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Lu, vu, entendu : « Soldes d’hiver »

Déstockage de quelques observations : des broutilles, mais pas seulement.

I. Pratiques du journalisme

Servir ?
- Légion d’honneur : l’accepter ou pas ?

Françoise Fressoz, chef du service Europe-France du Monde et Marie-Eve Malouines, chef du service politique de France-Info ont refusé la légion d’honneur. Toutes deux expliquent que rien dans leur parcours ne semble à leurs yeux justifier cette distinction, qu’elles n’ont pas demandée. Françoise Fressoz ajoute : « Je pense en outre que, pour exercer librement sa fonction, un journaliste politique doit rester à l’écart des honneurs. » Interrogée par Rue89, Marie-Eve Malouines précise que ce qui les a vraiment « gênées, c’est de ne pas avoir été prévenues ». Peu de journalistes à qui on propose la légion d’honneur la refusent.

Facétieux, le site d’information en ligne rappelle l’attitude qu’avaient eu deux ans auparavant deux journalistes occupant des positions comparables, Sylvie Pierre-Brossolette (à l’époque rédactrice en chef au Figaro Magazine, aujourd’hui chef du service politique du Point) et Anita Hausser (à l’époque chef du service politique de LCI, aujourd’hui rédactrice en chef adjointe à France Soir), qui toutes deux l’avaient acceptée. La première avait alors déclaré : « Ma ligne est très simple, elle se résume en trois points : la Légion d’honneur ne se demande pas, ne se refuse pas, ne se porte pas », tandis que l’autre avait avoué : « Pour moi, c’est une distinction, une très belle décoration et une reconnaissance de mon honnêteté professionnelle. »

Quelques mois plus tard, le 9 décembre 2007 au « Grand Jury RTL - Le Figaro - LCI », Arnaud Lagardère paradait tout en pleurnichant :

- Etienne Mougeotte : - « On me dit qu’on vous aurait proposé la Légion d’honneur et que vous l’auriez refusée. »
- Arnaud Lagardère : - « Oui, plusieurs fois [...] Je m’estime débiteur de la République, ça, c’est la première raison. La seconde, peut -être plus profonde, c’est que j’ai été quand même frappé au décès de Jean-Luc Lagardère, c’était en mars 2003, d’avoir, comment vous dire ? je suis sûr que vous allez rebondir sur ce point là ? été un peu déçu, voir même un peu choqué, d’avoir été accueilli pas tout à la fait de la manière dont je l’espérais par la République ? en tout cas la République de l’époque. »
- Jean-Michel Aphatie (sans chercher à éclairer les auditeurs sur le « on ») : - « C’est ce qui vous conduit aujourd’hui à ne pas vouloir de cette distinction que ferait la République ? »
- Arnaud Lagardère : - « Je pense que c’est une coquetterie [...] Je pense que c’est aussi une manière de marquer ma différence [...] Elle se refuse. »

Lagardère confirmait déjà à l’époque qu’il était possible de refuser la Légion d’honneur... A l’époque, car les temps ont changé : aujourd’hui la République compte comme Président son « frère », et Arnaud vient d’être promu Chevalier dans le contingent du Ministère de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. Une distinction qu’il ne semble pas cette fois avoir refusé..

Parmi les autres promus cette année : Alain Finkielkraut (Officier) et Isabelle Ockrent, directrice de la communication de la RATP et sœur de Christine, elle-même épouse du ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner [1].

Hiérarchiser :
- Obamania ou oublier Gaza

Nombre de citations respectives des mots « Obama » et « Gaza » dans les unes des éditions électroniques du 22 janvier au soir :
- Libération : 39 / 3
- Le Monde : 44 / 3
- Le Figaro : 29 / 2

Revues de presse du Nouvelobs.com desquelles ont été retirés les éditos de la presse quotidienne nationale pour ne comptabiliser que ceux de la presse quotidienne régionale.
- 19/1 : « Gaza », 10 - « Obama », 7
- 20/1 : « Gaza », 1 - « Obama », 17
- 21/1 : « Gaza » : 0 - « Obama » 23
- 22/1 : « Gaza » 0 - « Bonus des banquiers » 1 - « fronde des députés socialistes à l’Assemblée nationale sur la modification du travail législatif », 15 -« investiture Obama », 4

Stigmatiser :
- Pro-palestiniens = antisémites

Enrico Macias et Arthur ont vu deux de leurs spectacles annulés, l’un à l’Île Maurice et l’autre en France, en raison d’une manifestation (pour Arthur) ou de menaces de manifestation (pour Macias) en faveur de Gaza, dénonçant le soutien des deux « artistes » à la politique israélienne. Ces incidents ont servi de prétexte dans certains médias à relancer l’amalgame pro-palestinien et/ou antisioniste = antisémite. Ainsi de L’Express.fr, qui le 18 janvier publie un article délicatement intitulé « Enrico Macias et Arthur victimes de l’antisémitisme ».

