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Une envie de DSK à Libération

par Sylvie Tissot,

Nous reproduisons, sous forme de « tribune » [1], et avec l’aimable autorisation de son auteure, un article publié le 7 juillet sur le site « Les mots sont importants » (Acrimed).

S’il fallait encore un exemple de l’incroyable capacité des sondages – et de leurs commentateurs – à créer l’opinion publique et lui faire dire à peu près tout et n’importe quoi, lisez donc l’article d’Anne Raulin et Big (?). En titre, tout est dit « DSK : les électeurs demandent la suite ».

Tout ceci serait sorti « de la bouche d’anonymes » : une « envie de Dominique Strauss-Kahn », qu’un institut de sondage n’aurait fait que découvrir puis enregistrer, avant que deux journalistes de choc, Anne Raulin et le mystérieux M. Big, le décryptent pour nous : les électeurs réclameraient donc Dominique Strauss-Kahn.

Malgré les « quatre années de descente aux enfers » qui ont suivi « l’agression présumée d’une femme de chambre » (bel euphémisme pour dire viol d’une femme de ménage noire + aveu de viols en série), « les électeurs » ne lui en voudraient pas. Ce serait même tout le contraire : c’est lui dont ils voudraient comme candidat aux prochaines présidentielles.

Le scoop est là, coco, tu nous mets ça en homepage, et ça donne comme titre « DSK : les électeurs demandent la suite ».

Alors regardons d’un peu plus près ce sondage. Du mouvement « spontané d’anonymes » par quoi tout aurait commencé, on ne saura à peu près rien : où, quand, comment ? Peu importe. Il s’agirait de « plusieurs conversations », avec « ces Français, réunis en petit groupe par des sondeurs » pour parler des prochaines présidentielles. Et de ces conversations aurait surgi un « bruit de fond » venu des entrailles du peuple, car figurez vous qu’il s’agit d’« ouvriers et d’employés le plus souvent ».

Une « envie d’un Dominique Strauss-Kahn » qui ne vient pas des hommes et femmes politiques, des communicants, des sondeurs et des journalistes. Non du peuple, on vous dit.

Alors n’écoutant que leur conscience professionnelle, leur esprit scientifique et leur goût pour la vérité, voici nos sondeurs de Viavoice partis résoudre ce mystère. «  "On a décidé de le tester pour voir", confie le président de Viavoice, François Miquet-Marty ». En réalité le sondage est commandé par Libération, comme on peut le lire en tout petit sous les graphiques. A noter aussi qu’il s’agit d’un sondage en ligne, c’est-à-dire les sondages plus biaisés socialement et les moins fiables qui soient.

Mais passons. Quels sont ces chiffres sans appel qui permettent de dire que « les électeurs demandent la suite » ? « 47 % des sondés estiment que Manuel Valls serait un "bon candidat". Mais c’est Dominique Strauss-Kahn qui arrive en deuxième position avec 37 % », écrivent les journalistes.

« On a été franchement surpris », confirme Miquet-Marty. Ah bon, mais de quoi ? Il s’agit d’une question fermée. Que le nom de Dominique Strauss-Kahn sorte du sondage n’a rien d’étonnant dans la mesure où… il a été proposé aux enquêtés !

Au milieu de l’article un intertitre curieux : « libertinage ». Sans rapport avec le contenu, on ne voit pas bien à quoi il sert, à part redire de façon euphémisée ce qu’on entend depuis le viol de Nafissatou Diallo : DSK n’est pas un « violeur », un « harceleur » ou encore un « gros dégueulasse », c’est un « séducteur » qui aime le « libertinage » ou encore les « parties fines ».

Surtout le scoop annoncé en titre s’écroule de lui-même au cours de l’article, notamment quand le directeur de ViaVoice explique benoîtement : « Ces résultats expriment avant tout un désir de rupture vis-à-vis de ce qui est ». Aucune « envie » de DSK particulière, surtout un désir de changement. Bref un « tout sauf François Hollande ».

Quant au « peuple », dont les journalistes suggéraient qu’il nourrissait les rangs du fan club DSK, on ne voit pas trop où il est : les taux de réponse positive des cadres supérieurs-professions intellectuelles (37,5%), des catégories intermédiaires (40,4%) et des ouvriers (40,5%) sont sensiblement les mêmes.

Le seul écart intéressant que les journalistes auraient pu commenter, c’est le décalage entre les réponses des hommes (43,5% de oui à la question « pour les présidentielles de 2017, Dominique Strauss-Kahn serait un bon candidat ») et les femmes (30,8%). Curieusement pas un mot n’est dit là dessus.

Et d’ailleurs, qui donc les journalistes ont-ils interviewé pour commenter ce sondage ? Des politistes travaillant sur le genre ? Des militantes féministes ? Non, bien-sûr, c’est la communicante Anne Hommel, dont le travail, rappelons-le, consiste à empêcher toute information négative sur son client DSK. Et qui va dire exactement le contraire de ce qu’elle pense, et souhaite pour préparer ce « retour » : Dominique Strauss-Kahn ne compte pas revenir en politique.

Alors à part prêter main forte à la stratégie de l’ancien directeur FMI converti en homme d’affaires louche, pourquoi un tel article ? Une seule réponse possible : l’espoir d’un nombre de clics suscités par un titre accrocheur, en contradiction complète avec le contenu, mais qu’importe.

Pour résumer : « Les électeurs » n’est qu’un artefact et personne ne « demande la suite ». Et ce « bruit de fond », c’est sans doute tout simplement celui que font les actionnaires d’un journal en perdition, qui exigent un retour sur investissement aux dépens de toute éthique journalistique.

Sylvie Tissot

 
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Notes

[1Les articles publiés sous forme de « tribune » n’engagent pas collectivement l’Association Acrimed, mais seulement leurs auteurs.

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