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Acrimed en débat

Droit à l’information et droit d’informer

par Henri Maler,

« Acrimed en débat » : Nous publions et publierons dans cette rubrique des contributions des adhérents de notre association pour participer à la relance du débat public sur des propositions de transformation de l’ordre médiatique existant. Ces contributions, revues, amendées, complétées, serviront à la rédaction ultérieure de notre plate-forme. Sous leur forme actuelle, elles n’engagent que leurs auteurs. (Acrimed)

Droit à l’information et droit d’informer

La question des médias et de leur avenir est une question trop sérieuse pour être abandonnée à leurs tenanciers. C’est une question trop grave pour que seuls s’en préoccupent quelques syndicats et associations. C’est une question politique qui concerne tous ceux qui n’entendent pas que le marché pense pour eux et agisse à leur place.

C’est une autre politique pour d’autres médias qu’il faut tenter d’imposer. Si un autre monde est possible, d’autres médias le sont aussi.

Première ébauche de quelques principes pour guider critiques et projets.

1. Le droit d’informer et le droit à l’information sont indissociables. Ils concernent tous les aspects de la vie économique, sociale et politique.

Ces droits ne sont pas rationnellement limités, mais arbitrairement mutilés, quand le droit d’informer est monopolisé par des pouvoirs publics qui exercent un droit de censure illimité, par des pouvoirs sociaux qui s’entourent de secrets destinés à garantir leur puissance, par des pouvoirs médiatiques qui se soumettent alternativement ou conjointement aux pouvoirs politiques et économiques.

2. On ne saurait prétendre que le droit d’informer est exaucé quand la majorité des citoyens en sont exclus et que le droit à l’information est garanti quand il est arbitrairement mutilé.

- Le droit d’informer ne saurait être réservé à des groupements publics et privés qui prétendent s’en réserver l’usage parce qu’ils en monopolisent les moyens.
- Le droit à l’information ne saurait s’arrêter aux portes des ministères et des entreprises.

3. Les droits d’informer et d’être informés concernent particulièrement l’information sur les entreprises qui produisent l’information.

- L’exercice de ces droits, non seulement ne relève pas seulement de ces entreprises, mais il suppose donc l’exercice effectif du droit de les critiquer.
- Aucune confusion n’est possible entre la libre critique de l’information et du journalisme et les attaques liberticides contre la liberté de la presse et l’indépendance des journalistes, contrairement à ce que tente de faire croire ceux qui entendent réserver le monopole de la critique des médias aux seuls tenanciers des médias (qui n’en abusent guère, il est vrai...)

4. Le droit d’informer est, comme la liberté d’expression et d’opinion, un droit social qui devrait être universellement partagé.

- Le droit d’informer appartient à tous et n’est pas le monopole des médias établis et des journalistes professionnels, quel que soit le rôle irremplaçable que ceux-ci peuvent jouer.
- Le droit d’informer n’est vraiment garanti que dans la mesure où les citoyens disposent des moyens adéquats à la production de leur propre information.

Il est donc indispensable de lutter prioritairement contre les formidables inégalités qui existent en matière d’information entre d’un côté les médias privés et la puissance publique et de l’autre la majorité de la population, et non de les entériner comme le font les défenseurs d’un statu quo dont ils espèrent tirer avantage ou qu’ils n’espèrent modifier qu’en démantelant le secteur public de la radio-télévision au bénéfice des seuls médias commerciaux.

5. Le droit d’informer et le droit à l’information étant indissociables, ce sont ces deux droits qui fondent ensemble la liberté de la presse ; c’est à leur respect que la liberté de la presse doit être mesurée.

- La liberté de la presse n’est donc illimitée, sous réserve de préserver les autres libertés civiles, que dans la mesure où elle destinée à garantir le droit d’informer et le droit à l’information.
- La liberté de la presse n’est garantie que dans la mesure où le droit d’informer n’est ni soumis à la tutelle du pouvoir politique ni assujetti aux objectifs commerciaux des groupes financiers.

Ces deux droits ne sont pas seulement compromis quand le pouvoir politique exerce directement sa tutelle sur les médias, mais aussi quand la concentration et la financiarisation des médias (leur subordination à la logique du profit) permet de conjuguer toutes les formes de domination : économique, politique et médiatique. Le droit d’informer est confisqué et le droit à l’information est mutilé par les médias concentrés et marchandisés qui confondent la liberté de la presse et la liberté du commerce.

6. On ne saurait confondre, comme invitent à le faire les tenanciers des médias commerciaux, et, plus généralement, les tenants du libéralisme le plus débridé, la liberté de la presse et la liberté des entreprises de presse de faire et de produire n’importe quoi, n’importe comment.