Au milieu de ce papier, ce passage : « Depuis le début de l’intervention israélienne, plusieurs synagogues ont été l’objet d’actes de vandalisme et d’incendies en France, ce qui a suscité inquiétude et appels au calme des autorités et de plusieurs associations. »

Le supposé antisémitisme des manifestants anti-Arthur serait (au conditionnel...) corroboré par le fait qu’ils se baseraient sur des informations fournies par Dieudonné, sans qu’on sache bien à lire L’Express si ce dernier était ou non présent à la manifestation : « les manifestants auraient accusé Arthur de financer l’Etat hébreux, une accusation notamment portée par Dieudonné, qui avait pour celà [sic] été condamné en 2006 à 3000 euros d’amende pour diffamation. » Le soupçon devient d’autant plus une certitude qu’il est confirmé par l’attitude de « sources » sûres : Christine Alabanel, ministre de la Culture, qui soutient publiquement Arthur, ainsi que le CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France), SOS Racisme et le Bureau de vigilance contre l’antisémitisme, qui ensemble « condamnent la manifestation », selon Voici.fr. Voici.fr qui ne s’embarrasse pas de nuances, titrant : « Les associations réagissent à l’annulation du one man show d’Arthur ».

Interroger :
- Thomas Legrand, un Christophe Barbier de gauche ?

Sur France Inter, tous les matins dans la tranche matinale, Thomas Legrand sévit dans « l’édito politique ». Ce matin-là (2 décembre 2008), c’est Jean-Luc Mélenchon qui fait les frais de sa goujaterie. Invité pour parler de la création de son nouveau parti (le Parti de Gauche), Jean-Luc Mélenchon, démissionnaire du Parti socialiste, a fait face à une véritable déferlante europhile sur France Inter. Nicolas Demorand et Bernard Guetta, tous deux grands défenseurs du « Oui » au Traité Constitutionnel Européen, ont tenté de le déstabiliser. En vain. En fin d’émission, c’est au tour de Thomas Legrand de prendre le relais. Avec une certaine audace. Savourons les échanges.

- Thomas Legrand : - « Ce week-end, il y avait le Mélenchon de droite, Dupont-Aignan … »
- Jean-Luc Mélenchon : - « Non, non, non, interdit. »
- Thomas Legrand : - « Qui, qui … »
- Jean-Luc Mélenchon : - « Pourquoi vous dites le Mélenchon de droite ? Ce n’est pas correct de dire ça. »
Thomas Legrand : - « Ça ne m’empêche pas de qualifier… C’est gentil, je m’amuse. »
- Jean-Luc Mélenchon : - « Moi je suis Mélenchon… et je suis de gauche…. »
- Thomas Legrand : - « D’accord, d’accord,… »
- Jean-Luc Mélenchon : - « Il n’y a pas de Mélenchon de droite. »
- Thomas Legrand : - «  …d’accord, c’est une marque déposée, c’est une marque déposée … »
- Jean-Luc Mélenchon : - «  Non, non, ça ne me fait pas marrer… »
- Nicolas Demorand (énervé) : - « Bon, on peut avancer s’il vous plait ? »
- Thomas Legrand : - « Juste, Nicolas Dupont-Aignan base sa position politique sur le refus du Traité de Lisbonne. Est-ce que un jour vous pouvez vous retrouver là-dessus ou pas ? »

Aurait-on pu imaginer ce type d’échange sur les ondes de France Inter avec Ségolène Royal : « Le Ségolène Royal de droite, Nicolas Sarkozy », parce que Sarkozy et Royal ont voté « oui » au TCE ? Ou avec Lionel Jospin : « Le Jacques Chirac de gauche, Lionel Jospin » sous prétexte que les deux sont partisans de l’Europe libérale ? Certainement non.

Mais ceux qui s’opposent aux points d’accord entre les « grands partis » se ressemblent forcément ! Question : ce journalisme-là - façon Thomas Legrand – est-il « une marque déposée » ?

Retoucher :
- Esthétique et politique

On se souvient de la suppression par Le Figaro daté du 19 novembre dernier d’une bague trop voyante sur une photo de Rchida Dati - suppression signalée par Arrêt sur images.

Sur la « une » de son édition des samedi 10 et 12 janvier 2009, Libération a retouché une photo de Rachida Dati de manière à éloigner des gêneurs.

Avant....


