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Affaire DSK (intermède astrologico-comique) : France-Soir savait

par Henri Maler, Olivier Poche,

Mardi 23 août 2011, 1 heure du matin. Une longue attente commence… Quel sort va réserver le procureur à Dominique Strauss-Kahn et Nafissatou Diallo, lors de l’audience prévue aujourd’hui même ? L’avocat de cette dernière semble avoir vendu la mèche, mais on attend encore une annonce officielle. Mardi 23 août 2011, 1 heure du matin : pour calmer votre impatience et la nôtre, c’est l’heure que nous avons choisie pour remplir, nous aussi, du vide avec du rien, à l’instar de ces médias qui depuis plusieurs mois ont expérimenté diverses solutions pour y parvenir, soigneusement consignées dans un dossier qui ne cesse d’épaissir. En ce jour crucial, la crise économique retient son souffle et les combattants sur tous les fronts déposent leurs armes. C’est peut-être ce que les médias tenteront de nous faire croire…

En tout cas France-Soir, que nous avions déjà honoré, mérite d’être cité une seconde fois, car le 8 août 2011 son traditionnel numéro d’imitation des tabloïds anglo-saxons était particulièrement réussi.

Mais d’abord, pour mémoire : dès le 18 mai 2011, France-Soir savait que tout le monde savait et ce que savait tout le monde.

Mais revenons au 8 août 2011 : ce jour-là, France-Soir se pose une question…

... Et laisse entendre que la réponse sera révélée par un « éminent psychologue ». Mais en l’absence de tout élément probant, et alors qu’il n’est même pas certain que l’enquête et l’épilogue judiciaire lèvent tous les doutes, France-Soir a dû se contenter de livrer à ses lecteurs un éminent bavardage.

Le titre de l’article en pages 2 et 3 précise, apparemment, comment les menteurs vont être démasqués : « Affaire DSK : Ce que leurs gestes disent d’eux... » Mais, pas de chance, la question de la « une » a été remplacée par celles-ci : « Nafissatou Diallo, victime ou menteuse ? DSK, abattu ou combatif ? Quelles sont les véritables motivations des procureurs et des avocats ? Anne Sinclair simule-t-elle sa solidarité envers son mari ? Autant de questions que chacun se pose ». Et autant de questions auxquelles France-Soir a décidé de répondre.

Un savant homme

Comment ? En faisant appel au regard acéré d’un psychologue cartomancien : « Nous avons soumis quelques photos des protagonistes de l’affaire DSK à un psychologue, spécialiste de l’analyse des comportements physiques ». Le résultat de cette « expertise » est ébouriffant : « Verdict : personne n’est tout à fait ce qu’il paraît (…) dans ce jeu de dupes, chacun mène un combat personnel dans lequel la justice n’a que peu de place. »

L’auteur de ce « verdict » que n’importe qui aurait pu prononcer sans lui ? « Joseph Messinger, psychologue et analyste gestuel, auteur d’une vingtaine de livres sur le sujet ». Un éminent spécialiste, donc, qui traque la « vérité » en « décortiqu[ant] démarche, clignements de paupières, position des mains, des genous [sic] ou des chevilles, haussement d’épaules ».

Pourquoi lui et pas l’astro-sociologue Elisabeth Teissier, ou son mentor, Michel Maffesoli ? Parce qu’il est l’un des principaux adeptes et promoteurs d’une nouvelle science : le « profilage gestuel » qui, nous rassure-t-il sur son blog, « n’est pas réservé à une élite. Observer, ça s’apprend ».

Ce savant n’est pas totalement inconnu des médias. Le 27 févier 2007, Nouvelobs.com lui offrait un tchat. Entre autres découvertes, celle-ci :

- Question de dudu : Comment interprétez-vous le fait que Nicolas Sarkozy parle en bougeant souvent les épaules ?
- Réponse : L’épaule droite est le siège symbolique de l’ambition, la gauche symbolise les affects. Sarko est arriviste et souffre d’un conflit avec son père, ce qui est de notoriété publique. Il pourrait souffrir aussi de problèmes articulaires au niveau des épaules.

Surveillez vos épaules !

