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Brèves d’Europe

Pas passionnante, la campagne européenne ? Ce n’est pas à nous d’en juger. En revanche, comme nous l’avons maintes fois souligné – et encore ci-dessous –, force est de constater l’attitude ambiguë des médias dans cette élection. Tout en accusant les politiques de ne pas parler de l’Europe, et les électeurs de ne pas s’y intéresser, ils n’ont pas fait beaucoup mieux – regardant ailleurs, les yeux fixés sur l’audimat ou la courbe des ventes, préférant suivre l’agenda présidentiel et mettre en lumière les querelles de personnes et de clans.

Si les politiques s’étaient montrés plus habiles ou plus incisifs, les médias auraient-ils été plus passionnés et passionnants, au point de susciter plus d’enthousiasme pour ce scrutin ? On est en droit d’en douter.

Avançons une hypothèse : l’abstention ne serait pas liée à la tiédeur de la campagne mais à l’ampleur de la crise sociale que l’Europe semble impuissante à juguler et à la nature même de la construction européenne… dont les médias dominants se font les défenseurs. Un « non » en mai 2005 métamorphosé en « oui » deux années plus tard a de quoi laisser perplexe. Et sur ce point, les médias sont restés… encore plus silencieux.

Le pluralisme selon France 2

France 2 est une chaîne de service public, garante du pluralisme, et Yves Calvi est un grand adepte de la démocratie, défenseur de la diversité.

La preuve ? L’émission « Mots croisés » du lundi 25 mai 2009, diffusée sur France 2 et animée par Yves Calvi, était consacrée à la campagne des élections européennes. L’occasion de parler d’Europe… mais de quelle Europe ? De celle qui répand ses bienfaits sur le quotidien des gens, qui étend son bouclier (invisible) contre les crises économiques, le terrorisme, voire les tremblements de terre ? Erasmus, la paix, la même monnaie, etc. ? Ou de l’Europe telle que la décrivent ceux qui ne partagent pas cette vision idyllique ? Qu’on en juge…

Car dans cette émission, pour parler de tout cela, donc, et accessoirement des élections à venir, étaient réunis, autour de l’animateur, Marielle de Sarnez, tête de liste Modem en Ile-de-France, Daniel Cohn-Bendit, tête de liste Europe écologie en Ile-de-France, Michel Barnier, tête de liste UMP en Ile-de-France, Harlem Désir, tête de liste PS en Ile-de-France, Brice Teinturier, directeur général adjoint de TNS Sofres, Alexandre Adler, éditorialiste au Figaro et à France Culture, Claude Askolovitch, rédacteur en chef au Journal du Dimanche et éditorialiste à Europe 1, Jean Quatremer, correspondant à Bruxelles pour Libération.

Et si l’on fait les comptes, les huit personnes invitées ont voté « oui » lors du référendum sur le TCE en 2005 [1]. Alors, afin de donner l’illusion d’un débat, l’illusion d’une diversité, Nathalie Artaud, porte-parole de LO, et Nicolas Dupont-Aignan, président de Debout la République, tout deux « nonistes », se sont vu octroyer généreusement la parole… en duplex !

La Tribune parle d’Europe (un peu…)

La presse « économique » a-t-elle plus (ou moins) suivi la campagne des européennes ? Nous avons observé un quotidien, La Tribune, sur la période allant du 19 mai au 7 juin, jour des élections européennes, en observant la « une » et la rubrique politique. Bilan : cette campagne a fait deux fois la « une » : la première fois, le 23 mai, pour donner « 27 bonnes raisons d’aller voter le 7 juin », la seconde, le 5 juin, avec un titre qui sonne comme un aveu : « Pourquoi l’Europe ennuie autant ».

Naturellement, pour comprendre « une campagne engourdie  », «  marquée par l’absence de projet et d’enthousiasme », on ne manque pas d’explications : « la complexité du mode de scrutin, la méconnaissance qu’ont les électeurs du rôle des eurodéputés, l’incapacité des partis politiques à sortir du carcan national », mais aussi les doutes des électeurs « sur l’efficacité des institutions européennes  » ou encore «  l’éloignement du Parlement européen ». Une seule hypothèse n’est pas même envisagée : que les médias puissent avoir une part, même minime, de responsabilité… [2]

Il faut dire que le 19 mai, La Tribune s’inquiétait déjà, et consacrait un article aux « Elections européennes »… et surtout au peu d’enthousiasme qu’elles suscitaient. « Pourquoi tant de désintérêt ? » s’interrogeait le quotidien économique, alors qu’un encadré expliquait que les Français étaient « très européens ». Le 25 mai, on entre déjà dans la « Dernière ligne droite pour les européennes », et le 2 juin La Tribune déclare la « Mobilisation générale contre l’abstention ».

