Raphaël Glucksmann, « très actif pendant son mandat d’eurodéputé », qui « reprend le flambeau de la gauche progressiste et européenne, mais aussi clairement anti-mélenchoniste ». Et L’Obs de s’enthousiasmer devant une (pourtant très relative) « percée récente dans les sondages (qui) dit bien l’attente d’un électorat qui a soif de représentativité, et qui, depuis l’attaque d’Israël du 7 octobre par le Hamas et les propos de Mélenchon, refuse tout accommodement avec La France Insoumise (LFI) ».

Le portrait est, ailleurs, plutôt accommodant, si ce n’est louangeur. Du journal Sud Ouest, le 31 décembre, qui évoque son « sourire aux lèvres, [le] ton calme et courtois dont cet adepte de la nuance ne se départit jamais en débat ou en entretien », à Nathalie Saint-Cricq, dans « C dans l’air » (France 5, 20/01) :

La thèse de Glucksmann, c’est que si lui, et ce qui est plutôt le cas pour l’instant dans les sondages, même si c’est embryonnaire ; s’il réussit à faire un score à deux chiffres […], ça sera quand même le signal du début de quelque chose, d’une gauche qui se réveille, mais qui se réveille pas de la même façon que ce qu’on a eu après les législatives, c’est-à-dire pas la façon Nupes. […] Mais ça veut dire qu’il y a une figure nouvelle qui émerge, alors il peut y avoir une Glucksmann mania comme on considère qu’il y a eu une Attal mania, ça peut ne pas durer, mais c’est vrai que dans le paysage politique, il y a quelqu’un qui apparaît, qui dit un certain nombre de choses qui ont été des invariants, que ce soit soit la politique étrangère, soit la construction européenne, qui creuse son sillon et qui dit « bah écoutez non, moi LFI c’est pas… on pense pas du tout la même chose », et qui peut susciter un début de retour, de renaissance, d’enthousiasme chez les gens de gauche, qui, après avoir pensé que la Nupes allait être un tremplin, se sont rendu compte plutôt que c’était le baiser de la mort de la part de Jean-Luc Mélenchon.


L’adoubement par le « cercle de la raison »


Si « l’enthousiasme chez les gens de gauche » reste encore à établir, celui des invités permanents des médias est, lui, bien certain. Ainsi de Jacques Attali : « Pour moi, même s’il est très différent, Raphaël Glucksmann est le plus proche de l’idée que Jacques Delors pouvait se faire d’un homme politique pour demain : passionnément pro-européen, soucieux des combats pour la justice, et moderne. » (Le Journal du Dimanche, 28/12/2023) ; d’Alain Minc : « Si Glucksmann faisait 15%, ce serait un événement positif pour le pays. […] Je souhaite d’un même mouvement un score extrêmement élevé à la liste de Raphaël Glucksmann pour bloquer l’ascension vers le deuxième tour de Jean-Luc Mélenchon. » (L’Opinion, 14/01) ; ou encore de Daniel Cohn-Bendit : « Je me dis que je vais soutenir l’initiative de Raphaël Glucksmann parce que la France a besoin d’une gauche écologiste socialiste, réformiste et responsable. Et ça, c’est le projet de Raphaël Glucksmann [...] La liste Glucksmann, c’est le dépassement de l’aveuglement paritaire des uns et des autres. » (Le Point, 11/12/23)

Être adoubé « en même temps » par Attali, Minc et Cohn-Bendit, de quoi susciter « l’enthousiasme à gauche », assurément.


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Depuis presque deux ans, les éditocrates veulent la peau de la Nupes et de sa ligne trop à gauche à leur goût. Raphaël Glucksmann est leur dernière trouvaille pour incarner cette gauche raisonnable qu’ils appellent de leurs vœux. Ce soutien médiatique lui suffira-t-il pour faire mieux que les 6,2 % obtenus en 2019, alors qu’il emmenait déjà la liste du PS aux élections européennes ?


Adrien Pourageaud

 
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Notes

[1Une « Glucksmannia médiatique » déjà relevée par Arrêt sur images fin 2023.

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