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« Sommet pour un Plan B en Europe » : morgue et mépris médiatiques

par Mathias Reymond,

Les 23 et 24 janvier 2016 se tenait à Paris le « Sommet pour un Plan B en Europe » réunissant plusieurs dizaines d’intervenants venus des quatre coins de l’Europe, d’Afrique et d’Amérique du Sud. Organisé par le Parti de gauche, ces journées se sont conclues par un discours de son ancien président et principal porte-parole, Jean-Luc Mélenchon… Qu’en ont dit les médias ? Rien – ou pire que rien.

Un sommet ? Ah bon…

Silence radio. Et silence télé. Les médias ne savaient peut-être pas qu’un sommet sur l’Europe se tenait à Paris le week-end du 23 et 24 janvier 2016. Et les rares journaux et sites qui en ont parlé résument les rencontres en quelques lignes avant de ne s’intéresser qu’à ce qui les préoccupe : l’élection présidentielle et la candidature de Jean-Luc Mélenchon.

La description des journées faite par Le Monde (25 janvier 2016) synthétise bien les quelques articles rédigés : « À l’occasion du “Sommet pour un Plan B en Europe”, organisé par le Parti de gauche ce week-end à Paris, l’ancien candidat à la présidentielle s’est livré, dimanche 24 janvier, à une charge en règle contre l’Europe. » Les thèmes des discussions ? Les sujets des tables rondes ? Il n’en est pas question. Les autres invités présents ? On n’en dira rien. En revanche, on glose sur l’absence de l’ancien ministre grec des Finances, qui préoccupe le quotidien vespéral : « Yanis Varoufakis a fait faux bond ».

La présentation des rencontres est également minimaliste dans Libération (24 janvier 2016) : « À l’initiative de Jean-Luc Mélenchon, plusieurs économistes et politiques européens se sont réunis samedi et dimanche à la Maison de la chimie à Paris pour un “sommet” destiné à faire naître une alternative aux actuels traités de l’Union. » Ensuite, les articles ne s’intéressent qu’à certaines phrases de Jean-Luc Mélenchon. D’ailleurs, les titres ne sont centrés qu’autour de sa personne : « Mélenchon cherche son “plan B” » annonce Le Monde, « Mélenchon et les “insectes bureaucratiques” de Bruxelles » précise Libération, « Le plan B de Mélenchon pour sauver l’Europe » pour Arnaud Leparmentier sur France Inter…

Des débats de fond sur l’euro et l’Union européenne, il ne reste rien ou presque. Ainsi pour Le Monde : « Au final, le plan B de M. Mélenchon reste très flou. À la dénonciation de l’Union européenne, il a ajouté dimanche celle de l’euro sans pour autant appeler clairement à sortir de la monnaie commune. »

On l’a bien compris : seules les (petites) phrases de Mélenchon importent aux journalistes… parce qu’ils se projettent déjà vers l’élection présidentielle.

Les médias en campagne

Dans Libération, il n’est pas question du contenu des deux journées mais bien des propos de Mélenchon – commentés avec une certaine dose de dédain : « L’eurodéputé pose la question à la gauche en vue de l’élection présidentielle : “Qui va le mieux renouveler les idées et les pratiques ?” Pour Mélenchon, c’est lui. Même s’il refuse une primaire à gauche qui permettrait justement de répondre à la question… »

En rapportant des bruits de couloir, le site de RFI prévient qu’il « faudra compter avec lui en 2017 » en titrant « Présidentielle 2017 : Mélenchon peaufine sa candidature ». Mais son discours ne porte pas sur cela puisque, sur une heure de prise de parole, il ne consacre que cinq minutes à ce thème si cher aux médias [1].

De manière sarcastique, le Lab d’Europe 1 reprend les informations de RFI en annonçant que « Jean-Luc Mélenchon se dit "fin prêt" pour l’élection présidentielle 2017 » sans évoquer le sommet… Et se moque de « Jean-Luc Mélenchon [qui] préfère rester tout seul », en illustrant l’article par une vidéo où l’on voit un sprinteur rater son départ.

De leur côté, Libération et Le Monde sont un peu plus subtils mais tout aussi malveillants, puisqu’ils utilisent la même image de Mélenchon, assis seul (comprendre : isolé) au Parlement européen.



Et pendant ce temps... Leparmentier plagie Leparmentier

Si l’on savait qu’Arnaud Leparmentier, éditorialiste multicarte, chérissait l’Euro, on découvre à cette occasion qu’il aime aussi les euros facilement gagnés. Entre deux articles au Monde, un « Grand Rendez-Vous » le week-end avec Europe 1 et I>Télé, une émission hebdomadaire sur Arte (« 28 minutes »), des chroniques quasi quotidiennes sur France Inter, et une trentaine de tweets par jour (non rémunérés, eux), le directeur éditorial du Monde ne sait plus où donner de la tête. On comprend dès lors qu’il soit souvent à côté de sa plume et n’ait guère le temps de travailler ses sujets. De là à se plagier lui-même…

En effet, le lundi 25 janvier 2016, sur France Inter, Leparmentier s’en prend avec véhémence au « Plan B de Mélenchon » avant de dupliquer sa chronique – presque à l’identique – dans Le Monde, trois jours plus tard (le 28 janvier), en l’intitulant – sans perfidie – « L’amicale du plan B ».

Il faut dire que Leparmentier a de bonnes raisons de faire (et de refaire) une chronique sur ce Sommet, puisqu’il l’avoue sans fard : « Nous avons séché, ce week-end, le meeting de Mélenchon. » Et le copiste de railler – il faut bien meubler – les moyens de communication choisis par le Parti de gauche : « Mélenchon, c’est la révolution rouge portée par le génie numérique américain : google, twitter, facebook, youtube, instagram. Tous ces outils capitalistes nous ont permis de revivre sur son blog cette journée mémorable. »


***



Les années passent et rien ne change dans le microcosme du journalisme politique… qui se passionne encore et toujours pour les « grands » candidats des « grands » partis, ostracise les « petits », et privilégie le jeu politique (avec la personnalisation à outrance) au détriment des enjeux politiques. De quoi, sans doute, justifier un prochain « Sommet pour un plan B dans les médias »…



Mathias Reymond

 
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Notes

[1Pour les lecteurs patients, son discours est disponible ici-même.

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