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Réponse du réalisateur du documentaire sur la formation professionnelle (« Cash investigation », France 2)

Nous avons reçu de Benoît Bringer, réalisateur de l’enquête sur la formation professionnelle diffusée dans le cadre de l’émission « Cash investigation » (France 2) le 2 octobre 2013 sur France 2, une réponse à notre article « Cash investigation » (France 2) : une enquête faussement subversive sur la formation professionnelle ». Nous la publions volontiers. Elle est suivie de la réponse d’Acrimed et de celle de l’auteur de notre article.

I. Réponse du réalisateur du documentaire

Bonjour,

Je suis l’auteur du documentaire objet de l’article d’Acrimed intitulé : « Cash investigation » (France 2) : une enquête faussement subversive sur la formation professionnelle ». N’ayant pas été sollicité pour cette publication, je me permets de vous envoyer la réponse suivante, conformément au principe du contradictoire.

En tant que journaliste soucieux de la liberté d’expression, je suis respectueux et défenseur de la critique, mais aussi soucieux des faits qui la sous-tendent. Or je note plusieurs erreurs factuelles dans l’article que vous publiez, dont deux au moins témoignent d’une approximation inquiétante :

Au sujet de la séquence du documentaire où nous mettons en place une formation fantaisiste qui enseigne la course en sac et le Air guitare, votre journaliste écrit : « Sourire en coin, Elise Lucet montre la séquence précédente au ministre du Travail, en charge de l’Emploi et de la Formation professionnelle » À aucun moment, Elise Lucet ne montre la « séquence précédente » au ministre. Je m’interroge donc : comment déceler un sourire en coin dans une scène qui n’existe pas ?

À propos de la séquence en caméra cachée où le responsable des enregistrements d’organismes de formation pour l’administration affirme « n’importe qui peut devenir organisme de formation », votre article affirme qu’elle est « brandit comme un scoop retentissant par la présentatrice de l’émission Elise Lucet » À quel moment Elise Lucet « brandit » cette séquence comme un scoop retentissant ? Il ne s’agit pas pour nous d’un « scoop » mais d’une information d’intérêt public.

Par ailleurs, Acrimed prône la transparence et traque le conflit d’intérêt, une fonction indispensable et louable. Pourtant, je note qu’à aucun moment vous ne mentionnez que l’auteur de votre article est également rédacteur en chef d’une revue institutionnelle consacrée à la formation professionnelle : centre-inffo.com. Il est donc rémunéré par cet organisme qui est, comme le précise son site internet, « une association sous tutelle du ministère du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle ». Il s’agit, en fait, d’un organe d’information dirigé par un fonctionnaire avec à son conseil d’administration un commissaire du gouvernement et des représentants des partenaires sociaux. On est très loin de l’indépendance. Mais surtout, cet organe est financé par des crédits prélevés sur les fonds de l’argent de la formation professionnelle ! Ses abonnés, et donc clients, sont les pouvoirs publics, les partenaires sociaux, les organismes de formation et tous les professionnels du secteur de la formation qui ont pu prendre ombrage de notre documentaire. Dont acte.

Toute la charge de cet article repose sur le fait que nous affirmons que les déclarations d’activité des organismes de formation se font sans contrôle à priori. Ce point est d’intérêt public puisque cet enregistrement auprès de la direction du travail conduit à la délivrance d’un numéro de déclaration d’activité qui permet aux organismes de formation de se faire financer par les fonds publics de la formation.

Votre article met en doute les éléments sur lesquels nous nous appuyons pour faire cette affirmation : « (…) une séquence choc met en scène les aveux compromettants d’un contrôleur de la formation professionnelle : « Sur dix dossiers que l’on reçoit, il y en a cinq qui sont bidons. Mais on n’y voit que du feu ! » (…) » les enquêteurs de Cash investigation auraient pu simplement étayer leur propos en citant les chiffres relatifs au nombre de dossiers de déclarations refusés par rapport au nombre de dossiers déposés » précisant que ces derniers suffisent « à relativiser la portée des « révélations » de Cash investigation. »

Parlons donc des chiffres cités par l’auteur de l’article. Selon lui, « en 2012, la Direction régionale du travail du Nord-Pas-de-Calais a rejeté 193 déclarations d’activité, sur un total de 620 dossiers instruits ». Cela représente donc un taux de rejet de 31 %. Ce ne serait donc pas si facile que ça de devenir organisme officiel de formation.