On le voit, La Tribune, comme RTL ou L’Express [3], sait disserter sur une campagne avec ou sans intérêt, en ligne droite ou en courbe… Mais parle-t-elle des « enjeux européens » que les partis politiques sont « incapables » d’expliquer ? A part la double page du 23 mai, qui tente de donner une « preuve par vingt-sept » de l’utilité du Parlement, une autre double page sur la Turquie (sur l’adhésion de laquelle le « rôle des eurodéputés  » est assez limité…) et, à la rigueur, un « débat », le lendemain, entre Thierry Chopin et Jean-Louis Bourlanges, sur « Faut-il politiser le Parlement européen ? », le lecteur n’aura guère l’occasion, en lisant La Tribune, de se passionner pour les « vrais enjeux » de la campagne…

… A moins qu’il ne se jette sur la « série d’enquêtes sur le Parlement européen », publiée les 3, 4 et 5 juin par le quotidien mobilisé. Premier volet, annoncé par un appel de « une » : « Que gagnent les eurodéputés ? » En page 10, une pleine page porte ce titre : « Des députés trop bien payés ? » Le lendemain, deuxième volet : « Ce Français est une star du Parlement ». C’est un article sur Joseph Daul, présenté comme « quasiment inconnu en France  » alors qu’il est « l’eurodéputé le plus puissant de Bruxelles ». Enfin, dernier volet, « Enfin une vraie opposition ? » ; l’article porte sur « deux mouvements en pointe » : Libertas à droite d’une part, l’extrême gauche de l’autre.

Ce n’est pas tout… Car la veille des élections, un appel de « une » s’interroge « Et si les européennes réservaient une surprise ? ». Un article en page 5 dévoile la « surprise » : il s’agit… d’une possible recrudescence du FN. Ainsi, jusqu’au dernier jour, La Tribune aura tout fait pour susciter l’intérêt de ses lecteurs. Pas sûr que cela suffise à mobiliser les électeurs.

France Inter « s’emmerde »

Jeudi 28 mai, Thomas Legrand fait son « édito politique », comme tous les matins. Ce jour-là, il a décidé de parler des élections européennes. A contrecœur, visiblement, et au grand regret de tous ceux qui l’entourent :

- Thomas Legrand : « Les sondages se succèdent et la prévision d’une très forte abstention demeure. Il y a plusieurs raisons à ça […] Il y a aussi des raisons plus nébuleuses qui sont généralement avancées : les priorités contradictoires. Par exemple, les Français, en ces temps de crise, réclament de la protection. Or la protection vient de l’Etat et non pas de l’Europe puisque l’Europe sociale n’existe pas ».

Mais, peut-être fatigué par sa propre prose, il s’interrompt alors et interpelle l’assistance :

- Thomas Legrand : « Je vous vois Nicolas, Philippe et Didier, je vous imagine aussi chers auditeurs, vous bâillez en écoutant ce début de chronique … »
- Nicolas Demorand : «  On risque même de s’endormir !  »
- Un autre : «  On s’emmerde !  »

Une femme éclate de rire, et Thomas Legrand peut enchaîner : « C’est vrai que l’énoncé de toutes les raisons plus ou moins objectives et rebattues de l’abstention sont d’un ennui, et cette campagne européenne est d’un ennui ! Alors, bien sûr, l’Europe, c’est important. Je sais que mon devoir d’éditorialiste politique est plutôt d’inciter à aller voter, de sublimer ce moment de grâce démocratique, de rappeler (comme on le fait dans ces cas-là, la mine indignée) que des gens sont morts pour que nous ayons le droit de voter, mais bon, ce n’est pas parce que des gens sont morts pour que j’aie le droit de voter que je dois mourir d’ennui pendant une élection ».

Il va de soi que parmi les raisons invoquées pour expliquer la forte abstention prévue, Thomas Legrand s’est… abstenu de mentionner l’enthousiasme délirant des « éditorialistes politiques » des matinales radiophoniques. Heureusement, personne n’est mort pour qu’ils aient le droit de faire leur « devoir ».

