Les mines sont défaites sur le plateau de Pascal Praud, mercredi 5 novembre (CNews, Europe 1). Le bandeau affiche « Un maire pro-palestinien élu à New-York » et le présentateur se lance dans le petit édito qui introduit chacune de ses émissions : « L’élection de Zohran Mamdani à New York n’est pas une surprise… » soupire Praud, manifestement dépité, « elle consacre un candidat socialiste […]. Mamdani est musulman, il se présente comme tel. […] Il condamne le 7 octobre du bout des lèvres, mais condamne aussi Israël, qu’il accuse d’apartheid… » Passée cette présentation sommaire, qui coche méthodiquement toutes les cases de la diabolisation, Praud tente, avec la même finesse d’analyse, une lecture sociologique de l’événement politique : « Les bobos de New York ressemblent aux bobos de Paris » avance l’animateur, qui estime que cette « jeunesse diplômée mais appauvrie […] est prête à tout, y compris la violence, pour faire changer les choses ». L’auditeur inattentif a peut-être perdu le fil à ce stade : la « violence » dont il est question ici est en réalité la victoire électorale d’un candidat démocrate dans une des villes les plus riches du monde.
« Un candidat quasi-ouvertement antisémite »
La suite de l’émission est à l’avenant : l’ancien député RN et chroniqueur Gilbert Collard affirme que « c’est un vote qui va vers un candidat affiché comme antisémite ». « Oui, bien sûr, confirme Pascal Praud, parce qu’il y a aussi ce vote communautaire ! » Voilà l’analyse du vote « bobo » complétée par un vote « communautaire » [des New-Yorkais musulmans, NDLR] que Pascal Praud relie tout naturellement à la question de l’antisémitisme. Le « vote communautaire » et « antisémite » attribué aux musulmans est un tel « ça va de soi » sur le plateau de CNews que personne ne le conteste : « Comme en France, l’antisémitisme est devenu un outil de conquête du pouvoir », abonde plutôt Éric Naulleau, qui voit deux visages chez Mamdani, l’un « sémillant » et l’autre « inquiétant ». Mamdani est à la fois « le représentant du communautarisme radical musulman », selon Gilbert Collard, et un militant pour les droits des personnes trans. Une contradiction apparente que Naulleau résout, comme d’habitude, par le soupçon de dissimulation de sa vraie nature, qu’il est devenu commun de prêter à n’importe quel musulman : « Il y a de la taqiya chez cet homme, il faut bien le dire… »
« Un maire antisémite à New York ? », se demandait déjà Bernard-Henri Lévy dans son « bloc-notes », quelques jours plus tôt (Le Point, 29/10). Le point d’interrogation ne portait pas sur l’antisémitisme de Zohran Mamdani, qui ne fait aucun doute dans son papier, mais plutôt sur l’éventualité de sa victoire : « Les jeux, bien sûr, ne sont pas faits, écrit le « philosophe », mais « ce serait une date noire pour les Juifs de New York ». « Sa victoire serait un signal d’alerte pour les juifs new-yorkais ? », demande le journaliste Steve Nadjar sur Radio J (3/11). « Bien sûr, bien sûr, lui répond Christophe Barbier, mais d’ailleurs, une partie de la communauté juive est favorable à ce candidat, parce qu’ils voient le démocrate, avant de voir l’antisioniste soupçonné, et soupçonné à juste titre ! » Soupçonné de quoi ? Barbier ne le dira même pas, puisque c’est un autre « ça va de soi ». Dans Le Point, Frantz-Olivier Giesbert explose de rage (5/11) :
L’ignardise et le panurgisme sont devenus les deux mamelles de notre époque. C’est ainsi que, selon les sondages, 16 % des Juifs de New York s’apprêtaient, avant le vote de mardi, à voter pour Zohran Mamdani, candidat quasi ouvertement antisémite à la mairie de la ville. Si ce n’est pas de l’inconscience ou de la haine de soi, c’est de la bêtise.
