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Une vraie-fausse « enquête » du Point sur les « vrais rentiers »

par Henri Maler,

On ne reprochera pas au Point, du moins dans les lignes qui suivent, d’être politiquement très orienté : à droite toute. Mais, s’agissant de sa fabrique journalistique de l’information et du commentaire : dans le fossé. Analyse d’un exemple.

La « Une » du Point daté du jeudi 11 septembre 2014 est une imitation réussie de bien des « Unes » précédentes sur « le scandale des “assistés” » ou « les dépenses publiques les plus délirantes »

Cette devanture incite à entrer dans la boutique et à parcourir les rayons d’un dossier de 15 pages consacrées aux « rentiers ». Que trouve-t-on dans les étalages ?

(1) En tête de gondole, sous le titre « Qui sont les vrais rentiers ? », une présentation de la prétendue enquête qui, comme l’annonce la « Une », promet de faire la part des vérités et des clichés. La rhétorique de camelot de cette présentation permet de planquer les réponses dans les questions. Un seul exemple. Qu’est-ce qu’une rente ? On se le demande. Réponse élastique : « Même la structure du marché du travail français peut entrer dans la définition. En effet, le graal du CDI – à opposer à la critique des contrats intérimaires et CDD – ne constitue-t-il pas une forme de rente ? ». On se le demande et on vous le suggère. L’essentiel de cette présentation est de cet acabit : un éloge de la concurrence sans frein. « Dynamite », annonce triomphalement le « chapeau »…

(2) L’enquête peut commencer. Comment ? Par une investigation… dans la tête de Jean-Marc Daniel auteur d’un livre dont la « Une » nous assure qu’il est « iconoclaste » [1]. Cinq pages (soit un tiers du « dossier »...). On y apprend, entre autres bonnes nouvelles, que le capitalisme est inachevé tant que l’État s’en mêle, que tous ceux qui exercent des métiers réglementés par l’État sont des rentiers, qu’il faut privatiser la sécurité sociale, que plus une société est inégalitaire, mieux elle se porte, etc. Qu’on n’aille pas croire que les « enquêteurs » du Point souscrivent à ce libéralisme intégral. Ils demandent même à l’auteur s’il pense vraiment ce qu’il pense.

(3) L’enquête peut alors s’intensifier. Après le « brûlot », comme dit Le Point, la « polémique », comme dit encore Le Point. Un titre : « Professions réglementées : le débat explosif ». Sur cinq pages, Le Point vous offre une investigation… dans les pages d’un rapport de l’Inspection Générale des finances (IGF), dont l’hebdomadaire collectionne, pour les commenter, quelques fragments. Commentaires mis à part, les informations… de l’IGF ne manquent pas d’intérêt. Mais à la question que lui-même soulève - peut-on parler de « rentiers » ? - Le Point ne répond pas. Pour ménager une partie de son lectorat ? Toujours est-il que, en contrepoint, des encadrés donnent généreusement la parole aux représentants des professions libérales, des notaires, des auto-écoles, des greffiers, des pharmaciens et des huissiers. Des professions « libérales » ou « réglementées » ? La « Une » hésitait. Disons « libérales » et « réglementées ». « Les professions libérales contre attaquent » annonçait la « Une ». Grâce au Point, c’est fait !

(4) L’enquête culmine avec l’habituelle Philippique contre les fonctionnaires, auquel le titre ne concède rien : « Fonctionnaire, statut de fer ». Deux pages suffisent à régler leur compte. C’est un classique. Le Figaro, déjà, en 2003, se « payait » les fonctionnaires. Les Échos, en 2013, malinformaient sur leur absentéisme ». Dans Le Point, c’est obsessionnel. En février 2014, il publiait, sous le titre (légèrement) provocateur « Combien coûte vraiment un poste de fonctionnaire ? », un article accumulant, comme nous l’avions relevé, amalgames, idées reçues, désinformation et conclusions erronées. En mars 2014, il récidivait, comme nous l’avions également relevé, à propos des fonctionnaires de l’administration territoriale. Cette fois encore, tout y passe : l’emploi à vie, l’avancement à l’ancienneté, le jour de carence, etc. En revanche, pas d’encadré sous-traité aux syndicats de fonctionnaires, ces pelés, ces galeux. Mais un éloge en caractère gras de l’apologète du libéralisme intégral : Agnès Verdier Molinier.

(5) Somme toute, les seuls rentiers indiscutables seraient les fonctionnaires. Mais, mais… l’équivalent d’une page, enfin, est concédé à Gérard Filoche, membre du bureau national du PS qui, nous assure-t-on, est un « décalé » qui « flingue tous azimuts ». « Les vrais rentiers, dit-il (et c’est le titre de l’entretien), «  ce sont les banques ». Une page sur quinze : une simple décoration de « l’enquête ».


* * *



Épilogue. Une « enquête » ? En vérité, une traque confusionniste à souhait, mais qui a manqué une de ses cibles potentielles : Le Point lui-même, du moins si on le vise avec ses propres munitions. Les aides à la presse qui dopent son financement, la bonne fortune de son propriétaire, l’abattement fiscal qui s’acharne sur ses journalistes et les CDI dont bénéficient la plupart d’entre eux seraient donc des rentes ? Le Point va « enquêter »...

Henri Maler

 
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Notes

[1L’État de connivence. En finir avec les rentes, Odile Jacob, septembre 2014.

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