Le Figaro sonde « les Européens »

Le Figaro du 29 mai affiche en « une » une annonce fracassante : « Sondage : une majorité d’Européens ont une bonne image de Nicolas Sarkozy ». Un coup d’œil en pages intérieures confirme rapidement que cette présentation des résultats découle surtout de la « bonne image » que Le Figaro a de notre président.

 Le titre de l’article donne d’abord une précision supplémentaire : « Merkel et Sarkozy, leaders préférés en Europe ». Car, comme l’indiquent les premières lignes, « Angela superstar ! Et Nicolas médaille d’argent ». Une « superstar » qui s’est donc fait voler la vedette par « Nicolas ».

 La lecture du sondage complète l’information : en réalité, il a été effectué auprès de 4 040 Allemands, Britanniques, Espagnols et Italiens. Soit quatre pays sur vingt-sept, qui représentent… la moitié de la population européenne. Autre curiosité : alors que les heureux élus « européens » sont conviés à s’exprimer sur Nicolas Sarkozy et sur leur leader national, les Français sont exclus du panel. Commentaire d’Alain Garrigou : « la symétrie exigerait que les Allemands ne soient pas interrogés sur Angela Merkel comme les Français sur Nicolas Sarkozy, et que, par contre, les Français soient interrogés sur Angela Merkel comme les Allemands l’ont été sur Nicolas Sarkozy. Et ainsi de suite. A quoi bon ? Cette "erreur" est éclairante : il ne s’agissait que de Nicolas Sarkozy. Les autres dirigeants ne sont que des faire-valoir [4]. En outre, les Français auraient fait baisser son taux de confiance ». Et le même d’indiquer par ailleurs que le chiffre réel de la moyenne des « bonnes opinions » est de 50,5 %, chiffre arrondi à l’unité supérieure par Opinion Way, et que, pondéré par « l’importance relative des populations », le chiffre tomberait à 49,5 %. Et la « une » triomphante du Figaro avec.

 Enfin la comparaison du sondage avec les commentaires de l’article qui est censé en rendre compte est édifiante. Moins sur les « opinions » des Européens que sur les intentions du Figaro, qui prend son sondage pour une boule de cristal, et lui fait dire tout et n’importe quoi. Par exemple que « ce palmarès prend également acte de la pérennité du couple franco-allemand ». Inutile de s’interroger sur ce qui autorise Le Figaro a tirer une telle conclusion, la réponse est dans la phrase suivante : « L’Élysée se félicite d’ailleurs de cette "consécration" du rôle de l’axe Paris-Berlin dans l’Union européenne ». Et Le Figaro de poursuivre : « En réalité, aux yeux des Européens, c’est avant tout la modernité de Sarkozy qui se détache ». Sans préciser que si elle se « se détache » autant, c’est peut-être parce que la question posée invitait non pas à évaluer la modernité de Sarkozy, mais à la comparer avec celle de « ses prédécesseurs »…

Aujourd’hui en France prend de la hauteur

Après une campagne qu’ils a réduite aux enjeux nationaux et aux querelles politiciennes, Aujourd’hui en France décide de relever le niveau, et au lendemain du scrutin, fait sa « une » sur les résultats de l’élection. Quatre portraits s’étalent sur la page, avec quatre chiffres correspondant au score de « leur » parti, et quatre légendes : « Sarkozy triomphe / Cohn-Bendit jubile / Aubry plonge / Bayrou s’effondre ». Voilà une lecture du scrutin à la hauteur des enjeux, qui choisit d’évoquer le sort ou la réaction supposée de quatre personnalités politiques… dont trois n’étaient même pas candidats !

Le « moulin » de Joffrin va trop vite

Nous le signalions ici-même, le 4 mai 2009, Laurent Joffrin s’occupait de concevoir des plans de bataille. L’objectif : « Comment battre Nicolas Sarkozy ? » La tactique était simple alors, et consistait à exclure a priori l’extrême gauche – puisque « rien n’est possible avec la gauche radicale qui poursuit d’autres rêves » –, pour une « stratégie nouvelle » qui saisirait la main de Bayrou, voire celle de Villepin, et permettrait d’envisager une « grande coalition de l’après-Sarkozy  » réunissant « les forces écologistes, les socialistes à l’ancienne comme Jean-Luc Mélenchon, le PS, les partisans de François Bayrou et même les gaullistes sociaux et républicains tentés par un Dominique de Villepin. De quoi s’agit-il ? »

Il s’agissait surtout de vendre Bayrou, cet « ancien bègue maniant le verbe comme une épée, sorte de Démosthène des campagnes », au Parti socialiste. Car les Français veulent une alternative, et celle-ci, concluait le stratège de Libération, « ne se trouve pas dans les grimoires de l’ancienne gauche ».

