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À Nous Paris, hebdo gratuit, « enquête » sur un service payant

À Nous Paris est un hebdomadaire gratuit distribué dans l’enceinte de la RATP « le News urbain diffusé dans le métro ». Quelques chiffres :
- 400 000 exemplaires mis en place tous les lundis dans 1000 points de diffusion métro/RER.
- Audience : 1 185 000 lecteurs réguliers.
- Pénétration : 27 % de pénétration sur Paris ; 60% des lecteurs le lisent toutes les semaines ; temps de lecture moyen de 20 minutes.

Un correspondant nous a adressé une analyse de ce que l’on peut y lire (Acrimed)

Pour aider au lancement des MMS des téléphones portables, À Nous Paris (semaine du 19 au 25 avril 2004) offre à ses lecteurs une pseudo enquête et un vrai publi-reportage. Clichés journalistiques, amalgames grossiers, sexe : toutes les ficelles de la désinformation, du spectacle et de la publicité condensées dans un seul article.

Le journal nous annonce un vrai nouveau débat de société qui fera date : pour ou contre les MMS ? On passera sur l’importance réelle du sujet pour s’intéresser à la manière journalistique du lancement de ce nouveau service.

À l’évidence, on ne peut penser que de manière binaire : la complexité ne fait pas partie du monde du marketing. Il faut donc créer rapidement des camps qui s’affrontent ou faire croire qu’ils s’affrontent car c’est alors la preuve de l’intérêt du sujet, auquel la polémique, artificielle ou pas, donne de la visibilité. Ce qui compte, c’est le bruit qu’il génère.

L’article détaille rapidement le fonctionnement de ce service. Il s’agit de SMS améliorés, puisque, avec du texte, on peut ajouter une photographie que l’on aura réalisée avec le téléphone. Pour le moment l’utilisation de ce service est croissante, même si on ne sait pas vraiment à quoi ça peut bien servir. Il est à noter également qu’il est facturé le double des SMS ; mais ça, ce n’est pas dit dans l’article. On vit, dans le monde du marketing, dans un univers sans frein, sans limite : l’argent ne doit donc pas être là comme une contrainte, mais comme une libération permettant d’atteindre de nouveaux horizons qui apportent forcément le bonheur.

Le journaliste annonce enfin son « scoop » : les photos faites avec un téléphone portable seraient souvent des images de voyeurs ! Et là, tout le monde est concerné : voyeur ou photographié, on est tous un peu des deux...

« Attention, ce nouveau gadget, apparemment ludique, peut s’avérer être une arme redoutable pour mateurs en herbe (...). Le risque de voyeurisme existe (...). Il y a pourtant un souci et il est de taille : comment savoir si la personne qui est assise en face de vous au café en train d’écrire un SMS ou en train de prendre une photo ? »

On enchaîne avec l’ouverture de la boite à fantasmes : internet ! Car si on vous prend en photo à votre insu, que ça part par le téléphone, ça finit évidement sur le Net. Le Net ! Vous vous rendez compte ! Le Net c’est les sites pornographiques pour ne pas dire pédophiles, les terroristes, les hackers, les trafics de numéros de cartes bleues... Un monde mystérieux, opaque où l’on ne contrôle plus rien : « Mais qui vous dit que vos fesses ne sont pas déjà sur le Net ? ». « Car le trafic internet est plutôt inquiétant, et pas toujours bon enfant. Tel ce site spécialisé, Mobile Asses [au passage la journaliste donne l’adresse...pour les voyeurs !], qui invite à envoyer des photos de fessiers prises à la volée... » « C’est le cas en Allemagne et en Grande-Bretagne, où l’on redoute les pédophiles encore plus qu’ailleurs  ».

On fait parler deux ou trois représentants de l’industrie du téléphone portable pour faire crédible. Effectivement, ils sont préoccupés : « En Australie, certaines piscines ont préféré en interdire l’usage, de façon préventive... » ; en Italie dans les club de gym... Bref, il y a vraiment quelque chose de louche. Toutes les perversions vont pouvoir y trouver leur compte.

Parvenu à ce point, le journaliste doit se rendre compte que s’il a réussi à éveiller la libido du lecteur, en continuant, il risque de faire fuir le futur client. Celui-ci ne voulant pas passer pour un pervers avec un tel téléphone à la main. Il faut donc trouver rapidement une liste d’utilisations conformes. Par exemple prendre en photo sa voiture accidentée pour le constat (on a des accidents tous les jours et en plus ça n’a aucune valeur juridique) ou encore pouvoir photographier un voleur et permettre son arrestation (ça reste dans la logique de la toute puissance, pouvoir faire la justice soi-même plus rapidement que la police, comme Spiderman !).

Pour finir de nous rassurer, finalement, on constate que les utilisateurs actuels envoient des photos pour fêter un anniversaire, le portrait de son amoureux ou son chat (un clin d’oeil à la pub du moment) : « Tout cela est à relativiser tout de même, puisque la plupart des MMS envoyé en France sont pour l’instant plutôt bienveillants : fêtes, anniversaires, portraits de son amoureux, de son chat, etc. » Ou encore (attention ! télescopage avec l’actualité irakienne) : « (...) c’est grâce à eux que les soldats américains ont pu recevoir des photos de leur famille. »

Tout ça, ce sont des utilisations personnelles qui n’apportent rien au marché. La liste continue donc avec la possibilité de recevoir des offres promotionnelles, des infos sur le cinéma, le sport (l’information est depuis longtemps un divertissement) et, pour ne pas perdre la mise en éveil sexuel, des services coquins (avec un point d’exclamation) : « (...) moyennant 3 à 8 euros en moyenne par mos, vous recevez directement sur votre portable des news illustrés sur le sport, les sorties de cinéma, l’actualité, voire des MMS coquins ! Aucun opérateur n’a voulu communiquer le chiffre des abonnements à ce genre de forfaits roses ; on estime qu’il serait de l’ordre de quelques milliers... » (On n’en sait rien, mais on estime que...).

Le lecteur libidineux et voyeur (un peu chacun de nous) qui se trouvait mis sur la touche trouve alors une chance de se racheter. Il n’a qu’à souscrire à des services pornographiques. Sa sexualité restera ainsi sous contrôle, normée par une industrie et la morale sera sauve puisque financière.

Tous les ingrédients des clichés journalistiques sont alors présents dans cet article : nouveauté, technologie, mode, part d’ombre, argent, sexe...

Depuis l’explosion de la bulle internet, les médias sont en quête d’une nouveauté à promouvoir, d’une nouvelle croisade pour évangéliser. Ce fut le téléphone portable (quand dépasserait-il le nombre de lignes fixes ?), l’UMTS (la France était dans les dernières à mettre en vente ses fréquences et pour combien ?), Internet (on était en retard, une fois de plus, pour se connecter au village global), l’ADSL (il faut passer à la vitesse supérieure), les SMS (le record de l’année dernière au nouvel an sera-t-il battu ?) et maintenant les MMS...

Pierre-Emmanuel Weck

 
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