L’éditorialiste du Point, qui pense voir un candidat « quasi ouvertement antisémite », se croit donc autorisé à prescrire un comportement électoral en fonction d’une appartenance religieuse, et parle de « haine de soi » pour les juifs qui ne s’y conformeraient pas. Des esprits taquins pourraient voir dans cette mobilisation de la figure du « juif honteux » un trope antisémite classique. Mais FOG n’est pas le seul à se permettre cette audace. Dans un trop long (et laborieux) portrait, Causeur prévient : « Si beaucoup de juifs de New York […] partagent certaines positions progressistes, l’élection de Zohran Mamdani à la mairie, [aura] des conséquences inévitables au sein, et peut-être à l’encontre, de cette communauté. » Le magazine d’extrême droite décrit Mamdani comme un « marxiste-léniniste », « un narcissique déraciné de naissance », « qui n’est chez lui nulle part »… Et les esprits les plus taquins pourraient voir ici un autre trope raciste, d’ailleurs souvent dirigé contre les juifs. Le journal Franc-Tireur cotise également (29/10), avec un « portrait qui fâche », dans lequel Mamdani est décrit comme un « proche des mouvements fréristes », qui « affiche fièrement son islamogauchisme », « prototype chimiquement pur de la gauche woke et pastèque », et « candidat intifada », rien que ça. Des éléments qui seront recyclés à l’antenne de LCI par Abnousse Shalmani (5/11), qui parle elle aussi d’un « proche des frères musulmans », qui « porte avec morgue le discours antisioniste et antisémite », derrière une façade sympathique : « En résumé, Mamdani ratisse large tout en sourire et en volonté de faire payer les riches pour assurer une vie paradisiaque aux pauvres… Je rappelle pour les distraits que cette grande idée a souvent fini dans des charniers… »
« Frériste », « quasi ouvertement antisémite », « islamogauchiste », « musulman » : la chroniqueuse Céline Pina en avait assez pour conclure et va décrocher haut la main, et en un seul tweet, la palme de l’ignominie raciste : « New-York s’est donné à un islamiste », écrit-elle en partageant un montage qui rapproche une photo de Mamdani et les attentats du World Trade Center, surmonté de ce commentaire : « 2001, n’oublions jamais – 2025, nous avons oublié ». Un dérapage authentiquement raciste, qui consiste (parce qu’il est musulman) à assimiler Mamdani à un terroriste.
L’œuvre a eu l’air de plaire à sa consœur, Tristane Banon, chroniqueuse régulière sur France Info et membre de la clique Franc-Tireur, qui s’est empressée de la repartager… avant de la retirer face au tollé, tout en réitérant son amalgame raciste : « J’ai retiré mon post, car si l’image est trop forte, et choque même ceux qui savent parfaitement les accointances de Zohran Mamdani avec l’islamisme, c’est qu’elle est mauvaise. Il faut savoir admettre ses erreurs… » La petite sphère printaniste s’était visiblement repassé le mot [1], puisque l’inénarrable Florence Bergeaud-Blackler ira aussi de sa comparaison avec le 11 septembre : « La victoire de Zohran Mamdani est celle de la vision d’Edward Said, du postcolonialisme et de l’antisionisme. Certains s’en réjouissent, les tours jumelles retombent. »
« Ce serait un jour noir pour les juifs de New York. »
Mais « l’antisémitisme » de Mamdani n’est pas une évidence que dans les éditos bourrins des chaînes d’infos, dans les blocs-notes des magazines réactionnaires de milieu de semaine, ou dans les tweets de fin de soirée d’une éditorialiste d’extrême droite. C’est un lieu commun que l’on peut également entendre dans des salons plus feutrés, comme dans « C ce soir », l’émission de France 5 présentée ce soir-là par Camille Diao (4/11). La séquence vaut le coup d’être citée en longueur, puisqu’elle déplie (et démonte, pour une fois) l’un des petits arrangements avec la vérité sur lesquels s’appuie l’éditocratie pour peindre Mamdani en candidat « quasi ouvertement antisémite » :
- Laure Adler : Il a dit des choses très ambiguës quand même sur Israël, il a fait des déclarations quand même absolument consternantes…
- Lumir Lapray (« activiste ») : Lesquelles ?
- Laure Adler : Ben, quand il a parlé du « talon de la police de New York qui était lacée par l’État d’Israël », je ne sais pas comment il faut comprendre ça si ce n’est comme une remarque antisémite ! En tout cas plus qu’ambiguë…
- Lumir Lapray : Alors j’avoue que je n’ai pas…
- Laure Adler : Si si, ben alors j’vous montrerai, mais ça a été dans tous les journaux, à la Une de tous les journaux…
- Gallagher Fenwick (journaliste américain) : La citation exacte c’est « Quand le pied de la NYPD est sur votre cou, la chaussure qui est sur ce pied est lacée par l’armée israélienne… »
- Laure Adler : Et ben vous appelez ça comment ?
