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Un tweet s’est abattu sur la France

par Benjamin Accardo, Henri Maler,

La campagne pour les élections législatives se poursuivait cahin-caha et n’était guère spectaculaire. Certes, l’affrontement entre Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen pouvait mobiliser les journalistes, pour peu qu’ils en dépolitisent consciencieusement le sens. Bien sûr, on assistait à des choix politiques significatifs de la direction de l’UMP, renvoyant dos à dos le Front national et le Parti socialiste. Vu des médias : de quoi nourrir les commentaires, mais pas au point de donner à cette actualité la place qui aurait dû lui revenir, puisqu’elle n’offrait pas de quoi alimenter la machine à fabriquer des histoires : le storytelling, cette technique de marketing importée dans le journalisme politique. Quelques rivalités locales pouvaient bien séduire les narrateurs, mais la matière restait pauvre. Quand soudain…

… Un tweet s’est abattu sur la France, effaçant « le reste de l’actualité », comme disent les présentateurs de JT. Pourtant, il fallait attendre, pour ne pas participer à la mobilisation médiatique, que les nuées provoquées par ce fracassant missile se dissipent quelque peu, pour revenir plus en détail sur cette mobilisation (sur laquelle une tribune publiée ici-même a dit l’essentiel).

Mais d’abord, comment croire que Valérie Trierweiler, journaliste et compagne du Président de la République, pouvait ignorer que son tweet allait déclencher une bronca du côté de ses confrères et qu’elle était la coéditrice de l’événement médiatique dont elle fut l’héroïne ? Car l’événement fut d’abord médiatique…

Ragots invérifiables, rumeurs protégées par le secret des sources, psychologie de bazar (mâtinée de sexisme ordinaire sur la « jalousie féminine »), leçons de morale sur le mélange entre vie privée et vie politique, leçons de maintien pour compagne de Président : rien ne nous aura été épargné. Avouons notre peu de goût pour les enquêtes fabuleuses et les commentaires à grande vitesse. Notre contribution, sur ce point, sera donc modeste, et tient en une question : pourquoi avoir si peu envisagé que des motifs plus ou moins politiques, aussi discutables soient-ils et aussi mêlées à d’autres qu’ils aient pu être, aient animé la rédactrice des redoutables 127 signes ? Une rédactrice qui ne pouvait pas ignorer le sens de son acte. Réponse : parce qu’il n’y aurait pas eu matière à tant d’histoires et de commérages !

Vérifions, pour mémoire et sur un échantillon limité, comment la caravane médiatique s’est ébranlée pour porter secours à l’événement qu’elle a largement concouru à construire.

I. D’ Europe 1 aux journaux télévisés

Passons sur les chaînes d’informations en continu, qui ont fait la course en tête : ce n’était, après tout, que la caravane publicitaire… Et ne retenons qu’une seule radio, avant de nous extasier devant les journaux télévisés.

1. Un 12 juin sur Europe 1

 Europe 1, midi. Absente des titres, l’information s’abat soudainement sur la radio : « À l’instant, on apprend… » Aussitôt lu, aussitôt adopté : « Voilà un tweet qui va probablement faire des vagues dans les heures qui viennent. Le tweet de Valérie Trierweiler, 39 21 pour témoigner, pour réagir sur ce tweet. »

 Journal de 13 heures. Ouverture : « Décidément, l’actualité se passe de plus en plus souvent sur Twitter. Valérie Trierweiler, compagne de François Hollande, a envoyé un message […] on y revient dans un instant ». Ce qui fut fait : « Valérie Trierweiler a provoqué un petit séisme au sein de la planète Twitter […] D’abord, Stéphane Grand, que dit exactement ce message, et est-ce bien elle qui l’a écrit ? » Ce qui nous vaut une « analyse » par le susdit. La présentatrice (Hélène Zélany) précise, pour finir : « Et puis, cette nouvelle est tombée alors que Martine Aubry, Ségolène Royal et Cécile Duflot était parties déjeuner sans la presse ». C’est vraiment pas de chance : « Donc, pour l’instant, pas de réaction ». Deux minutes sur douze : peut mieux faire…

 Europe 1 soir. Nicolas Poincaré annonce le menu. Copieux : « Au sommaire ce soir, l’incroyable message de soutien de Valérie Trierweiler […] Explications et réactions dans le journal dans un instant, et plus longuement à 18 h 15, nous serons notamment en ligne avec Olivier Falorni. À 18 h 40, l’invité d’Arlette Chabot c’est Harlem Désir, n° 2 du PS et, à mon avis, Arlette, vous allez en parler. » Arlette Chabot : « On va parler de La Rochelle, peut-être, et de l’influence d’un tweet sur l’élection en général et sur l’image du Président en particulier. »

Place au journal. Nicolas Poincaré : « Et donc, d’abord, la bombe ! La bombe Valérie Trierweiler » Christophe Charle : « Oui, la classe politique ne parle que de ça depuis la mi-journée… » La classe politique ou la meute des journalistes ? 4 min 30 s sur les 12 min du journal : il n’en fallait pas moins pour une « bombe » !

