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Seize ans après, Claude Askolovitch tente de classer l’affaire Siné

par Mathias Reymond,

Juillet 2008 : Siné est renvoyé de Charlie Hebdo par Philippe Val. Cette affaire, qui a ébranlé la presse, avait fait vaciller la rédaction de l’hebdomadaire satirique [1]. C’est une histoire (ancienne) que les vivants peuvent réécrire à l’envi. Claude Askolovitch, qui en fut l’un des principaux instigateurs, fait partie de ceux-là.

Alors que le dernier (et ultime) numéro de Siné Mensuel sort dans les kiosques, le libelliste y consacre un bout de sa revue de presse sur France Inter (5/03/2025) :

Siné c’était un anar du dessin, qui avait entrepris de choquer le bourgeois dans la guerre d’Algérie. Mort en 2016, il avait lancé son journal en 2008 après avoir été renvoyé de Charlie hebdo pour une chronique où il moquait une éventuelle conversion au judaïsme d’un fils de Nicolas Sarkozy. A l’époque, l’été 2008, on s’était disputé sur la nature antisémite ou non du texte... Catherine Sinet qui, après son époux, a poursuivi son journal rappelle en ouverture que « le sieur Askolovitch », oui c’est moi, avait lancé cette polémique, c’était sur une autre radio. Il est étrange et juste de lire mon nom ainsi dans ce numéro qui va rester. Ce que nous vivions en 2008 peut sembler dérisoire en comparaison de notre temps – nous en parlons parfois Catherine Sinet et moi.

Askolovitch raconte ici de manière très arrondie l’affaire et suggère même que Catherine Sinet et lui en ont devisé ensuite comme de vieux amis après une brouille. Et pourtant… Le rôle d’Askolovitch à l’époque n’avait pas été simplement de se « disput[er] sur le nature antisémite ou non du texte » mais bien de livrer la première estocade et de mobiliser l’armada médiatique contre Siné… jusqu’à provoquer son départ de l’hebdomadaire satirique. Et puis, contrairement à ce qu’il prétend, Catherine Sinet et lui n’en parlent pas « parfois ». Contactée par nos soins, la directrice du mensuel nous rappelle qu’ils ne se sont eus qu’une seule fois au téléphone il y a quelques mois et que la conversation n’avait rien d’amical. D’ailleurs, nous dit-elle, « cette histoire a complètement chamboulé ma vie. »

Alors, rappelons les faits rapidement. Eté 2008, le dessinateur Siné écrit : « Jean Sarkozy, digne fils de son paternel et déjà conseiller général de l’UMP, est sorti presque sous les applaudissements de son procès en correctionnelle pour délit de fuite en scooter. Le parquet a même demandé sa relaxe ! Il faut dire que le plaignant est arabe ! Ce n’est pas tout : il vient de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d’épouser sa fiancée, juive, et héritière des fondateurs de Darty. Il fera du chemin dans la vie, ce petit ! » [2]

Philippe Val qui déteste Siné cherchait un prétexte : il l’a trouvé. Grâce à son entregent, il mobilise les inquisiteurs médiatiques habituels (Bernard-Henri Lévy, Alain Finkielkraut, Laurent Joffrin, Daniel Leconte, Élisabeth Badinter ou Joann Sfar) pour dénigrer Siné dans la presse et lui faire un procès en antisémitisme. Il somme le dessinateur de s’excuser. Apprenant qu’une pétition contre lui circule au sein du journal, ce dernier refuse. La LICRA porte plainte contre Siné pour antisémitisme et Charlie Hebdo le renvoie. Le dessinateur fonde Siné Hebdo (qui devient Siné Mensuel). Il gagne ses procès et quelques années plus tard Charlie Hebdo est condamné à « verser des dommages et intérêts au dessinateur Siné pour rupture abusive du contrat qui le liait au journal depuis 16 années. » [3]

Mais au départ, c’est bien Claude Askolovitch, journaliste alors au Nouvel Observateur qui est à l’origine de cette cabale. Lors d’une intervention sur RTL dans « On refait le monde » (émission de cabotinage – ancêtre de ce qui se fait de pire en termes d’émission de débats [4]), il dit à propos du texte de Siné, paru six jours plus tôt :

C’est un article antisémite dans un journal qui ne l’est pas (...). Philippe Val n’a pas lu cette chronique, parce qu’il déteste tellement Siné qui fait partie de la vieille garde de Charlie Hebdo, d’un gauchisme imbécile qu’il exècre, dixit Philippe Val, qu’il ne les lit plus. (...) Et la semaine prochaine, il va faire son éditorial, je l’ai eu au téléphone, pour expliquer que Siné est une ordure, a dérapé totalement, et qu’il devrait partir.

Dans la foulée, Siné intente un procès pour diffamation à l’encontre du chroniqueur. Pour tenter d’éteindre le feu, ce dernier propose à Catherine Sinet « qu’on se voie pour dîner ». « On ne va pas se faire des procès ! » lui aurait-il dit. Le couple ne se laisse pas amadouer. Aujourd’hui encore, elle n’en revient pas : « Je suis sur le cul qu’il m’ait appelée pour un dîner ! ».

« Ce que nous vivions alors peut sembler dérisoire en comparaison de notre temps » commente à présent Askolovitch. Une façon de minimiser l’emballement médiatique suscité par sa chronique et la réaction de Val ? Pourtant, à l’époque déjà, Pierre Rimbert notait sur le site du Monde diplomatique que « depuis le début des années 1990, on ne comptait plus les adversaires de l’impérialisme, du néolibéralisme, des médias dominants…, qualifiés d’antisémites, voire de "nazis" par quelque gardien de l’ordre social. » Et d’égrener la liste des vilains : « Edgar Morin, Pierre Péan et Philippe Cohen, Daniel Mermet, Hugo Chavez, Pascal Boniface, Jacques Bouveresse, Charles Enderlin, Pierre Bourdieu, José Bové… sans oublier Le Monde diplomatique » qui furent « tour à tour suspectés ou accusés d’antisémitisme ».

Seize années plus tard, la liste s’est encore allongée, mais les procureurs médiatiques sont toujours les mêmes et Claude Askolovitch est l’un des leurs [5].


Mathias Reymond

 
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Notes

[1Lire Mohicans de Denis Robert, Julliard, 2015.

[2Charlie Hebdo, 2 juillet 2008.

[4Lire « Les cabotins des ondes », Le Monde Diplomatique, mai 2006.

[5Au diapason des médias dominants, il décochait récemment des flèches contre LFI (en particulier sur X contre Rima Hassan ou Aymeric Caron)

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