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À quoi sert Thomas Legrand ?

par Julien Salingue, Mathias Reymond,

Thomas Legrand parle d’Acrimed... et Acrimed répond à Thomas Legrand.

Rémunéré (en partie) par la redevance audiovisuelle, Thomas Legrand, chroniqueur politique dans les matinales de France Inter, s’amuse chaque matin avec la cuisine politicienne. Comme ses confrères Alain Duhamel et Jean-Michel Aphatie, avec lesquels il pérore régulièrement le vendredi sur Canal +, il raisonne par raccourcis et adore remplir des cases, commenter ces remplissages et commenter les commentaires sur ces remplissages… même si c’est lui-même qui a garni les cases.

Exemple le jeudi 19 janvier 2012, sur France Inter, où il déclare ceci : « Jean-Luc Mélenchon a fédéré toutes les sensibilités de la gauche de la gauche sans pour autant opérer de synthèse lénifiante ou aplanissante (sic). Des syndicalistes de Solidaires à Attac en passant par la petite poignée de bourdieusiens de l’Acrimed… Ils y sont tous. » Diantre. Acrimed (et non « l’Acrimed »…) citée par un éditorialiste multicarte ? Nous ne pouvions rester sans réaction…

Commençons par la formule de Thomas Legrand : « une petite poignée de bourdieusiens », donc. Signalons à l’illustre éditorialiste qu’il y a probablement dix fois plus d’adhérents à l’association Acrimed que de journalistes à France Inter, et remarquons que si nous n’avons pas autant de lecteurs que la matinale de France Inter a d’auditeurs, Thomas Legrand fait, lui, partie de la « petite poignée » d’éditorialistes multimédias qui squattent sans relâche les plateaux de télévision, radios, sites Internet et colonnes de la presse, et revendiquent, explicitement ou implicitement, le monopole de la parole journalistique.

« Bourdieusiens » ? Il est vrai qu’Acrimed, comme nous l’avions écrit lors de la mort du sociologue, « a trouvé dans l’œuvre de Pierre Bourdieu une de ses sources d’inspiration ». Cette référence n’est pas exclusive, mais elle nous semble néanmoins essentielle pour comprendre le milieu des médias et la sociologie du journalisme. Et nous ne nous en sommes jamais cachés. Mais, dans la bouche de Thomas Legrand, le qualificatif de « bourdieusien » semble sonner comme un reproche. On peut en effet supposer que cet ardent défenseur des instituts de sondage, qui affirmait, contre toutes les évidences [1], peu après le premier tour de la primaire socialiste, que « les sondages ne [s’étaient] pas trompés » et « [qu’]ils [avaient] donné la bonne participation », ne goûte guère les travaux de Pierre Bourdieu. Tout comme on peut imaginer qu’il n’apprécie pas la dénonciation des connivences et des copinages au sein du petit monde des grands médias, comme lorsque des journalistes de France Inter invitent d’autres journalistes de France Inter à faire la promotion de leurs livres (toute ressemblance avec l’invitation de Thomas Legrand dans l’émission « Downtown » du 28 novembre 2011 serait purement fortuite).

Il est vrai que Thomas Legrand a le sens de la formule. C’était déjà lui qui, le 2 décembre 2008 sur France Inter, en présence de Jean-Luc Mélenchon, qualifiait Nicolas Dupont-Aignan de « Mélenchon de droite » [2]. C’est également lui qui, déboussolé par l’arrestation de Dominique Strauss-Kahn à New York, déclarait sur France Inter, le 15 mai : « C’est une violence faite à l’image et au prestige de la France ». Avant d’enfoncer le clou : « Si jamais DSK s’en remet et, finalement, arrive à la présidence […] Là on serait... la quintessence de l’histoire tragique française » [3]. Tragique, effectivement...

Mais revenons aux propos du 19 janvier. La « petite poignée de bourdieusiens » soutiendrait Jean-Luc Mélenchon ? L’Union syndicale Solidaires et l’association Attac le soutiendraient également ? Mais de quel chapeau le décidément très informé Thomas Legrand a-t-il sorti cette information ?

Concernant Acrimed (et nous ne pouvons parler qu’en notre nom), jamais une ligne ni même un mot publié dans nos articles n’a laissé entendre que nous soutiendrions un candidat plutôt qu’un autre. Acrimed est une association (Thomas Legrand ne connaît peut-être pas le sens de ce mot) de critique des médias. C’est-à-dire que nous observons collectivement les médias, portons collectivement une critique et (c’est là que ça devient compliqué) formulons collectivement des propositions afin de politiser la question des médias. À la différence, par exemple, du site d’Arrêt sur images, qui se propose seulement de décrypter (souvent avec efficacité) l’univers des médias, nous nous efforçons de faire de la question des médias une question politique… parce que c’est une question politique !

Alors oui, nous sommes attentifs aux prises de position des porte-paroles politiques sur la question des médias. Lors de la campagne présidentielle de 2007, nous avions fait état des propos de François Bayrou sur les médias. Et quand Jean-Luc Mélenchon, Philippe Poutou, Olivier Besancenot, Vincent Peillon, Dominique Voynet, Frédéric Nihous ou Gérard Schivardi [4] sont confrontés à des journalistes de mauvaise foi, quand ils sont victimes de reportages qui déforment la réalité, ou encore lorsqu’ils font face à un raz-de-marée de critiques injustifiées, nous l’écrivons (dans la mesure de nos forces) et nous le dénonçons… mais sans jamais sortir du cadre que nous nous sommes fixé : celui de l’observation critique des médias.

Thomas Legrand, éditorialiste multicarte (France Inter, Les Inrockuptibles, Slate.fr, Canal+…), jusque-là connu pour son courage incertain, notamment lorsque Didier Porte a été limogé de France Inter [5], ne semble pas vouloir comprendre qu’un collectif n’est pas un individu. Si cela ne fait guère de doute que Legrand va voter pour François Hollande (à notre tour de jouer !), Acrimed, collectivement, n’a pas d’avis sur la question… Le seul élément que nous pourrions prendre en compte est la partie concernant les médias dans le programme des candidats à l’élection présidentielle. Et à propos de celui du Front de gauche, nous soulignions qu’il était « offensif » mais parfois « incomplet » [6].

Jean-Luc Mélenchon entretient souvent un rapport conflictuel avec des journalistes. Encore heureux !, pourrions-nous ajouter. Que peut-on (que doit-on) attendre a minima d’un candidat de gauche si ce n’est qu’il donne un coup de pied – de temps en temps – dans la niche des chiens de garde ? Nous l’avons toujours dit : la transformation des médias passe par une transformation de la société, qui elle-même passe… par une transformation des médias. La question des médias est une question politique. Que les politiques s’en saisissent, tel est notre objectif. Point. Et ce ne sont pas les quelques jappements de Thomas Legrand et de ses semblables qui nous en feront dévier.

Mathias Reymond et Julien Salingue

 
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