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Un documentaire contre « La Cité du mâle » : contre-enquête et résistances

par Nicolas Losser, Olivier Poche,

Après la diffusion du documentaire « La Cité du mâle », dans le cadre d’une soirée « Théma » intitulée « Femmes : pourquoi tant de haine ? », un « contre-documentaire » revenant sur les conditions du tournage et la fabrication de ce « monstre » médiatique [1] et intitulé « La Cité du mal, ou la banlieue fabriquée par "les médias" », a été présenté, le 15 décembre 2010, lors d’une conférence de presse réunissant son réalisateur, des habitants de la cité Balzac de Vitry-sur-Seine (la « Cité du mâle » en question) et des documentaristes.

Cet article, qui en contient quelques morceaux choisis, est une façon d’exprimer le soutien que nous apportons à cette initiative, forme de résistance, qui ne peut être qu’encouragée, à cette soirée « Théma » proposée par Daniel Leconte, véritable agression télévisuelle labellisée Arte.

Une soirée sur Arte

Le 29 septembre 2010, Arte diffuse enfin « son » documentaire : « La Cité du mâle », réalisé par Cathy Sanchez et produit par Doc en Stock, la société de Daniel Leconte. Le 31 août, comme la chaîne s’en expliquait elle-même sur son site, elle l’avait en effet « déprogrammé dans l’urgence [...] après avoir pris connaissance une heure avant la diffusion des risques encourus par une personne liée à ce film ». Un mois plus tard, « après avoir procédé aux modifications permettant en particulier d’assurer de manière plus effective l’anonymat de certains protagonistes du film, et d’éviter tout risque de diffamation », elle diffuse donc le documentaire et rediffuse la soirée « Théma » dans lequel il s’inscrivait originellement.

Rappelons d’abord que les motifs de cette déprogrammation ont fait l’objet de controverses : pour Arte, il faut en chercher la cause dans des menaces qui auraient été proférées à l’encontre, notamment, de Nabila Laïb, journaliste originaire de Vitry-sur-Seine qui a procuré des contacts à la réalisatrice [2]. Le jour prévu pour la diffusion, on pouvait ainsi lire sur la page Facebook de la chaîne que, « certains protagonistes du documentaire se disant en danger, la production et l’antenne ont décidé d’une déprogrammation temporaire ». Dans un droit de réponse publié par lefigaro.fr, Nabila Laïb avait démenti en déclarant, au contraire : « il y a eu zéro menace, mais un désaccord éditorial ». Elle qualifiait en effet « La Cité du mâle » de « reportage instrumentalisé et bidonné », se plaignant d’avoir été écartée du montage.

Avant de revenir en images sur le contenu du documentaire lui-même, il convient également de dire un mot du contexte dans lequel il devait être diffusé : une soirée « Théma » aux nombreuses circonstances aggravantes, proposant in fine un modèle « cultivé » de désinformation et de stigmatisation. Le « thème » en question, on l’a dit, était formulé ainsi : « Femmes : pourquoi tant de haine ? » Et pour illustrer le sexisme et les violences faites aux femmes, donc, deux documentaires, produits par Doc en Stock et un débat, animé par Daniel Leconte. Le premier, tourné dans la cité Balzac de Vitry, où Sohane Benziane avait trouvé la mort, brûlée vive par un amoureux éconduit, ne se préoccupe que du machisme des « cités ». Le second, intitulé... « Quand le rap dérape », revient sur « les dérives sexistes du rap » (essentiellement aux États-Unis). Deux documentaires agrémentés d’un « débat », en réalité deux témoignages de deux femmes – dont l’origine est rappelée par le présentateur : algérienne pour l’une (Malika Sorel), turque pour l’autre (Serap Çileli) – qui se complètent utilement. La première, considérant qu’« il faut avoir le courage de dire qu’une certaine culture arabo-musulmane archaïque est aujourd’hui en cause », répond en effet à la seconde, victime d’un mariage forcé à l’âge de 15 ans, qui nous rappelle que « l’islam, il ne faut pas l’oublier, ou le passer sous silence, considère comme légitime et encourage la violence contre les femmes et contre les infidèles ».

La chaîne des amalgames achevait ainsi d’enserrer le débat sur le sexisme et la misogynie dans un périmètre étroit qui va de la cité à la mosquée. On ne s’étonnera guère qu’un blog québécois sur « l’islamisme, le multiculturalisme, la liberté d’expression et la langue de bois » se félicite de cette soirée, dans un billet intitulé « La haine des femmes dans les banlieues islamisées » : une formule qui en explicite sans fausse pudeur le sujet véritable. On ne s’étonnera pas non plus qu’Alain Finkielkraut ait reçu avec tous les égards dus à son rang Daniel Leconte, le producteur du « monstre » (lire ici même : « Daniel Leconte chez Alain Finkielkraut : mensonges et calomnies ».)

Retour, donc, en quelques vidéos, sur une conférence de presse qui valait bien une soirée « Théma »...

 Les jeunes, la banlieue et les caméras

En guise d’introduction générale, quelques extraits des interventions de Denis Gheerbrant et Daniel Kupferstein, documentaristes, qui reviennent notamment sur leur expérience de tournage auprès des jeunes, et plus spécifiquement encore auprès de « jeunes de banlieues » :

 Un « documentaire » ?

Quant au contenu précis de « La Cité du mâle », quelques exemples de manipulations et autres bidonnages :

 Un « contre-documentaire »

Pour un aperçu des motivations et du contenu de « La Cité du mal », réplique au reportage malveillant d’Arte, on trouvera d’abord ci-dessous des extraits sonores de l’intervention de son réalisateur, Ladji Real [3], qui commence par évoquer l’origine de son projet : à la suite de la diffusion de « La Cité du mâle », intrigué et incrédule, il décide de se rendre à la cité Balzac...

Format mp3 - Durée : 6’ 12" - Téléchargeable ici

Enfin, voici la « bande-annonce » de sa contre-enquête, que nous espérons découvrir en intégralité, très prochainement, sur Arte. Ce qui serait la moindre des choses.

Nicolas Losser et Olivier Poche

 
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Notes

[1Selon l’expression de Denis Gheerbrant, qu’on retrouvera dans la première viédo.

[2Ce qui lui vaut d’être qualifiée de « fixeuse » par Cathy Sanchez et la société de production. Voici, sans autre commentaire, comment Wikipedia définit le terme : « Dans les zones difficiles, notamment dans les pays en guerre, un “fixeur”, un traducteur aide de camp, est l’interface indispensable avec la population. Cet intermédiaire peut devenir une cible des belligérants qui peuvent le considérer comme un “traître” ».

[3Par ailleurs directeur de Yes We Can Productions, association d’insertion par la culture et les métiers du cinéma, et d’éducation à l’image.

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