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Des habitants d’un quartier populaire grenoblois répliquent à « Envoyé spécial »

Le 26 septembre 2013, « Envoyé spécial », « magazine de la rédaction » de France 2 et émission phare de la chaîne publique en matière de reportages, diffusait un sujet sur le quartier de La Villeneuve, à Grenoble. Plutôt que de revenir, un peu plus de quarante ans après sa création en 1972, sur l’histoire et les transformations de ce « grand ensemble » emblématique d’une certaine utopie urbaine et sociale, le reportage, intitulé « La Villeneuve : le rêve brisé » et toujours visionnable sur le site de l’émission, est une caricature du genre, qui adopte un seul angle : la violence.

Face à la violence… de ce traitement médiatique, des habitants du quartier n’ont pas tardé à réagir. D’abord en lançant une pétition pour exiger un droit de réponse, dont voici le texte :

« Nous habitants de La Villeneuve de Grenoble et de tous les quartiers populaires, citoyens, élus, sommes choqués, blessés et indignés par le reportage diffusé sur France 2 le 26 septembre 2013 dans l’émission "Envoyé spécial" : "Villeneuve, le rêve brisé".

Nous sommes en colère, car ce reportage ne montre qu’une face de notre quartier. En colère car il cède à la facilité et au sensationnel. Il est tendancieux, ce qui est indigne de notre service public de l’audio-visuel.

Ce reportage ruine des années d’efforts déployés des habitants, des professionnels et des élus de notre quartier. C’est inadmissible.

Nous exigeons que soit organisé par France 2 un droit de réponse pour exprimer notre dépit et rétablir la vérité. Nous demandons qu’un nouveau reportage conforme à la réalité soit diffusé à une heure de grande écoute, dans le cadre d’une nouvelle émission d’Envoyé spécial. »

De surcroît, de nombreux habitants du quartier ont laissé des commentaires de protestation sur le site de l’émission, souvent cinglants, dont les extraits qui suivent pointent la construction éhontément racoleuse, univoque et unilatérale du reportage, tout en tentant de rétablir, sans l’édulcorer, une certaine vérité sur ce qu’est la réalité de ce quartier. En tout cas, ces quelques lignes sont infiniment plus riches et suggestives que les trente longues minutes que dure le reportage :

 « Certes il y a des problèmes de violence, comme dans n’importe quel lieu où la précarité est présente de manière forte, et nous devons en être conscient et œuvrer pour améliorer cela, et c’est d’ailleurs ce que la majorité des habitants font, pourquoi ne parlez-vous pas de cela ? Pourquoi ne parlez-vous pas de toute les actions menées par les associations sportives, sociales et culturelles du quartier, de tous les événements et les activités organisés chaque année. "Le rêve de mixité et de diversité" est bel et bien présent mais vous avez refusé de le filmer. »

 « "Reportage" du niveau d’Enquête d’action sur W9... Parti pris pitoyable et réducteur. Sur les 14000 habitants du quartier, on ne voit qu’une dépressive longue durée, une mère célibataire qui galère, des teneurs de murs, une poignée d’intellos de la première heure... Quelle rigolade ! On commence par une immersion en zone de non droit aux côtés des flics, et on termine par les Roms, qui même eux ont du mal à s’intégrer tellement c’est le ghetto !!

Il y a les "autres" habitants (les 13980 et quelques) mais c’est vrai qu’ils ont peur de prendre la parole... peur de quoi de qui on ne sait pas mais peur quand même, et c’est bien là le message que vous voulez faire passer. Et puis ils ne sortent pas la nuit alors que voulez-vous…

La présentation du "reportage" laissait pourtant penser (espérer) qu’il y aurait un regard plus objectif de la situation du quartier, mais non. Votre pauvre journaliste a mis des semaines (sic) à pouvoir entrer en contact avec les jeunes du quartier... La pauvre... Ça devient dur pour les journaleux de vendre de la peur aux gens.

La situation du quartier est dure, il ne faut surtout pas édulcorer les choses, mais vos 30 minutes de parano sont une INSULTE aux gens qui y vivent et surtout à ceux qui s’investissent dans la vie de ce quartier. »

 « Quel reportage bidon !!! Moi j’achète tout juste - ingénieur avec 20 ans de métier, est ce que ça fait de moi un de ces "plus précaires qui seuls acceptent de s’ [y] installer" à la Villeneuve ???

Mais je connais les squats des couloirs dans les blocs les plus extérieurs de l’Arlequin, avec les types qui fument le cana vers 19h et s’abîment à l’alcool lourd tout à la fois jusque vers les 3 heures du mat. Et ça oui c’est l’enfer pour les habitants du bloc en question - les vrais (car en plus, parfois les squatteurs viennent d’ailleurs de la cité Mistral à 5 km de là).

