Sous prétexte de « réorganiser » la rédaction parisienne, l’AFP est en train de démanteler l’une de ses principales richesses, en plus d’être un des atouts de sa mission d’intérêt général : l’existence d’un service autonome d’informations sociales.
Les reporters qui le composent (une dizaine) proposent une expertise unique en France sur des sujets aussi essentiels et complexes que la fabrique des lois sociales (« antisociales » serait plus juste), la vie des grandes centrales syndicales, le chômage et la précarité, la fonction publique, les violences faites aux femmes, la Sécurité sociale et les personnels de santé, les retraites, les négociations salariales, manifestations, grèves, « plans sociaux » dans les banques, les transports, l’industrie, la distribution, etc.
Les passerelles entre les différents « pools » du Social permettent de rendre concrète une matière profondément humaine. Les « synergies » tant vantées par la direction, elles sont là ! Mais plutôt que de les renforcer, la Direction de l’information préfère les abattre au profit d’une réforme qu’elle peine à défendre.
Ce qu’elle projette ? Détruire enfin le Social, un projet déjà ancien (qui date de plusieurs PDG) et qui correspond à une vision néolibérale de l’actualité sociale : l’englober, la faire disparaître dans l’économie. Dans sa version 2020, il s’agit de saupoudrer les huit nouveaux « pôles thématiques » de la rédaction d’une vague référence à la « vie sociale » des secteurs concernés, par petites touches et de manière éclatée. A titre d’exemple, les actualités sociales d’entreprises aussi importantes qu’Air France, Peugeot-Citroën ou la SNCF seront en théorie couvertes par le pôle « Planète » (eh oui, l’avion et la voiture polluent).
SUD est convaincu que la culture et l’expertise du service social se perdront en route, que les journalistes dédiés aux transports par exemple n’auront structurellement pas le temps de faire leur travail correctement.
C’est une évidence qu’il convient de rappeler : à l’annonce d’un « plan social », il est plus facile de faire parler le porte-parole d’une entreprise, dont c’est le métier et pour lequel il est formé, qu’une demi-douzaine de syndicalistes en train d’arpenter les couloirs pour annoncer la mauvaise nouvelle. La force du service social actuel est le temps disponible pour tisser un réseau de sources de très haute valeur, mobilisables en cas d’actualité de dimension nationale voire internationale.
Des taxis ou des VTC qui bloquent Roissy ? L’AFP peut contacter une dizaine de chauffeurs sur place pour avoir, un mois ou deux auparavant, suivi ces mêmes chauffeurs lors d’un rassemblement nocturne place Maillot ou devant le ministère des Transports. Un DRH d’Air France qui se fait arracher sa chemise par des salariés en colère ? L’AFP obtient un entretien « exclusif », comme aime s’en gargariser la DirInfo dans ses conférences de rédaction, avec les salariés incriminés. Une action coup de poing de cheminots au siège de la SNCF ? L’AFP obtient l’information et sa confirmation en premier pour avoir arpenté des manifestations massives ou des rassemblements à l’audience beaucoup plus confidentielle les mois précédents.
C’est ça, une mission d’intérêt général. C’est ça, qu’ils veulent détruire. A ces critiques, présentées ainsi en CSE (Comité social et économique), la Direction de l’information n’a opposé qu’un long silence...
La Mission d’intérêt général, malmenée et mise en danger
La casse du Social est une petite pièce d’un puzzle plus grand que SUD entend démonter. La refonte de la rédaction est, en plus de ses fondements idéologiques, elle-même une conséquence du Contrat d’Objectifs et de Moyens (signé avec l’État) et du Plan Fries conduisant à des suppressions d’emplois (le pool Transports du service économique va d’ailleurs perdre un poste après la réorganisation), avec des objectifs essentiellement financiers et quantitatifs (voir nos communiqués sur le sujet, notamment celui-ci).
S’exprimant sur son attaque brutale, la direction de l’information a en outre cru bon de devoir gommer le rejet quasi unanime des élus du CSE. Les représentants du personnel ont rendu « un avis », dit-elle sans préciser lequel. Écrivons-le pour elle : sur 18 votes, 16 ont exprimé leur opposition (seule la CFDT s’est abstenue). A son mépris envers les élus, la direction ajoute une communication faussée par omission envers le personnel.
SUD a voté contre et reste fermement opposé à ce projet néfaste. Néfaste pour l’AFP, pour l’ensemble des médias nationaux et, plus généralement, pour une information complète, factuelle et pluraliste.
Paris, le 5 décembre 2020
SUD-AFP