Nouvelobs.com s’était tellement entiché du personnage que, le 28 juillet, le « Plus » (qui publie des contributions sélectionnées par la rédaction) laissait paraître un billet intitulé « Et si les gestes de Nafissatou Diallo trahissaient de mauvaises intentions ». Mal lui en prit. Le lendemain, la rédaction précise et décide « Un billet publié hier, qui a largement circulé (25 000 vues, 300 partages sur Facebook) et qui a suscité de vives réactions. Avec raison.[…] Étonnante “analyse” dont nous n’avions pas connaissance avant de faire appel à notre interlocuteur. Nous ne nous sommes pas assez renseignés sur lui, nous avons manqué de vigilance. Ce n’est pas parce qu’un “expert” passe à la télé ou à la radio qu’il gagne en légitimité. Nous avons donc décidé de mettre hors ligne le billet sur l’interview de Nafissatou Diallo. » Une autocritique suffisamment rare dans les médias pour être saluée…

Mais ce retrait de l’article est intervenu seulement après qu’Arrêt sur images a relevé les propos de « l’étrange psy de L’Obs »

Entre autres trouvailles on pouvait lire cette « analyse » de la démarche de Nafissatou Diallo lors de l’entretien qu’elle a accordée à ABC News : « Elle avance dans un jardin public en compagnie de la journaliste d’ABC, filmée par l’arrière, on peut remarquer que le balancier des fessiers de Nafitassou est plus prononcé que celui de la journaliste. Or ce genre d’observation permet d’évaluer le niveau de sensualité d’une femme. »

Ou encore, sur son blog, cette fulgurante analyse d’une photo de Tristane Banon et de son avocat : « DSK aurait tenté de lui arracher son soutien-gorge ? Pour quoi faire ? Elle est aussi plate qu’une planche à pain. »

France-Soir, à la différence de Nouvelobs.com, ne recule devant rien.

Un florilège

 Dominique Strauss-Kahn

Bras droit croisé sur le gauche, cheville gauche sur la droite, des postures qui en disent long, selon notre analyste : « Les bras sont offensifs, et les chevilles marquent un niveau de flexibilité psychique important dans les moments de crise. Cet homme est en alerte et prêt au combat.  » Messinger note également dans la posture relâchée que DSK s’ennuie. « Il sait qu’il perd son temps et que son sort est déjà arrêté. Il aimerait débarrasser le plancher. […] Le regard de DSK indique « un homme sans scrupules. Si vous l’attaquez, il vous tue. L’œil droit, celui qui reflète la réflexion, l’intelligence, le rationalisme, est très ironique. Le gauche, celui de l’émotion, est totalement froid. »

Notre expert lit aussi « une immense détermination » dans « le balancier des bras, très prononcé », et note enfin « le bleu de sa cravate », « la couleur du pouvoir ». Un choix innocent ? « Non, il le sait. C’est moi qui le lui ai dit un jour ! » Des conversations passées qui n’ont naturellement aucun rapport avec la discrète préférence accordée au clan DSK. Malheureusement, ce léger biais est le moindre défaut de « l’analyse ».

 Anne Sinclair

Son seul signe de faiblesse, dans cette période de tourmente, réside dans le sac qu’elle tient de la main droite. « Le côté droit est celui des femmes d’action, mais lorsqu’un sac qui pourrait être porté à l’épaule se retrouve ainsi, c’est l’indice d’une sérieuse remise en question. (...) En tout cas, le signe qu’elle est très perturbée.  »

 Nafissatou Diallo

Notre expert commence par lui accorder, sur la foi de sa démarche, une certaine intelligence, car « pour Joseph Messinger, la démarche est toujours liée au quotient intellectuel. Plus elle apparaît équilibrée, liée, plus le sujet est intelligent. »

La suite est moins favorable à l’accusatrice : scrutant ses « larmes de crocodile », « la scène mimée » dans laquelle « elle en fait trop pour être honnête », son « regard triomphaliste » ou « de tueuse », l’analyste semble avoir fait son choix. Sans compter que « pour une femme de chambre, elle porte très bien le tailleur-pantalon ! » C’est louche !

 Quant aux « membres du corps judiciaire », ils sont, eux aussi, percés à jour sans la moindre difficulté : « la juge Melissa Jackson : Sadique ». Et « redoutable » aussi. Le procureur Cyrus Vance, trahi par un « index dissimulé derrière le classeur » : « En quête de légitimité ». Quant à « l’avocat Kenneth Thompson : Théâtral ». Mais pas seulement : cet « homme marche en regardant le sol », ce qui est « typique des pervers narcissiques ». Conclusion, nuancée : « il n’a qu’un but, l’argent et la pipolisation. »

Certes, France-Soir nous avait prévenus, au détour d’une phrase : « bien sûr, l’analyse gestuelle n’est pas une science exacte, et les déductions de Joseph Messinger sont à lire pour ce qu’elles sont : un décryptage percutant, presque balzacien, au sens où il n’épargne personne et révèle la nature humaine dans son ambivalence, sa vanité, sa cupidité ou sa quête de pouvoir. Ainsi, c’est une étude de caractères que nous vous proposons ce lundi et non des éléments de preuve à charge ou à décharge de l’un ou l’autre camp. » Des éléments de preuve, peut-être pas, mais des éléments troublants, dans cette étude balzacienne, sans doute !

Mieux vaut en rire ?

 
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