Après


Une retouche apparemment anodine puisqu’elle n’affecte pas vraiment le sens de l’image, mais qui soulève pourtant deux problèmes : celui du droit des photographes, celui de la crédibilité des photos, si les retouches se multiplient.

Intermède impertinent :
- Second degré à prendre au premier ?

Quand on donne comme exemple des héritiers milliardaires Arnaud Lagardère, le patron d’Europe 1 qui est aussi son patron, l’impertinent animateur d’« On n’est pas couché » (France 2), Laurent Ruquier, face à Josiane Balasko, invitée le 24 janvier 2009 dans son émission. Echange cocasse et symptomatique…

- Eric Naulleau : - « Non, mais Zemmour s’interroge sur la reproduction des élites. »
- Laurent Ruquier : - « Vos enfants sont-ils de droite , Zemmour ? »
- Josiane Balasko : - « Par exemple, les Lagardère ! »
- Laurent Ruquier : - « Les Lagardère, est-ce que pourriez prendre un autre exemple ? »
- Josiane Balasko : - « Est-ce que les enfants de milliardaires deviennent milliardaires ? La question est posée… »
- Laurent Ruquier : - « Est-ce que vous pourriez, non franchement on est en direct, si vous pouviez prendre un autre exemple que mon patron d’Europe 1 ? Ce serait... » (Rire)
- Josiane Balasko : - «  Attendez, j’ai aussi travaillé pour lui, mes bouquins ont été édité chez Fayard, chez Hachette, y’a pas de truc personnel. »
- Laurent Ruquier : - «  Bon bah alors ça va . Merci, merci Josiane. » (En faisant mine de se signer)

II. Critiques du journalisme

En compagnie de Daniel Schneidermann …

Impartial

Participant à un « tchat » sur Liberation.fr (06/01/2009), Daniel Schneidermann répond à un internaute qui lui demande si « les médias français traitent les événements de Gaza d’une façon professionnelle et impartiale » : «  Impartiale, pour ce que j’ai pu en noter, globalement, oui. Avant toute chose je tiens à rappeler sur ce sujet que l’analyse des médias, quand il s’agit du Proche-Orient, est rendue très compliquée par les réactions ultrapassionnelles sur le sujet. Ceux qui soutiennent les Palestiniens jugent inévitablement que les médias sont trop pro-israéliens, et vice versa. A chaque flambée de violence, à chaque nouvel épisode de cette guerre interminable, c’est toujours la même chose. Cette fois-ci, comme les précédentes, je n’ai pas personnellement remarqué de biais d’un côté ou de l’autre. » Mais un impertinent qui a sans doute trop lu le site d’Arrêt sur images, insiste : « A la fois vous reconnaissez que les journalistes manquent à Gaza et en même temps vous dites que le traitement est impartial : voilà une contradiction bien partiale, non ? » Ce à quoi le chroniqueur « Médias » de Libération répond : « Disons qu’il est aussi impartial qu’il peut l’être, compte tenu des restrictions israéliennes que je viens de signaler. » C’est tout ?

Symétrique

Le 12 janvier, Daniel Schneidermann, qui concluait six jours plus tôt à l’ « impartialité » des médias sur le conflit israélo-palestinien, botte de nouveau en touche dans sa chronique matinale sur le site d’Arrêt sur images : « De nombreux manifestants pro-palestiniens de samedi dernier, dans les rues de Paris, ont reproché aux journalistes présents sur place, leur traitement "symétrique" du conflit. "Comment pouvez-vous traiter de la même manière bombardeurs et bombardés ?" Et l’on sent confusément, en effet, que les radios et les télés françaises tendent désespérément vers cette "symétrie". Une minute de Gaza, une minute de Sderot (sans y parvenir, d’ailleurs, comme nous le signalions cette semaine).

Insoluble question, que celle de la symétrie. Il doit (il devrait y avoir), dans les médias d’un pays qui n’est pas partie prenante au conflit, une symétrie dans le traitement verbal des belligérants, dans la méfiance à l’égard de leur propagande, dans la compassion à l’égard de leurs victimes. S’efforce-t-on de la respecter, cette symétrie, que chaque camp fera valoir la supériorité, l’antériorité, de sa souffrance ou de sa légitimité. (Quand j’écris, comme ici, "chaque camp", ne cédai-je pas encore à une fallacieuse symétrie ?) Sort-on de la "symétrie", choisit-on, même dans le secret de son âme, un agresseur et une victime, que les partisans de l’adversaire vous sauteront à la gorge.

