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De quoi la mort du Ravi est le nom

par Sébastien Boistel,

Nous publions sous forme de tribune [1] un texte du journaliste au Ravi Sébastien Boistel. (Acrimed)

Après 19 ans d’existence, le mensuel associatif régional d’enquête et de satire le Ravi vient de mettre la clé sous la porte. Retour sur l’histoire tourmentée d’un titre dont la disparition en dit long de la fragilité du tiers secteur médiatique.

En réaction à la disparition du Ravi, mensuel régional satirique d’investigation sévissant dans le sud-est depuis près de 20 ans, on aura tout eu : hommage d’anciens pigistes, soutien de dessinateurs et des acteurs de l’éducation populaire, un tweet d’Edwy Plenel, un mail de Xavier Niel, retours plus ou moins surprenants d’élus écologistes mais aussi frontistes (!), des papiers dithyrambiques dans l’Huma, La Provence, Mediacoop… et même « Sk8er Boi » d’Avril Lavigne chanté à tue-tête vers 6 heures du matin des derniers forcenés de l’apéro d’enterrement.

Mais pas l’once d’une réaction (à une poignée d’exceptions près) de la mairie « divers gauche » de Marseille. Le paiement à la dernière minute de la facture des actions d’éducation aux médias menées cet été dans les 4ème et 5ème arrondissements aura tout de même permis d’honorer les dernières factures et d’imprimer un ultime numéro de 4 pages pour annoncer que le « journal qui ne baisse pas les bras » jette l’éponge.

L’association La Tchatche, éditrice du titre, a été liquidée le 20 septembre, les six salariés n’ont plus qu’à traverser la rue pour trouver du travail. Lors de l’audience, le 13 septembre, la juge ne cache pas son étonnement : « Le journal existait depuis 19 ans ?! Quand même ! » le Ravi : un vétéran.

Pourtant, à l’origine de ce canard mêlant le sérieux de l’investigation et l’outrance du dessin de presse, ce ne sont pas des journalistes mais des chercheurs, des sociologues voulant combler un vide dans une région aux allures de vivier pour qui aime à porter la plume dans la plaie : corruption, extrême droite, gestion singulière de l’urbanisme, de l’environnement, de la culture… D’où l’idée d’un journal à l’image de ce personnage de la crèche, une sorte de benêt qui n’hésite pas à mettre les pieds dans le plat.

La Une du « n°0 » annonce la couleur avec une bouteille de détergent. Ça grince sévère ! La Tchatche a pour ambition d’animer « la vie démocratique ». Grâce au mensuel mais aussi en s’invitant dans l’espace public, avec des débats, des festivals... Et en animant des ateliers d’éducation aux médias et de journalisme participatif, en milieu scolaire, en prison, dans des centres sociaux.

Mais la vie du Ravi n’est pas un long fleuve tranquille et, très vite, les appels à soutien fleurissent. En 2009, en Une du numéro 68, on peut lire : « Il doit y avoir un Ravi à Noël ! » Des appels, de plus en plus fréquents, l’équipe lançant plusieurs « Couscous Bang Bang » (la version « Ravi » du crowdfunding), des concerts, des soirées...

Il faut dire que ce titre, contrairement à bien d’autres, a l’outrecuidance de payer celles et ceux qui le font. Mal, souvent par le biais de contrats aidés mais payer quand même, avec la volonté de titulariser le maximum les salariés. Pas simple pour un journal satirique et d’enquête qui, par nature, ne se fait pas que des amis. Pire, le Ravi refuse, sinon à la marge, la pub. Quant à sa diffusion, elle est modeste : quelques centaines de numéros en kiosques, moins de 2 000 abonnés et un soupçon de vente militants.

D’où la nécessité de trouver d’autres ressources, notamment grâce aux actions d’éducation aux médias et aux ateliers de journalisme participatif, qui sont le prolongement naturel de la ligne éditoriale visant à donner la parole à ceux qui ne l’ont pas. Mais pas simple de se démultiplier. Même si le Ravi la jouera, très tôt, collectif. Au-delà des coups de main et des enquêtes communes avec d’autres médias, le mensuel organise fin 2013 les « premières rencontres nationales de la presse pas pareille » et sera, par la suite, de toutes les manifestations et autres assises, participant à la naissance de Médias Citoyens Paca ou, en ce moment, du Syndicat de la PPP. Las, il aura fallu attendre la tuerie de Charlie pour que les pouvoirs publics daignent accorder un peu d’attention au tiers secteur médiatique et mettent en place un fonds spécifique (le fonds de soutien aux médias d’information sociale de proximité), hélas, bien trop modeste.