Après les résultats des élections européennes, et surtout celui, décevant, du Modem, le même stratège propose une stratégie… quelque peu différente. Et dans son éditorial du 8 juin, il se penche une nouvelle fois sur « le PS et ses pairs en panne de renouveau ». Le diagnostic est rapidement établi : « La social-démocratie perd parce qu’elle a gagné ». Mais cette fois, après un passage sous-titré de façon prémonitoire « Moulins » [5], il conclut par un nouveau plan de bataille : « C’est par la confrontation des différentes cultures de la gauche – réformistes, radicales, républicaines et écologistes – que viendra le renouveau. Seule la préparation d’une grande alliance militante et politique en vue de l’après-crise peut ouvrir la voie du salut. Mais il faut pour cela laisser de côté les exclusives idéologiques et les intérêts de boutique. Rêvons un peu… » Aurait-on rêvé ? La gauche « radicale » ? La formule est ambiguë, et sans doute M. Joffrin veut-il parler des « radicaux de gauche »… Qui pourrait souhaiter en effet que l’ancienne gauche vienne confronter ses vieux grimoires avec les militants de la sainte « alliance » joffrinienne qui nous mènera au « salut » ? On notera en tout cas que celle-ci a singulièrement changé de formule : les « gaullistes sociaux et républicains » ont disparu du paysage, et Démosthène-Bayrou est renvoyé à ses « campagnes ».

En un mois, le moulin de Joffrin a accompli une nouvelle révolution.

Et pour finir :
 "Touche pas à ma Banque européenne d’investissement" (BEI)

Un correspondant nous écrit :

La campagne « BEI et paradis fiscaux » ne rencontrent pas d’ Echos

Ce lundi 25 mai, la coalition Counter Balance lance sa campagne « BEI et paradis fiscaux » à l’aide d’un dessin satirique du dessinateur belge Stiki (voir ci-après) qui doit être publié en tant qu’annonce publicitaire dans quatre journaux européens dans quatre langues : The Guardian, La Repubblica, Handelsblatt et Les Echos.

Ce n’est qu’à 11 heures ce matin [le 25 mai] que nous avons été prévenu que notre annonce réservée depuis quinze jours ne paraitrait pas dans Les Echos en France.

Notre cible est claire : les gouvernements français, allemand, anglais et italien ainsi que les parlementaires européens issus de ces quatre pays. Pourquoi ces quatre-là ? Parce qu’à eux quatre, ils détiennent la majorité (avec 16 % chacun) du pouvoir décisionnaire de la Banque européenne d’investissement, la banque publique de l’UE.

Cette campagne, basée sur des éléments factuels, n’a rien de diffamatoire concernant la BEI et les prêts qu’elle accorde à des multinationales basées dans des paradis fiscaux ou ayant recours à des centres offshore, nous ne faisons que donner de la visibilité à des informations rendues publiques par la BEI elle-même.

Nous entretenons même un dialogue régulier avec la BEI, dont les réponses souvent lapidaires, disent en gros qu’elle ne nous dira rien, alors nous persévérons et nous menons campagne pour faire bouger les choses à Bruxelles.

Vous trouverez aussi la réponse de la BEI à nos demandes d’éclaircissement quant à ses relations avec les paradis fiscaux et nous sortirons en juin une étude commanditée à Eurodad.org sur ce thème.

Le dessin satirique est en ligne et libre de droits de reproduction sur tout support.
http://www.counterbalance-eib.org


 
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Notes

[1Autre remarque arithmétique : on compte également, sur quatre candidats… quatre « franciliens ».

[2Une autre hypothèse, au passage, n’est pas non plus évoquée : que le « désintérêt » des Français pour cette élection puisse s’expliquer par la connaissance qu’auraient « les électeurs du rôle des eurodéputés »…

[4Comme l’annonçait d’ailleurs sans ambages et avec plus de précision le titre du sondage complet publié par Opinion Way : « L’image de Nicolas Sarkozy et de la présidence française auprès des Britanniques, Italiens, Allemands et Espagnols ».

[5Où il raille cette droite qui, face à la crise, « abjure tous les dogmes » et accomplirait le programme social-démocrate.

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