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Des immigrés expulsés à Nantes, ou les recettes d’un verrouillage médiatique

Comment faire pour ne pas rendre compte de façon explicite de la décision d’expulsion prise par le maire de Nantes, le 27 octobre 2004, à l’encontre de trois familles étrangères (deux algériennes et une congolaise) déboutées du droit d’asile ? Comment s’y prendre pour rendre obscure la chronologie et la compréhension des faits ? Comment traiter l’information pour que les responsabilités soient diluées au point de ne plus pouvoir les imputer à quiconque ? A qui et comment donner la parole dans l’écriture d’un article pour construire a posteriori une justification des décisions municipales ?

C’est à ces questions « déontologiques » qu’ont été confrontées les rédactions des deux quotidiens nantais : Presse-Océan et Ouest-France [1]. Pourtant les faits sont là : simples, affligeants, incontestables et leur narration aisée... Trois recettes permettent pourtant de verrouiller l’information

Recette n°1 :
Trouver des titres qui détournent l’attention

Le 27 octobre 2004 à 6h10 du matin, une trentaine de policiers, armés d’un bélier, ont investi la maison des syndicats de Nantes pour expulser les trois familles dont quatre enfants de 18 mois à 8 ans. Déboutées de leur demande du droit d’asile cet été, elles avaient été hébergées depuis par le diocèse de Nantes. Les locaux qu’elles occupaient étant réquisitionnés pour la mise en place du plan hivernal d’hébergement d’urgence, la mairie, contactée par les associations, s’est alors engagée à trouver une solution. Mis pourtant à la rue, fin octobre, c’est avec l’accord de tous les syndicats que le collectif des sans-papiers et le collectif Enfants étrangers citoyens solidaires installent provisoirement les familles dans une salle de la bourse du travail le lundi 25 octobre et pensent leur offrir une protection dans ce lieu hautement symbolique.

C’est pourtant là qu’elles seront arrêtées au matin du 27 par les forces de l’ordre dépêchées par le cabinet du maire et, après un passage en garde-à-vue, placées en détention avec les enfants à 9h 55. Suite au tollé suscité par ces événements les 9 sans papiers sortiront du commissariat central vers 18 h. À 18h30, les forces de l’ordre évacuent sans ménagement la centaine de militants d’association qui occupaient le hall de la mairie. Depuis des arrêtés de reconduite à la frontière ont été prononcés.


Les titres embarrassés de la presse locale, le lendemain, sont à la hauteur de leur gêne à traiter des faits qui touchent à l’image même de la mairie dirigée par J.M Ayrault et viennent fortement contrecarrer les stratégies de la communication municipale. On est loin, en effet, de l’image de Nantes relayée, à l’envi, par les médias ou assénée, dans ces mêmes médias, par l’achat d’espaces publicitaires. « Nantes, l’effet Côte Ouest.... L’émotion fortifie les talents... Un géant tombé du ciel (il s’agit de Royal de Luxe), un quatuor avec piano (il s’agit des "Folles Journées"), c’est stimulant, c’est comme une émulation, un besoin de renouveau... Deux mille chercheurs travaillent à Nantes, inventent le futur, etc. » [2]

Les deux quotidiens nantais ont choisi de ne pas troubler le climat de quiétude consensuelle qui pèse lourdement sur la démocratie participative nantaise [3] et accepté d’être l’instrument d’un brouillage et d’un verrouillage médiatique concernant ces déboutés du droit d’asile. Ouest-France titre « Des sans-papiers gagnent un délai. À Nantes, trois familles étrangères occupaient la Maison des syndicats » et Presse-Océan « Deux familles menacées d’expulsion : la mairie de Nantes occupée » [4]. Allez comprendre avec cela ce qui s’est passé la veille !

Recette n°2 :
Mélanger le commentaire journalistique et la parole des élus

Le mélange entre le commentaire journalistique et la communication politique permet de rendre invisible ce qui est visible.

La journaliste de Ouest-France, loin dans le corps de son article, explique incidemment : « Mais hier matin, c’est l’expulsion. Sans violence (sic). Dans un communiqué, la ville de Nantes (il n’est pas écrit le cabinet du maire) reconnaît qu’elle a donné l’ordre d’évacuer (ce n’est plus une expulsion par la police, suivi d’une arrestation et d’un placement en détention) après avoir cherché, en vain (re-sic), une solution d’hébergement provisoire. » Non, à Nantes, il n’y avait pas de solution d’hébergement provisoire comme le déclare à Presse-Océan l’adjointe au maire, déléguée à la solidarité : « Au titre de la protection maternelle et infantile (on fait dans le social et l’humanitaire à Nantes), nous avons proposé aux familles de trouver (il n’est pas dit : nous avons trouvé) des solutions d’hébergement pour les femmes et les enfants, mais cette solution a été refusée d’emblée (bigre !). Ils (c’est qui ils ?) ne veulent pas être séparés (Quand même, ces étrangers, ils se croient tout permis) » [5].