Quant aux édiles locaux, ils sont Charlie mais pas vraiment Ravi ! Si le mensuel baisse le rideau, c’est en grande partie du fait de l’absence de soutien des collectivités locales qui, pourtant, dépensent dans l’opacité la plus totale des centaines de milliers d’euros pour leur com’. Rien depuis deux ans du Département (dirigé par l’ex-LR et désormais macro-compatible Martine Vassal) malgré les interventions du Ravi dans les collèges), zéro euro de la Région alors que son président Renaud Muselier (lui aussi ex-LR et désormais macroniste) avait commis un ouvrage sur le célèbre caricaturiste Daumier. Et rien de la ville de Marseille ! Certes, avec Jean-Claude Gaudin, on était habitué ! Mais le Printemps Marseillais avait promis de soutenir les médias indépendants. Las, il se réveillera trop tard avec une pub dans le dernier numéro du Ravi… qui, pour la petite histoire, n’est toujours pas payée…

Cerise sur le gâteau ? Alors que le Ravi a participé fin juin au jury pour l’attribution du Fonds de soutien aux médias d’information sociale de proximité, trois mois plus tard, toujours pas de nouvelle sur l’attribution des enveloppes ! Cela n’aura pas empêché l’un des responsables du fonds de faire les gros yeux cet été, affirmant que des infos sur les arbitrages auraient « fuité » et menaçant de ne plus solliciter d’avis extérieur pour trancher sur l’octroi de cette aide, passablement insuffisante au demeurant.

Bref, malgré un appel à don sans précédent dans l’histoire du titre – 65 000 euros sur les 100 000 visés, du jamais vu ! – après 19 ans et la fatigue aidant, l’équipe, hésitant à se lancer corps et âme dans une « Ravilution », finira par jeter l’éponge.

De quoi la fin du Ravi est le nom ? Celle d’une aventure aussi belle que complexe, comme le sont toutes celles éditoriales et, qui plus est, associatives. Avec parfois des réalités pas si éloignées de ce livre publié chez Niet Te plains pas, c’est pas l’usine… L’équipe a toujours été en surrégime, en permanence à deux doigts du burn out et n’aura pu prendre le temps de se poser afin de repenser le journal et ses interventions. Si la satire et l’enquête sont on ne peut plus complémentaires, difficile d’être partout à la fois, notamment pour couvrir toute une région, alors que, dans le même temps, il faut filer d’une école à la prison, d’un centre social à un débat sur les médias… Sans parler du site web, des dossiers d’appel à projet ! Autre volet toujours en chantier : celui du rajeunissement et de la féminisation de l’équipe…

La « Ravilution » n’aurait pas été un dîner de gala. Mais elle n’aura finalement pas lieu. le Ravi est mort et peut-être que des « ravis » redresseront les bras. En attendant, ce que l’on constate, c’est que le Ravi n’est pas le seul à être en difficulté. « Pause » de notre cousin l’Arlésienne, inquiétude du mensuel écolo l’Âge de Faire se demandant s’ils seront encore là « à Noël », appel du média des luttes Basta à chacun de ses lecteurs pour qu’il devienne leur « AMMI » (quelqu’un qui « agit pour le maintien d’un média indépendant »)…

Hausse des coûts du papier, de la distribution, le tout sur fond d’une crise autant économique que médiatique puisqu’il faut faire face à la « fatigue informationnelle », à la méfiance voire à la défiance… Et, face à ces défis, alors qu’on n’a jamais autant eu besoin d’information, la réponse des pouvoirs publics est d’une indigence crasse. Passons sur l’incurie des collectivités locales ou sur la réactivité à géométrie variable des Drac.

L’indigence, elle est du côté des pouvoirs publics et notamment du ministère de la Culture, tout juste bon à distribuer des miettes. Après, lorsqu’on voit la politique de démantèlement de l’audiovisuel public, on se dit que le sort du tiers secteur médiatique doit leur apparaître pour le moins secondaire. Les mêmes qui prônent la lutte contre les « fake news »…

Dans un pays où ce sont des initiatives privées qui viennent pallier les défaillances étatiques en matière de défense du pluralisme, le « projet pour une presse libre » de Pierre Rimbert du Monde diplomatique est on ne peut plus d’actualité. Comme la création d’un Syndicat de la Presse Pas Pareille. Et tout cas, si tout cela se mettait en place, on en serait… Ravi !


Sébastien Boistel, futur-ex journaliste du Ravi

 
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Notes

[1Les articles publiés sous forme de « tribune » n’engagent pas collectivement l’association Acrimed, mais seulement leurs auteurs dont nous ne partageons pas nécessairement toutes les positions.

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