[...] Il n’y a évidemment pas de symétrie du nombre de victimes. Il n’y a pas de symétrie, depuis deux semaines, de la souffrance et des ravages. Les avions, les bombes au phosphore blanc, les chars, sont d’un côté et d’un seul. Mais il y a symétrie de la haine et du désespoir, dans ces peuples enchaînés l’un à l’autre. Comment traiter symétriquement d’une guerre asymétrique ? Merci d’envoyer les suggestions à la rédaction. »

Mais pourquoi chercher à tout prix à « traiter symétriquement d’une guerre asymétrique », cher Daniel ?

Impartialité relative et difficile symétrie ? C’est tout ? Une bonne occasion de (re)lire nos articles sur le traitement médiatique des dernières guerres d’Israël, au Liban et en Palestine

Horrifié

« Ne parler qu’aux convaincus me fait horreur. Sinon, je ferais Acrimed », explique Daniel Schneidermann dans Téléobs (18 décembre 2008). D’où l’on peut déduire : 1. Qu’Acrimed fait horreur à Daniel Schneidermann : un peu de mesure, cher Daniel ! 2. Qu’Acrimed pourrait être « fait » par Daniel Schneidermann : un peu de modestie, cher Daniel ! 3. Qu’Acrimed ne s’adresse qu’aux convaincus : la preuve par Daniel Schneidermann...

Solidaires ?

Et pourtant, Acrimed et @si sont à mettre dans le même sac.

 Selon Philippe Val dans l’émission « Nonobstant », animée par Yves Calvi sur France Inter, le 14 janvier 2009 : « Notre génération, notre scène primitive si on peut dire, c’est la Seconde guerre mondiale, Auschwitz, etc. Et notre modèle de journalisme, c’est Albert Londres, c’est celui qui rapporte quelque chose de la réalité. […] » Tandis que la génération des journalistes qui arrivent maintenant leur scène primitive c’est le conflit israélo-palestinien, ce n’est pas la Seconde guerre mondiale. Et leur modèle de journalisme c’est la critique des médias, c’est Halimi-Schneidermann. Et c’est une catastrophe. Je pense que c’est une catastrophe. Et on a beaucoup de mal à parler, on a beaucoup de mal à se parler et les opinions se font à partir d’opinions. Et c’est une horreur […]  » [2]

Insistons sur la question qui nous taraude : de Serge Halimi (que nous connaissons un peu...) ou de Daniel Schneidermann (que nous connaissons fort peu...) lequel doit être le plus flatté de leur association dans la bouche de Philippe Val ?

 Selon Laurent Joffrin, lors de l’émission les « Matins de France Cultrure, le 30 janvier 2009 [3] :

- Ali Baddou : - « Cette critique [des médias que Joffrin prétend critiquer], elle a un succès, elle a un public mais quoi de commun, quoi de commun, Laurent Joffrin, entre des sites internet comme Arrêt sur image qui font un travail de décryptage des médias, comme un site comme celui de l’Acrimed, [inaudible] la critique héritée de Pierre Bourdieu et qui se revendique d’une certaine légitimité universitaire. Qu’est-ce qui réunit toutes ces critiques là ? »
- Laurent Joffrin : ? « Une certaine paranoïa, c’est-à-dire que souvent ce qui est dénoncé… »
- Ali Baddou [le coupant] : ? « Mais vous allez plus loin, vous dites que c’est du poujadisme branché. »
- Laurent Joffrin : ? « Oui, un peu, je trouve. »

Et voici une autre question qui nous turlupine : De qui Daniel Schneidermann a-t-il le plus « horreur » ? De la bêtise de son patron ? Ou du rapprochement pour cause de « paranoïa » entre @SI et Acrimed ?

Epilogue grotesque :
- Les conneries de Romain Goupil

Le cinéaste néo-conservateur Romain Goupil intervient le 9 janvier 2009 dans « Esprit critique » (sic) sur France-Inter présentée par Vincent Josse dans la tranche du 7-10. On écoute le penseur :

http://www.acrimed.org/IMG/mp3/Goupil-Espritcritique.mp3



« Enfin, moi, je suis pas du tout sur tous les trucs altermondialistes ou ultra-gauche qui disent "les médias pourris" ou "le quatrième pouvoir" ou je ne sais pas quelle connerie à la Bourdieu. Absolument pas. Je dis : Ils font leur boulot du mieux qu’ils peuvent, ils essayent de nous donner des informations, et à nous, comme citoyens, de les protéger au lieu de dire sans arrêt "c’est les médias qui, les médias qu’a (?), les médias mon cul, les médias rien..." C’est à la limite moi, moi qui n’interviens pas assez, moi qui ne me mobilise pas mais comme journaliste ou comme citoyen ou comme individu. »

« Moi, moi, moi et les médias ». Ce devrait être le titre du prochain film de Romain Goupil.

 
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