Mais je connais aussi le parc (magnifique) avec les mômes dans le lac quand il fait bien chaud - ambiance plage. Et une foultitude de services. Et les meilleures bibliothèques de Grenoble. Et la vue sur les montagnes depuis les appartements - qui ne sont pas vilains d’ailleurs. Et le marché le samedi. Et puis de la convivialité, extrêmement sympa.

Autre chose qu’une cité dortoir impersonnelle genre Meylan-le-Haut/la ZIRST, là c’est un ghetto, un vrai, où on ne croise que des gens tous pareils, des cadres, chacun y vit de son coté, c’est triste à mourir, non ? Et à Saint-Ismier, Biviers, vous y croisez de la profession libérale, du politique, du cadre dirigeant ou de la Marie-Chantal, c’est pas folichon, n’est-ce pas ?

Vous avez beau dire, à la Villeneuve, il y a bien - sporadiquement - des événements qui sont très énervants voire insupportables pour les quelques qui sont en contact direct (et pour eux, ce n’est pas sporadique mais permanent). Mais il y a d’autres aspects qui au contraire sont réjouissants et qu’on ne trouve pas ailleurs, et ça il n’en est pas fait état le moins du monde dans le reportage. En fait, Madame Chambelland fait une confusion entre une petite partie de la Villeneuve, et un projet politique des années 70, ce qui est autre chose, et encore la réalité de l’ensemble urbain actuel (car au bout du compte, il y a un parc et plusieurs petites Villeneuve différentes tout autour) et ça c’est encore autre chose, etc. Il lui faudra donc revenir pour réviser sa copie, et apparemment il lui faudra du temps pour y comprendre quelque chose puisqu’elle dit y avoir passé plusieurs semaines. Je crois qu’elle devrait y venir aménager.

Cordialement.

(Que les habitants de Meylan-le-Haut et Saint-Ismier me pardonnent, mais il paraît qu’on peut se lâcher et raconter n’importe quoi des lieux de vie des uns et des autres, aussi je ne me suis guère gêné).

Un Échirollois »

 « Garder les œillères pour juger toute une population d’un lieu que vous ne connaissez pas est la plus incroyable preuve de votre incompétence.

Tout d’abord, il est inconscient de votre part de penser pouvoir comprendre un quartier sans même y avoir habité. Le reportage est certes un exercice difficile mais dont toute la richesse doit résider dans l’ouverture d’esprit des réalisateurs. Vous vous êtes contentés d’arriver avec vos aprioris dans le seul but de documenter vos idées préconçues, puis de recracher tout cela joliment enrobé de musique angoissante, agrémenté des témoignages les plus extrêmes. Youpi, ça fait vendre.

Bien sûr qu’il y a de la violence, qu’il y a de la déception parmi les sentiments qu’on peut ressentir en vivant ici. Mais s’arrêter à ce constat alarmiste, ce n’est pas du journalisme. Vous ne vous êtes pas réellement demandé comment et pourquoi les choses ont dégénéré. Il n’y a rien là dessus. Rien non plus sur les initiatives des associations et des habitants. Heureusement que l’avis des officiers de Police est là pour nous éclairer.

Vous trouvez cela difficile de venir à la rencontre des gens, de trouver des témoignages, mais n’est-ce pas normal, connaissant l’image que les Médias (désormais vous y compris) véhiculent de notre Quartier ? Évidemment, lorsqu’on voit arriver des caméras et leurs gros sabots, leurs grosses idées inébranlables, leurs profondes questions (“Est-ce que vous avez peur ?”), on sait d’avance comment cela va finir.

Donnez-nous tort ! Montrez-nous qu’on peut faire du reportage intelligemment ! Que vous êtes prêts à changer d’avis ! Qu’il y a un humain derrière votre caméra, une âme derrière votre obligation d’audimat ! Mais non. Rien.

Après tout cela, vous parlez de réactions positives dans les Médias, mais n’écoutez décidément que celles qui vous encensent. Maintenant que vous êtes bien contentes de soulever la polémique, vous oubliez un peu plus l’impact désastreux que vous avez sur ceux qui se battent chaque jour pour faire avancer les choses et changer l’image de notre quartier.

Chapeau bas à votre bonne conscience qui arrive à fermer les yeux sur tout cela. À quand un reportage sur l’étroitesse d’esprit des journalistes, et les cerveaux en autarcie, repliés sur eux-mêmes ?

Envoyé spécial ? Non. Envoyé PARTIAL. »

Nous n’avons rien à ajouter !

 
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