L’adjointe au maire, devenue pompière pour l’occasion, donne alors le fin mot de l’histoire. Le cabinet du maire n’est pas responsable de l’expulsion mûrement réfléchie qu’il a demandée à la police : «  Les familles étaient dans un lieu municipal. On ne pouvait accepter une telle occupation... C’est un sac de noeuds (re-re-sic) qui nous est arrivé là.. » Et Presse-Océan ajoute son commentaire : « La ville de Nantes (tous les nantais donc ?) ne pouvait faire davantage que d’assurer le relais de la préfecture -faute de pouvoir décisionnaire (re-re-re-sic. Qui pourtant a pris la décision ?) dans cette histoire..." [6]
Ce n’est pas moi, c’est l’autre. Moralité, c’est la fatalité qui a conduit, par hasard, 9 personnes au commissariat.

Recette n°3 :
Ignorer ou minimiser ce qui dérange

A force d’atténuations et de dissimulations, le journalisme de complaisance parvient à laisser entendre qu’il ne s’est rien passé. Dormez braves gens ! On vous informe !

L’affaire aurait pu s’arrêter là, si le mardi suivant n’était inaugurée, à l’initiative de la municipalité, la semaine « Solidaire ici et ailleurs » au centre Cosmopolis. Premier débat où était convié le tout Nantes humanitaire : « Demandeurs d’asile, une chance pour Nantes », illustrée par l’exposition témoignage d’un « grand » reporter photographe.

Comme quoi, la fatalité, quand elle a mauvaise conscience, a le pouvoir de se jouer du calendrier.
200 personnes, rassemblées par les collectifs Enfants étrangers citoyens solidaires et de Soutien aux sans-papiers, se sont invitées au débat. Les bien-pensants d’un côté et de l’autre les trublions avec des banderoles « La droite expulse, la gauche collabore », dans un dialogue un peu chaud. Pourtant, il ne s’est pratiquement rien passé selon Ouest-France [7] et surtout il n’y a rien à en dire de plus qu’une phrase dans un article consacré au collectif des sans-papiers : "A Cosmopolis où démarrait la semaine, ils (les collectifs) ont fait entendre leur voix ". Affirmation amplifiée par Presse-Océan qui lui consacre quatre colonnes au titre particulièrement limpide : « Solidaire ici et ailleurs : les collectifs de soutien aux deux familles algériennes s’invitent au débat. » Pour le journaliste envoyé sur place, l’adjoint au maire présent, Yvon Chotard « a préféré ne pas s’exprimer, estimant que la mairie n’avait rien à ajouter  » [8].

Tous les présents ont constaté le contraire. Après avoir fait pleurer les présents en question sur la misère matérielle de « ces gens venus des pays pauvres », ce membre du barreau nantais, auréolé de ses engouements passés pour la mouvance situationniste, a accusé les membres des collectifs «  d’être instrumentalisés par l’extrême gauche  » et « d’instrumentaliser des enfants et des familles en situation difficile  ».
Il lui a été rétorqué que les personnes arrêtées à Nantes étaient peut-être en France parce qu’elles fuyaient la pauvreté mais d’abord, parce que menacées dans leur pays, elles demandaient le droit d’asile.

On attend encore les clichés du reporter photographe sur cet épisode nantais de leur errance. Il pourrait les sous-titrer : « Nantes, une chance pour les demandeurs d’asile ».


Pierre Nyébolo

 
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Notes

[1Editions du 28 octobre 2004

[2Au hasard des pages de publicité dans la presse hebdomadaire ou quotidienne, nationale ou locale.

[3Mathias Le Galic : « La démocratie participative, le cas nantais » (éditions de l’Harmattan, 2004).

[4Editions du 28 octobre 2004

[5Deux des enfants connaissent des problèmes de santé, en particulier de l’asthme.

[6Edition du 28 octobre 2004.

[7Édition du 3 novembre 2004

[8Édition du 3 novembre 2004

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