Le problème avec les chiffres, c’est qu’ils disent souvent ce que l’on a envie qu’ils disent. Je note que ces derniers sont d’ailleurs donnés par l’administration qui délivre les déclarations d’activité et qui n’a pas intérêt a laissé penser que n’importe qui peut devenir organisme de formation.

Mais l’auteur de l’article, également rédacteur en chef d’une revue institutionnelle sous tutelle de l’administration compétente, ne peut ignorer les chiffres sur l’ensemble du territoire. Il aurait, à tout le moins, pu les consulter sur le document interne à l’administration que nous avons obtenu lors de notre enquête et qui est accessible sur le site Internet de Cash Investigation.

Selon ce dernier, si l’on prend l’ensemble du territoire : sur 14 171 dossiers déposés, 1 989 sont refusés. Cela fait donc un taux de rejet de 14 %. Deux fois moins que les chiffres avancés. Et encore faut-il regarder les motifs des rejets. Si l’on exclut ceux qui se sont trompés de guichet ou les rejets pour manque de « pièces » (dossiers incomplets). Le taux de rejet tombe à 2,5 %. On est très loin des chiffres avancés dans votre article. Acrimed sait pourtant, pour le dénoncer parfois, que les chiffres sont facilement manipulables.

Pour terminer, je lis dans votre article les qualificatifs suivants à propos du documentaire : « pseudo-enquête », « reportage bâclé et mal informé ». Pour ne pas être diffamatoires, les accusations doivent être appuyées par des éléments sérieux et non sur un simple jugement. Je me dois donc de préciser que cette « pseudo enquête bâclée et mal informée » révèle entre autres au public : un détournement de près de 5 millions d’euros de l’argent de la formation au sein d’une grande entreprise, une utilisation largement contestable de cet argent par l’une des principales organisations patronales ou encore des libertés inquiétantes prises par un parti de gouvernement avec l’argent des contribuables. Autant d’informations jusque-là jamais rendues publiques dont chacun jugera la légitimité.

Acrimed, dont je loue la fonction nécessaire de critique des médias, ne peut pas s’exonérer des règles journalistiques et de la déontologie qu’il exige des autres.

Je ne doute pas que vous publierez ce droit de réponse.

Meilleures salutations

II. Une réponse d’Acrimed, suivie d’une réponse de David Garcia

Nous devons remercier Benoît Bringer pour sa réponse : pour une fois qu’un journaliste daigne réagir à nos critiques !

Réponses sans détours

- Il est vrai que nous aurions dû mentionner le rôle de David Garcia dans la publication qu’il mentionne, d’autant qu’il nous avait lui-même prévenus et même alertés – il donne lui-même ci-dessous toutes les précisions nécessaires – et d’autant qu’il mentionne sans le dire des propos recueillis par ses soins dans le cadre de cette publication. Mais parler en l’occurrence (et à deux reprises) de « conflit d’intérêt » nous semble totalement abusif : comme si David Garcia était stipendié pour défendre la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle – d’autant que si nos articles sont signés, ils sont élaborés collectivement.

- Il est non moins vrai que l’article comporte une inexactitude : Élise Lucet – qui sourit effectivement – ne montre pas au ministre les images de la séquence Air guitare. Elle décrit ces images et détaille le contenu de la formation : « roulé-boulé, course en sac », etc. Le verbatim cité dans l’article est donc rigoureusement exact. Mais cette inexactitude n’altère en rien, sur le fond, une critique dûment argumentée.

- « Le principe du contradictoire » qu’invoque Benoît Bringer est un principe juridique qui peut être appliquée par extension à des publications qui dans une controverse n’expose qu’un seul point de vue. Or le point de vue de Benoît Bringer est mentionné à deux reprises. Le « principe du contradictoire » est donc respecté (alors que jamais nous n’en bénéficions, mais Benoît Bringer n’y est pour rien).

