Daniel Schneidermann s’attarde, pour commencer, sur le rôle que Luc Ferry fait jouer, pour les besoins de sa « communication », aux images de ses propres filles. Ainsi se trouve partiellement justifié le titre de la chronique : « Ferry et les ferrinettes ».
Quand vient le moment de la révolte :
« En apparence tout va bien, mais la colère rôde, si proche. Cette colère des profondeurs. Cette noire colère contre tous ceux qui parlent, qui possèdent, qui décident, qui sourient. Cette colère des profs grévistes aux feuilles de salaire amputées, des intermittents sans horizon, des urgentistes aux mains nues, cette colère on ne l’a jamais sentie plus proche, plus sourde, qu’en cette rentrée. Et quand s’interrompt la grand- messe sorbonnarde de Luc Ferry, quand la chaîne, après quelques minutes, envoie un vieux Maigret comme un aveu de défaite, c’est cette colère que l’on sent tout de suite déborder de l’écran et envahir le salon. Faut-il l’avouer ? Dans une première réaction irraisonnée on partage cette colère, on se sent vengé. Vengé des flots de ce sirop tiède qui coule de la bouche du ministre, de cette duplicité que l’on devine sans pouvoir la démontrer derrière ses esquives, de cette exploitation des ferrinettes. »
L’ « aveu » de Daniel Schneidermann - cette « réaction irraisonnée » qui lui fait partager le péché de « colère » - sera suivie d’une rétractation. Mais le chroniqueur prend son temps.
– Le temps d’abord de nous faire partager le souvenir d’une « interminable » attente :
« Mais après dix interminables minutes l’image revient, et Jack Lang remplace Maigret. Et c’est un rituel familier qui reprend ses droits, le traditionnel débat télévisé, droite contre gauche, mon bilan contre votre budget. Avec un avantage à Lang, d’ailleurs, qui conquiert d’emblée un ascendant professoral sur son successeur. Enfin on se retrouve entre soi. (…) ».
– Le temps ensuite d’une « interminable » réflexion. Car le « rituel familier », en apaisant la « colère » de Daniel Schneidemann , lui permet de reprendre ses esprits :
« Il faut du temps, beaucoup de temps, d’interminables minutes, pour que le sabotage anonyme de l’émission retrouve le nom qu’il devrait porter : une censure. Une belle et bonne censure. Et que la victime en soit un ministre en exercice n’y change rien. »
Ainsi, Daniel Schneidermann appelle les choses par leur nom : une « interruption momentanée de l’image et du son » (dix minutes qui valent à ses yeux une éternité) serait « une belle et bonne censure ». Ne chipotons pas sur les mots : une censure temporaire est indiscutablement une censure, … mais temporaire. Si Daniel Shneidermann n’y prête pas attention, c’est sans doute que pendant dix minutes, il a trouvé le temps long.
Et cette « réaction irraisonnée » lui fait oublier des semaines de censure, peut-être moins voyante, mais autrement plus efficace, qui a pesé sur les motivations effectives et les propositions alternatives des grévistes et manifestants du mois de mai. Le « sabotage » qui a permis de les priver de parole, même lorsqu’on affectait de leur donner, n’a pas de nom officiel, mais « censure » est un terme qui lui conviendrait assez bien…
– Pourtant, aussi prolongée que soit la réflexion de Daniel Schneidermann, elle esquive ce motif de colère en dépit du temps qu’elle prend encore :
« Mais il faut d’interminables minutes pour parvenir à se souvenir que l’on n’a pas encore inventé mieux que le débat démocratique, l’élection au suffrage universel, les controverses courtoises au risque de la connivence, moins redoutables, à tout prendre, que la censure anonyme. »
Toutes les « interminables minutes » accumulées donnent ce piètre résultat : que l’ordre médiatique soit !
« L élection au suffrage universel », que nul ne conteste, fait ici de la figuration. Le « débat démocratique », que chacun apprécie, est évidement confondu avec sa mise en scène médiatique. Les « controverses courtoises au risque de la connivence », elles, assurent le spectacle. Outre les « rituels familiers », elles désignent ici les émissions d’ »Arrêt sur image » ou les tractations qui permettent de sublimer la censure en obligation d’obéissance volontaire. Lire, une fois encore, « Daniel Schneidermann, censuré volontaire »
A moins que ces « controverses courtoises » ne fassent référence aux intenses négociations qui ont couronné les mouvements sociaux du printemps et le mouvement des intermittents du spectacle !
Résultats des « interminables minutes » de méditation (ou de « médiatation ») : une défense courtoise de la démocratie mutilée.