Suit alors l’interview d’Olivier Falorni, pour 4 min. Seulement ? Et l’on enchaîne sur un débat… sur le tweet, avec Anissa el Jabri, du service politique d’Europe 1, et Karim Rissouli, journaliste politique et coauteur de Hollande, l’homme qui ne devait pas être président. Ce qui nous vaut cinq bonnes minutes d’expertise…

Vient alors l’entretien avec Harlem Désir. Les sept premières minutes (sur 10 min 30 s) sont intégralement consacrées au tweet et à ses « conséquences politiques ». Un entretien qui se termine par des questions d’auditeurs : « Devinez sur quel sujet ? » (Nicolas Poincaré) Gagné ! « Harlem Désir est-ce que vous êtes sur Twitter », « Vous suivez Valérie Trierweiler ? »

En guise de dessert…. le plat de résistance : 30 min de débat entre Alexandre Kara, chef du service politique d’Europe 1, Jean-François Kahn, auteur du livre La catastrophe du 6 mai 2012, chez Plon, François d’Orcival, de Valeurs Actuelles, Maurice Szafran, PDG de Marianne, et Catherine Nay. Sur quoi ? Sur « l’affaire du jour », bien sûr. Un débat qui s’ouvre sur la musique de « Santa-Barbara », ou est-ce « Amour, gloire et beauté » ? 30 minutes.

Soit 50 min 30 s sur les 91 min 50 s : environ 55 % du temps d’antenne d’Europe 1 soir. Sur un tweet…

2. Un 12 juin à 20 heures sur TF1

Le JT de Gilles Bouleau, consacre 7 min 45 s, sur une durée du journal de 37 min 26 s, à l’événement !

Premier titre du sommaire : « La grande pagaille au PS après la publication d’un message [...]. » Sur l’écran, derrière Bouleau, des images de Trierweiler et un sous-titre : « Duel à La Rochelle : le tweet de trop ». « La droite parle de vaudeville. Nous serons en direct de La Rochelle dans un instant ». Suite et fin du sommaire.

 Bouleau (préoccupé) : « C’est un message très court qui en dit long. Vingt-deux mots qui ont déclenché une mini-déflagration politique. » Ou une maxi-explosion médiatique ? Et les mots se bousculent : « couac de taille », « immixtion » « embarras dans les rangs socialistes, comme l’ont constaté nos envoyés spéciaux à La Rochelle ». Suivent deux minutes de reportage pour constater, sur fond de cohue journalistique autour du trio féminin Aubry-Royal-Duflot, loin de la « grande pagaille » du sommaire, un... embarras.

 Retour en plateau pour un direct, à La Rochelle. Rebelote. Bouleau : « Il était 11 h 56 très précisément lorsque la blogosphère a reçu ce message (ce missile ?) de Valérie Trierweiler. Vous étiez au plus près des dirigeants socialistes. Comment ont-ils réagi ? » « ... ce tweet est reçu ici comme un signal un peu contradictoire » conclut l’envoyé spécial.

 Non sans avoir rappelé les « relations compliquées entre l’ancienne et la nouvelle compagne », Bouleau lance alors un reportage d’1 min 20 s titré, à l’écran, « Duel de dames : cœur et politique », montrant les deux femmes en diverses situations. Commentaire  : « Valérie Trierweiler a sciemment compliqué l’avenir politique de l’ex-compagne du Président ». Au fond, il s’agirait d’un « règlement de compte public très féminin » ! Puis une interview d’une minute de Constance Vergara « pipolisant » Trierweiler, citations de celle-ci dans la presse et sur France Inter à l’appui.