- La qualité de l’information ne peut être garantie par le respect de règles déontologiques, si le respect de celles-ci est soumis à des conditions de production de l’information qui incitent à les transgresser en permanence.
- La qualité de l’information ne peut être garantie que dans la mesure où celle-ci n’est pas un pur enjeu de concurrence commerciale, mais résulte d’une conflictualité démocratique effective. L’information est nécessairement un enjeu de luttes et de conflits qui supposent un débat organisé et permanent. C’est donc de la nature même de l’espace médiatique (formes de propriété des médias et de pouvoir des producteurs et des destinataires de l’information) que dépendent la qualité des conflits dont l’information est l’enjeu et le produit.

7. La diversité et la qualité de l’information dépendent donc de ses conditions de production et de diffusion.

- C’est assez dire que les mesures législatives qui protègent les citoyens contre les abus de pouvoir des médias, si elles sont indispensables et peuvent être améliorées, ne doivent pas intervenir sur le contenu de l’information elle-même. De même, si le respect des règles déontologiques doit être intégré aux conventions collectives, il ne peut être assuré si les journalistes ne disposent d’aucun pouvoir collectif sur l’orientation éditoriale des médias dans lesquelles ils travaillent. Ce sont donc les formes d’appropriation, de financement et de régulation de l’espace médiatique lui-même qui sont d’abord en cause.
- On n’en a pas fini avec l’organisation démocratique des droits d’informer et d’être informés quand ont été abolies les formes les plus outrancières et autoritaires d’intervention arbitraire et directe du pouvoir politique. Outre que leur retour reste toujours possible, des médias concentrés et financiarisés, livrés à la propriété privée de leurs actionnaires constituent un péril qui peut s’avérer d’autant plus grand qu’ils peuvent faire alliance avec le pouvoir politique. Partout, ces groupes cherchent à s’opposer à toute forme de régulation de la concentration et de la financiarisation des médias, à obtenir des dérégulations qui leur soient profitables ou à contourner les régulations existantes. Toutes les formes de censures, visibles et invisibles, se multiplient. Les journalistes, consentants ou rebelles, subissent une profonde dégradation de leurs métiers, notamment parce que le journalisme est un laboratoire de la précarité.

8. Le droit d’informer et le droit à l’information étant indissociables, ils ne peuvent être garantis que par le pluralisme.

Contrairement à une illusion et une confusion répandues et entretenues, la diversité des informations et des opinions qui, seule, définit le véritable pluralisme ne coïncide pas nécessairement avec la multiplicité toujours souhaitable des médias. Le pluralisme médiatique n’est garanti que dans mesure où la multiplicité des médias favorise la diversité de la libre information et de la liberté d’opinion.

9. Le droit d’informer et d’être informé, fondements de la liberté de la presse, garantis par un pluralisme véritable, supposent l’indépendance des producteurs d’information et, au premier chef, l’indépendance des journalistes.

L’indépendance des journalistes n’est garantie que dans la mesure où ils ne sont soumis ni à l’arbitraire du pouvoir politique, ni à celui de leurs employeurs, qu’ils soient publics ou privés.

- Le combat toujours légitime et toujours indispensable, souvent prioritaire contre toutes les formes de violence perpétrée contre les journalistes par des forces politiques ou militaires, ainsi que la protection de l’activité des journalistes contre les ingérences arbitraires ou autoritaires (voire dictatoriales) du pouvoir politique ne suffisent pas.
- On ne saurait sous couvert de priorités abandonner la liberté et l’indépendance des journalistes à l’arbitraire des directions entrepreneuriales, managériales et éditoriales, toujours promptes à se mobiliser contre toutes les formes de violence et d’arbitraire, excepté le leur.

10. L’appropriation privée (et concentrée) des moyens d’information et de communication n’est pas une fatalité. L’appropriation publique n’est pas condamnée à virer au contrôle étatique sur l’information.

- Sans doute, l’expérience historique enseigne-t-elle que sous couvert de défense de l’intérêt général (du peuple, de la révolution, etc.), le contrôle gouvernemental sur les médias est une tentation permanente. Mais nous ne saurions confondre ce contrôle gouvernemental avec toutes les formes de garanties et d’aides publiques destinées à préserver et à développer un service public de l’information (du divertissement et de la culture).
- De même, l’expérience historique enseigne que, sous couvert de rentabilité d’entreprises médiatiques qui doivent être en mesure de financer leurs activités, l’assujettissement aux lois du marché finit par imposer la recherche prioritaire de profits. Nous ne saurions confondre les conditions de rentabilité et les conditions de profitabilité qui soumettent les entreprises médiatiques aux intérêts particuliers des groupes financiers et de leurs actionnaires.
- Dans tous les cas, l’appropriation associative est une priorité.

11. Pour ouvrir la voie à des transformations radicales de l’espace médiatique, il est nécessaire prioritairement et conjointement :

- de défendre et de développer le secteur public de l’audiovisuel et lui donner les moyen d’exister comme un véritable service public ;
- de soutenir et de développer les médias associatifs, en les dotant d’un statut et d’un financement qui les protègent contre les appétits toujours féroces des médias privés ;
- de développer la critique des médias, indépendante et radicale, comme composante d’un nouvel espace médiatique.

Mais ce n’est qu’un début...
A suivre...

Henri Maler


 
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