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Pierre Bourdieu et nous

Pierre Bourdieu avait soutenu, dès 1996, la constitution de notre association et approuvait, sans y participer, son activité. De son côté, Acrimed a trouvé dans l’œuvre de Pierre Bourdieu une de ses sources d’inspiration.

Une référence qui, sans être exclusive, était et reste décisive pour comprendre le milieu du journalisme et des médias, dès lors que l’on considère l’ensemble du travail théorique de Pierre Bourdieu et pas seulement ses rares interventions directes sur le sujet (comme le pensent les journalistes pressés d’en découdre sans comprendre).

L’œuvre de Pierre Bourdieu mérite un débat à sa mesure : un débat sans déférence - ainsi qu’il le souhaitait lui-même. Sans déférence, mais non sans admiration pour l’ampleur de son œuvre.

Pourtant c’est encore trop demander à quelques éditorialistes qui occupent des positions dominantes dans les médias et qui, depuis quelques années, ont fabriqué de toutes pièces un personnage médiatique sans grand rapport avec l’homme et le penseur. Et c’est parce qu’ils ont construit un Bourdieu à leur mesure, c’est-à-dire à leur image, qu’ils peuvent croire en triompher par des critiques superficielles, quand elles ne sont pas venimeuses. Cela leur suffit pour se donner l’illusion de " se payer Bourdieu ".

Il faut dire que, parmi les motifs de cet acharnement médiatique, figure en bonne place le crime le plus grave que puissent concevoir les puissances éditoriales, à savoir le crime de lèse-journalisme.

Pierre Bourdieu avait préféré s’abstenir de répondre à la véritable campagne médiatique dont il avait été l’objet et qui avait culminé en 1998. Comment ne pas l’approuver ? Toute réponse n’aurait fait que relancer la machine à débats médiatiquement orchestrés dans lesquels quelques éditorialistes jugent, arbitrent, tranchent par un abus de pouvoir dont ils n’ont même pas toujours conscience. N’a t-on pas vu se répandre dans nombre d’émissions de radio et de télévision tel philosophe médiatique qui dénonçait la médiatisation, jugée par lui excessive, du sociologue, confondant " intellectuel médiatique " et penseur esquinté par les médias.

Si Pierre Bourdieu intervenait peu dans les médias, ses rares apparitions donnaient lieu à des polémiques violentes et à sens unique sans doute parce qu’il était, en ce domaine comme en d’autres, sans concession dans sa dénonciation de la nomenklatura médiatique et de ceux qu’il appelait joliment les fast thinkers. Dans l’univers des médias, le film de Pierre Carles - " La sociologie est un sport de combat " - fait exception et constitue une approche indirecte mais appropriée de l’œuvre parce que, modestement et sans commentaires superflus, il se borne à laisser la parole au sociologue afin que chacun puisse juger sur pièces.

Comme ce fut le cas avec Sartre, Foucault et quelques autres, la mort de Pierre Bourdieu est l’objet d’un traitement médiatique qui est parfaitement révélateur des rapports entre les médias et les oeuvres de la culture. Plus exactement : entre les médias et les auteurs des oeuvres de culture.

Conformément aux objectifs de notre association, nous nous interrogerons sur ce que les " réactions " - comme on dit - à la mort de Pierre Bourdieu révèlent du fonctionnement des médias : une façon modeste de lui rendre hommage.

 Communiqué d’Acrimed, lundi 28 janvier 2002

 
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