 « La droite a bien sûr ironisé... pièce de Feydeau... à gauche la gêne est évidente... François Hollande n’a pas réagi publiquement... Il a esquivé la question », lâche pêle-mêle Bouleau. Pour preuve, un reportage d’1 min 30 s titré, à l’écran, « L’embarras de François Hollande ». On le voit en déplacement au Conseil économique et social (CES). Commentaire : « Les journalistes se pressent à l’entrée du CES pour tenter de faire réagir François Hollande à l’affaire du jour... Peine perdue ! » Plus loin : « François Hollande fait comme si l’orage médiatique ne grondait pas ». Interview de Jean-Marc Ayrault qui, lui, bouge un orteil : « Ce qui est important, c’est de connaître la parole et la décision du chef de l’État. […] Le reste... C’est que des commentaires sur des commentaires. » Et vient la conclusion, dans un souffle lyrique : « Cette affaire privée avec des conséquences politiques, comme le dit un proche du chef de l’État, a semé le trouble... comme un parfum de femme... entêtant. »

3. Un 12 juin à 20 heures sur France 2

Présenté par David Pujadas, le JT d’une durée totale de 36 min 20 s consacre 7 min 44 s à l’événement, avec les mêmes mots (sans compter une reprise, dans une interview de Jean-François Copé).

 Premier titre du sommaire. Pujadas, émoustillé : « […] Dans les titres ce soir, l’intervention tonitruante (?) de Valérie Trierweiler (on la voit à l’écran arpentant le tapis rouge de l’Élysée au-dessus du sous-titre : « Ségolène Royal : le croche-pied de Valérie Trierweiler »), son soutien à l’adversaire de Ségolène Royal et prend aussi le contrepied de François Hollande : embarras à gauche, quolibets à l’UMP. La vie intime prend-elle le pas sur la vie politique ?  » C’est parti ! « Ce ne sont quelques mots mais ils ont pris tout le monde de court et ils sèment le trouble à gauche. » Plus loin : « La division est venue du couple présidentiel. Valérie Trierweiler soutient donc le candidat dissident. Et le dit publiquement ! »

 Puis Jeff Wittenberg résume en 2 minutes le drame : « La journée s’annonçait plutôt calme à La Rochelle...[...] Mais, à midi, coup de théâtre ! » « Dans un premier temps, Ségolène Royal ne réagit pas à ce tweet » (sidérée par tant de violence. Comme Bush le 9/11 ?). Sur des images de gardes républicains en faction : « À Paris, stupeur et un certain flottement. Une réunion s’improvise à l’Élysée [...] ». Et pourtant : « À La Rochelle une seule ligne de conduite est décidée face aux questions  : Il ne faut pas en faire un événement. » Question à Martine Aubry : « Ça vous choque ce soutien ? » À une Ségolène Royal, tempérante : « Mais ça ne facilite pas la sérénité ? » insiste le reporter.

 Détour par le plateau. « Alors comment expliquer ce gros couac au sommet de l’État ? [...] » demande Pujadas. 1 min 42 s de reportage s’ouvre sur cette révélation : « Elles se connaissaient depuis longtemps... ». Les explications brillantes de Serge Raffy, analyste sans divan, mais enfonceur de portes ouvertes, suivent : « Sans Ségolène Royal, François Hollande n’aurait pas gagné l’élection présidentielle... Et il le sait, il le sait très bien, donc il y a un lien... un duo politique... Cet (sic) couple politique va continuer à exister ! ».

Pujadas annonce « les réactions » que résume, en 1 min 20 s, un nouveau « sujet ». Ayrault : « Ce qui m’intéresse c’est la parole du Président. C’est la parole du gouvernement. Et pour les Français c’est ça l’essentiel. Le reste, c’est que des péripéties ». Sur fond d’image de l’Assemblée nationale, « la droite qui se déchaîne » « lâche ses coups » et « s’insurge » mollement. À l’instar d’un Eric Raoult goguenard et phallocrate.

 En plateau, Pujadas, gourmand : « Est-ce que l’autorité de François Hollande est écornée ? » Fabien Namias modère : « Bon, faut pas exagérer, ça ne remet pas en cause ses prérogatives de chef de l’État [...] Bref, ça ne le sert pas. »

Epilogue ? 13 min 30 s après le début du JT, Pujadas encore, en manque de réactions sur le tweet-gate, interpelle Jean-François Copé, invité du 20 heures, sur cette « affaire » en passe de faire trembler la République. Pujadas : « Le couac entre François Hollande et Valérie Trierweiler, pour vous, c’est anecdotique ou c’est grave ? ». Copé soupire et répond qu’il est « très mal à l’aise pour commenter cette affaire qui est d’une incroyable légèreté », avant de souligner, à sa façon, que d’autres problèmes sont autrement préoccupants. Et de conclure : « On nous demande de faire des commentaires sur quelque chose qui... excusez-moi... n’est pas du niveau ! » Si Copé le dit ! Renvoyé dans les cordes après ces deux minutes supplémentaires, Pujadas passe au sujet suivant.

