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En bref

À quoi sert vraiment Laurent Joffrin ?

par Mathias Reymond,

Alors que Laurent Joffrin appelait Mélenchon à ne pas se présenter en 2017 parce qu’il risquait de faire perdre Benoît Hamon, le Joffrin cru 2022 (à la fois militant politique – il soutient Anne Hidalgo – et chroniqueur sur CNews et dans L’Opinion) invite désormais les électeurs à ne pas voter pour le favori des sondages à gauche car celui-ci deviendrait « pour cinq ans au moins le leader de la gauche ». Ce qui deviendrait intolérable pour celui qu’une certaine presse présentait naguère comme le journaliste le plus bête de France.

Le 30 janvier 2017, en déchiffrant les sondages trois mois avant l’élection présidentielle, Laurent Joffrin ordonnait dans Libération à Jean-Luc Mélenchon de retirer sa candidature au profit de celle de Benoît Hamon, mieux placé que lui : « L’enquête publiée hier donne vingt points à Macron, dix à Mélenchon et… quinze à Hamon. Entre les deux candidats du centre gauche [sic] et de l’extrême gauche, il y a un socialiste élu [lors de la primaire citoyenne] par près de deux millions de personnes et nanti d’un capital sondagier. S’il fallait un jour choisir le champion d’une gauche hypothétiquement réunie, celui du PS serait évidemment mieux placé. » Puis d’ajouter : « Bien entendu, Jean-Luc Mélenchon refusera de se désister, quoi qu’il arrive. Mais alors l’électeur risque de se poser une question toute bête : à quoi sert Mélenchon ? à faire perdre la gauche ? » [1]

Très vite, dans la compétition hippique qu’organisaient conjointement les médias et les instituts de sondages, Mélenchon passait devant Hamon, mais Joffrin ne suppliait pas le candidat socialiste – avec ce même argument sondagier – de se retirer et ne posait pas sa « question toute bête : à quoi sert Hamon ? à faire perdre la gauche ? »

Cinq années plus tard, après une série d’accomplissements (départ de Libération où il essuya une motion de défiance des salariés dans le cadre de « l’affaire gabonaise », interventions inconsistantes de faire-valoir dans l’émission « L’heure des pros » sur CNews, flop retentissant de son mouvement « Engageons-nous », etc.), l’ancien directeur de Libération et du Nouvel Observateur rédige une tribune d’une rare violence contre Jean-Luc Mélenchon dans L’Obs (18 mars 2022).

Tourmenté, il prévient que si le leader de la France Insoumise passe le premier tour, « la gauche […] sera dominée par son aile radicale, dans un raidissement bruyant et impuissant. » De plus, le vote Mélenchon sera un « vote dangereux, donc, qui accentuera encore la coupure entre dirigeants et dirigés ».

Pour Joffrin, c’est le « vote inutile » car Mélenchon est un « homme imprévisible […] qui théorise, en bon populiste, le remplacement du duel conservateurs-progressistes par la sommaire dichotomie entre peuple et élites, et dont chacun voit bien, au vrai, qu’il n’est pas présidentiable, ne serait-ce qu’en raison d’un programme radical qui n’est pas financé et qui n’est que le programme de Tartarin. » Une sentence reprise en boucle par une partie des (journalistes) adversaires de la France Insoumise [2].

Bon prince, le libelliste consent : « Chacun est libre, répétons-le. » Avant de gronder l’électeur qui ne suivrait pas son conseil : « Mais chacun est responsable. Et chacun doit méditer cette maxime implacable : sans gauche de gouvernement, il n’y aura plus de gouvernement de gauche. »

Avec cette tribune, Joffrin lance une nouvelle banderille dans le dos de Mélenchon et démontre que, comme en 2012 et en 2017, dès que l’échéance électorale approche, les chefferies éditoriales mettent en place un cordon sanitaire qui, à l’instar du philosophe de télévision Raphaël Enthoven [3], leur font préférer Marine Le Pen à Jean-Luc Mélenchon.


Mathias Reymond

 
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Notes

[1Rappelons que le score final de l’élection présidentielle en 2017 a donné 19,6 % des suffrages exprimés à Mélenchon et 6,4 % à Hamon.

[3« Je peux encore changer d’avis, mais je crois que, s’il fallait choisir entre les deux, et si le vote blanc n’était pas une option, j’irais à 19h59 voter pour Marine Le Pen en me disant, sans y croire, "Plutôt Trump que Chavez." », Raphaël Enthoven sur Twitter, 7 juin 2021.

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