Venons-en au fond

- L’article d’Acrimed souligne dès ses première lignes que « Cash investigation » est en général une émission audacieuse et, s’agissant de l’émission consacrée à la formation professionnelle, que « tout n’est pas à jeter dans l’émission » : la séquence pertinente concernant la CGPME est saluée comme un « beau moment de télévision obtenu à la loyale ». Ce qui nuance quelque peu les critiques légitimes que nous maintenons.

- Sur les chiffres relatifs à la déclaration d’activité, Benoît Bringer affirme, non sans raison, que l’on peut « manipuler les chiffres ». Certes… Mais notre article n’avait pas pour objet de trancher sur ces chiffres. Notre critique portait sur la charge de la preuve et sur le statut d’une information ou pseudo-information obtenue en caméra cachée et prétendument recoupée par des déclarations approximatives d’un ministre. Ce qui ne fait pas une preuve, indépendamment des chiffres avancés par Benoît Bringer dans son droit de réponse.

- Les informations du film, prétendument « jamais rendues publiques » selon Benoît Bringer le sont en fait régulièrement, notamment via le rapport parlementaire Perruchot très critique sur le financement des syndicats et du patronat, cité dans le film. Un rapport dont les médias se sont fait largement l’écho, y compris Centre Inffo, qui a cité deux fois ce rapport dans les colonnes de L’Inffo formation. Rappelons aussi que le ministre du Travail Michel Sapin avait déjà annoncé sa volonté de réformer le financement des « partenaires sociaux », en le déconnectant des fonds de la formation. Et ce avant la diffusion de l’émission. L’information de Cash investigation n’est donc pas, encore une fois, une « révélation ».

Nous maintenons donc l’essentiel de notre article et en particulier sa conclusion.

III. Réponse complémentaire de David Garcia

(1) Salarié de Centre Inffo (Centreinffo.com n’existe pas), je suis rédacteur de L’Inffo formation, cité dans l’article d’Acrimed, et du Quotidien de la formation, une lettre électronique : deux publications à destination des professionnels de la formation professionnelle.

Centre Inffo est une association subventionnée par des fonds publics, en grande partie issus du budget du ministre du Travail. Ce point est exact. Pour être précis, Centre Inffo est sous tutelle de la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle et remplit une mission d’information publique sur la formation professionnelle à destination des professionnels : réseaux d’insertion, Pôle emploi, Missions locales, organisations patronales et syndicales, entreprises, organismes de formation. Une mission de service public en l’occurrence. Son conseil d’administration est composé de représentants de l’État, des Conseils régionaux, de personnalités dites qualifiées et de représentants des organisations patronales et syndicales. Parmi lesquelles la CGPME, citée dans notre article, pas à son avantage me semble-t-il.

Centre Inffo est dirigé par Julien Veyrier, qui est peut-être haut fonctionnaire : je l’ignore. Ce que je peux assurer à coup sûr le concernant, c’est qu’il a été directeur adjoint du cabinet de Nadine Morano, et conseiller de plusieurs ministres de droite. De ce fait, on pourrait sans doute me taxer de militant UMP zélé... Plus sérieusement, ce n’est pas parce que j’écris sur la formation professionnelle que je le fais nécessairement sous la dictée de mon patron.

(2) C’est moi-même qui, pour le compte de L’Inffo formation, ai interviewé Benoît Bringer (dont je rapporte les propos dans l’article d’Acrimed) pour un article paru dans Inffo formation, paru en novembre et que Benoît Bringer connaît puisque je lui ai envoyé. Quand je l’avais appelé à l’époque, en octobre, pour l’interviewer, il avait salué ma démarche, soulignant le fait que son documentaire avait suscité un certain nombre d’articles très critiques, mais que j’étais le seul à avoir pris la peine de recueillir son point de vue.

Questions simples et retour à l’envoyeur. Au nom de quoi le fait de travailler dans le champ de la formation m’interdirait de porter une analyse critique et contradictoire sur une émission relative à la formation professionnelle ? Et puisque Benoît Bringer met en doute mon intégrité et mon indépendance, je le mets au défi de sortir, au hasard, une enquête critique sur le BTP sur TF1, une enquête sur le Tour de France sur France télévisions ou une enquête sur le financement du cinéma sur Canal +. Chiche ?

 
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