Les journalistes des JT de 20 heures de TF1 et France2, incessants dramaturges de l’insignifiant, prompts à passer du « couac » au « séisme », et qui n’hésitent jamais à gonfler leur baudruche avec l’air du temps ont rempli leur office. Libre à chacune et à chacun d’évaluer comme il l’entend l’importance et la portée politiques de ce tweet. Mais pas au point d’ignorer que ce qui se commente alors, ce n’est pas un simple fait ou un événement médiatisé, mais un événement médiatique….

… Qui n’a cessé depuis d’envahir « l’actualité ». Et cela, dans la presse écrite, dès le lendemain.

II. De la PQR aux « grands »hebdomadaires

La presse du lendemain prend la mesure de l’événement ou plutôt construit un événement à sa mesure. Usant des mêmes termes (empruntés à la télé ou à la radio de la veille : vague, séisme, bombe, affaire, pagaille, duel, règlement de compte, crise, déflagration, orage, tonitruant, etc.), la presse écrite, le ventre vide, ne résiste pas au fumet du scandale. Certes, il y eut quelques dissidents et indifférents dont on retrouvera une partie en « annexe ». Mais l’événement médiatique prolifère.

C’est dans une partie de l’est de la France que le tweet fut particulièrement ravageur : une bombe explosant (surtout) au sein de la rédaction du Républicain Lorrain. Parmi les victimes, des journalistes sans doute.

Moins dramatiques, d’autres titres de la presse quotidienne régionale (PQR) rivalisent d’audace et de componction : la « crise » le dispute au « mélodrame » :

Sud-Ouest, la joue « léger » dans le jeu de mots, mais en fait sa « une ». Reléguant en annexe son article « L’UMP dans la toile du FN »

Mais les grands ne manquent pas de prouver leur grandeur. Si Le Monde titre sur la Tunisie, l’éditorial du prescripteur est impitoyable (et pitoyable) : « Conseil à la première dame : oublier Twitter »

Tandis que Le Figaro et Le Parisien font leur « une » de la rivalité Royal-Trierweiler. « Rivalité Secrète », précise Le Parisien. Sans blague ?

Les hebdomadaires, forts de leur recul sur l’actualité, prennent de la hauteur et tempèrent cette agitation :

Avec une prime pour L’Express, qui remit ça la semaine suivante.

Et pourquoi pas « Qui porte la culotte dans leur ménage » ?

Les commentaires, intarissables, n’ont pas cessé depuis sur cet événement médiatique. Ainsi font les grands médias.

Benjamin Accardo et Henri Maler (avec Olivier Poche, auditeur d’Europe 1)


Annexe : les dissidents et les indifférents

Parmi les dissidents, il y eut les communistes…

… Et dans la PQR…

Les triplés du Sud-Est ne mirent en bas de page de la « une » que le billet de Philippe Bouvard. L’éthylotest fit la « une » de Nice-matin et de Var-matin ; tandis que le premier informa d’une « ruée sur les éthylotests », le second sonna l’alerte : « Routes ; l’éthylotest devient obligatoire ». Corse-matin se souvint de la vie politique : « Christine Guérini frappée d’inéligibilité ».

Le Berry Républicain plaça ses lecteurs « au cœur des métiers du bois », et Le Journal du Centre au cœur d’une randonnée cycliste : « Nivernais-Morvan : tout de piste naturel  ». L’Yonne républicaine posa la question que tout le monde se pose : « Doit-on encore conduire après 80 ans ?  », tandis que Presse Océan titra : « Câbles dérobés, abonnés excédés  ». Le Populaire du Centre fut social : « Qui dit cadre ne dit pas corvéable à merci  ». Le gros titre de « une » de L’indépendant fut électoral : « Alliot attaque Bourquin ». Mais n’oublia par le tweet : « @Vatrier tacle Ségolène Royal ».

Si Le Républicain Lorrain reçut « la bombe Trierweiler », les Dernières Nouvelles d’Alsace – se préoccupèrent d’une question plus grave : « L’emploi industriel sous pression ». De son côté, L’Est Républicain campa résolument à l’est : « TGV Est : la vie autrement ».


Midi libre
titra en bas de colonne de « une » : « Législatives – La Guerre des Dames », mais réserva son gros titre à une tout autre actualité : « FN et UMP, micmac en région ».

Etc.

 
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