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Slama-la-haine, les intermittents et le « Lumpen »

par Henri Maler,

Chaque chronique d’Alain-Gérard Slama, sur France Culture ou dans les colonnes du Figaro, transpire la haine et le mépris. Avec la canicule de cet été 2003, sa sueur coule à flots.

Sous le titre « Le nouveau "Lumpen" », on peut lire ceci dans Le Figaro du 21 juillet 2003 :

« La paralysie de la France des festivals [sic] ne laissera pas seulement une trace dans le budget. Elle aura mis en évidence la présence sur la scène démocratique d’un acteur atypique, hors système, imprévisible, manipulé et cependant rationnel. Cet acteur, qui a pris en la circonstance le visage des intermittents du spectacle, mais qui peut être aussi bien celui des manifestants antimondialistes opposés au G8, ne puise ses motivations ni dans une idéologie ni dans une conscience de classe. De l’ouvreuse de théâtre à la star de cinéma, du sans-terre du Brésil à l’exportateur de roquefort de la Confédération paysanne, il ne dispose pas d’une organisation représentative institutionnalisée et il partage des rejets plutôt que des projets. Il existe bien pourtant par lui-même, et il vient de rendre manifeste une énorme capacité d’empêcher. En ce sens, la grève qui vient de bouleverser [re-sic] la saison touristique (…) a fait apparaître, dans notre démocratie médiatisée, un phénomène que les sociologues voyaient venir et qui est appelé à bouleverser les rapports de pouvoir : le développement d’un Lumpenproletariat hétéroclite, situé en dehors du pays légal, composé de sans-logis mais aussi de cols blancs automarginalisés, devenu depuis peu capable d’opposer à la société une résistance organisée. »

Cet acteur protéiforme - ce lumpenprolétariat pourtant composé d’une majorité de prolétaires que seule la détestation de son créateur permet de doter d’une même identité sociale - est chassé du « pays légal » par simple décret du « pétillant » [1] Alain-Gérard Slama.

Puis le « pétillant » compare ses élucubrations avec la description que Marx - son rival posthume - donne des « déclassés » dans Le 18-Brumaire de Louis Bonaparte [2]. Ce rapprochement prétentieux et vide permet d’attribuer à la différence des temps … l’inconsistance de la slamesque confrontation. On vous épargne cette cuistrerie. Mais pas la suite :

« On savait, jusqu’ici, que les délaissés de la modernité étaient capables d’entraver le fonctionnement de la démocratie par l’abstention ou par un vote extrémiste. On savait aussi qu’une action spectaculaire bien menée, comme l’occupation par des sans-logis d’un immeuble rue du Dragon, pouvait envahir les écrans de télévision et arracher des concessions au législateur. On a vu enfin, depuis 1995, des coordinations et les non-alignés de Sud dicter de plus en plus souvent leur volonté aux syndicats institutionnels. En l’été 2003, il sera apparu que des groupes aux intérêts les plus disparates peuvent, à l’échelle nationale, remettre en cause des accords et des votes majoritaires en s’exprimant d’une seule voix. ».

De proche en proche, le Lumpenprolétariat version Slama s’étend à toutes les catégories de salariés…

Et ça continue :

« Les trotskistes, venus pour la plupart de FO, qui ont manipulé le « Lumpen » bigarré d’Avignon et, plus généralement, les néo-marxistes et autres bourdivins qui inspirent les mouvements antimondialistes (…) croient pouvoir renouveler le songe du Manifeste communiste : « Exclus de tous les pays unissez-vous ! ». Une formule dont Slama est tellement fier qu’il la ressert régulièrement…

…Mais cette fois, c’est pour rassurer ses lecteurs, car :
« les trotskistes (…) et, plus généralement, les néo-marxistes et autres bourdivins » (...) méconnaissent le fait que, si grave que soit le creusement des inégalités, les groupes qu’ils veulent armer contre le capitalisme sont, peu ou prou, des bénéficiaires de l’Etat providence. Les intermittents du spectacle ont beau se représenter comme des cigales, par opposition à l’ordre matérialiste des fourmis, ce sont des cigales subventionnées. Cela aide à réfléchir. »

Résultat de cette « réflexion » :

« Pour cette raison, ils ont cessé d’être des catégories dangereuses. Ils restent des individus rationnels, accessibles au « dialogue » avec un pouvoir assez habile pour les ressaisir. Il faudrait, de la part de ce pouvoir, beaucoup d’aveuglement et de fautes pour les pousser au désespoir. Dans la forme neuve de dialogue social qui s’instaure, le principal obstacle tient au fait que l’organisation de ces groupes n’est pas stable, et que leurs comportements sont imprévisibles. Beaucoup plus que des héritiers de Marx, ce sont les enfants d’Internet et de la télé. »

Et Slama, qui ne recule devant aucune comparaison, de terminer par celle-ci, apaisante à souhait :

« A bien des égards, on est tenté de rapprocher le comportement de ces manifestants du troisième type d’une mode, partie de New York, et qui se répand aux Etats-Unis : des manipulateurs invitent par Internet un échantillon aléatoire à s’attrouper dans un endroit précisé au dernier moment ; aussi étonnant que cela paraisse, des milliers d’hommes et de femmes de tous âges se retrouvent au lieu dit à l’heure dite, entravent la circulation, poussent des cris et se dispersent quand la police arrive. (…) C’est une protestation paradoxale contre l’ère des foules, par le même. Il y aurait là un danger de fascisme si, acculé au désespoir, chaque individu n’avait d’autre issue que de se perdre dans la foule. Mais une fois la crise passée, les passions s’apaisent, et chacun rentre chez soi. »

De quoi alimenter, dans les colonnes du Figaro, un « débat » estival.

 
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Notes

[1Tel est l’adjectif qui lui convient si l’on en croit un « social-democrate libertaire » : « Slama incarne « l’esprit français » au sens d’une pétillance dont la légèreté ne s’appesantit pas sur la véracité des faits, la solidité des arguments et l’architecture des textes. » (Vers une « social-démocratie libertaire » ? Par Philippe Corcuff, Le Figaro, 8 juillet 2003). Qu’en termes délicats ces choses-là sont dites…

[2« A côté de roués ruinés, aux moyens d’existence douteux et d’origine également douteuse, d’aventuriers et de déchets corrompus de la bourgeoisie, on y trouvait des vagabonds, des soldats licenciés, des forçats sortis du bagne, des galériens en rupture de ban, des filous, des charlatans, des lazzaronis, des pickpockets, des escamoteurs, des joueurs, des souteneurs, des tenanciers de maisons publiques, des portefaix, des écrivassiers, des joueurs d’orgues, des chiffonniers, des rémouleurs, des rétameurs, des mendiants, bref, toute cette masse confuse, décomposée, flottante, que les Français appellent la bohème. C’est avec ces éléments qui lui étaient proches que Bonaparte constitua le corps de la société du Dix-Décembre. » Et Slama de cite sa source : Marx-Engels, Oeuvres choisies, tome 1, éditions du progrès, p. 303. Une citation choisie dans des Oeuvres choisies, donc, par un grand connaisseur qui n’a pas les moyens de s’offrir une édition plus complète et plus récente.

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