- Gallagher Fenwick : C’est une réalité. C’est qu’il y a une coopération entre la police new-yorkaise, qui fait des entraînements avec l’armée israélienne. Ils collaborent ensemble régulièrement sur des exercices, ce sont des faits, qui sont documentés, qui sont connus… Il s’est expliqué à de multiples reprises sur cette citation…
La réponse installe un silence sur le plateau : les « Unes des journaux » qui qualifiaient Mamdani d’antisémite sur la base de cette affirmation étaient apparemment parvenues jusqu’à Laure Adler… mais pas les multiples explications de l’intéressé à propos de cette citation reprise à l’envi, qui se fondait donc sur des faits parfaitement établis.
Ce qui n’empêchera pas BHL de répéter ce demi-mensonge à l’antenne de RTL (5/11) : « Vous dites que Zohran Mamdani est un antisémite, qu’est-ce qui vous fait dire ça ? », lui demande Anne-Sophie Lapix. « Ses propres déclarations ! » répond BHL en étouffant un sourire, « par exemple, […] quand il déclare que lorsqu’un New-Yorkais sent sur la nuque la botte d’un policier du NYPD, cette botte a été lacée par l’armée israélienne ». Cette fois, l’interprétation fallacieuse ne rencontrera pas de contradiction.
Dans un salon encore plus feutré, la matinale de France Culture, une autre intox venue d’Amérique est arrivée aux oreilles de Guillaume Erner, qui la reprend à son compte dans sa première question à son invitée, la chercheuse Ludivine Gilly (5/11) : « Le communiste Mamdani, je dis communiste, parce que c’est comme ça que le qualifie Trump… » – et que c’est donc une raison suffisante pour le répéter. Erner se fait ensuite l’écho d’autres « critiques virulentes » portées contre Mamdani par ses adversaires : « anti-police », « antisémite supposé ». Où l’on remarque que l’assaut éditorial contre le nouveau maire de New York n’est en fait qu’un pâle décalque de celui qu’a pratiqué pendant des mois la presse américaine, où le « surnom de communiste [est une insulte] », rappelle Le Monde (5/11).
« Même le très démocrate "New York Times" a publié des articles peu flatteurs et n’a pas endossé sa candidature », résume sobrement Solveig Godeluck dans Les Échos (3/11), qui rappelle que le tabloïd de Rupert Murdoch The New York Post « a appelé à voter contre "le socialiste radical, antisémite" » et « a pilonné le candidat avec des couvertures ». Le jour de la victoire du candidat socialiste, le tabloïd ne s’est d’ailleurs pas embarrassé de subtilités et a titré « The Red Apple », en plaçant une faucille et un marteau entre les mains de Zohran Mamdani dans un montage grossier.
Quelques jours plus tôt, le Wall Street journal avait publié une tribune de BHL (29/10), qui y avait répété son adage : « Ce serait un jour noir pour les juifs de New-York. »
Le torrent de boue qui a déferlé dès que l’élection du candidat socialiste à la mairie de New York a semblé se préciser n’était pas inédit. En juillet déjà, alors que Mamdani remportait la primaire démocrate, le magazine Rolling Stones, remarquait (2/07) : « Pour obtenir l’investiture démocrate à la mairie de New York, le jeune musulman progressiste a été confronté à une déferlante de désinformation haineuse. » L’article du magazine new-yorkais, connu pour son top 100 du rock’n’roll, était sobrement titré : « Démontage de toutes les con*eries concernant Zohran Mamdani ». Il est amusant d’y retrouver toutes celles entendues dans le débat français : « Mamdani n’est pas un communiste », « Mamdani n’a aucun lien avec le 11 septembre ni avec le terrorisme », « Mamdani n’a jamais rien dit ou fait d’antisémite » liste le magazine, en repartageant son enquête (4/11). De la même façon, le service Checknews de Libération (6/11) s’est attelé au démontage du « portrait qui fâche » de Franc-Tireur et aux rumeurs de proximité avec « les frères musulmans » qui étaient, surprise, le résultat d’amalgames et d’approximations. Une nouvelle fois, on a pu constater que le « débunk », s’il était salutaire sur le fond, était cependant impuissant pour empêcher une nouvelle déferlante. Nous le savons à force de le documenter : ce n’est pas le « bullshit » qui arrête l’éditocratie.
Jérémie Younes




