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Radio France Internationale (RFI) : encore et toujours en lutte !

par Olivier Poche,

Depuis plus d’an, les salariés de RFI sont en lutte contre les projets de leur direction et la politique du gouvernement qui tentent de leur imposer une fusion avec France 24. Une fusion qui ressemble fort, pour la 3e radio mondiale, à une dissolution, agrémentée d’un déménagement et d’un (second) « plan de départs volontaires »… dont les salariés ne veulent pas. Le premier plan social avait donné lieu à la plus longue grève de l’audiovisuel public, une grève se soldant par une victoire en septembre 2009. Nous avions fait le point de ce combat en janvier 2010. Près de deux ans plus tard, la lutte continue. Une lutte qui ne concerne pas les seuls journalistes et auditeurs de RFI…

Nous l’écrivions dans un article de mars 2011 : Radio France Internationale « est indispensable, non seulement à ses auditeurs, mais aux autres médias qui bénéficient largement des informations qu’elle diffuse et de l’activité des journalistes qu’elle emploie. Certes, RFI n’est pas au-dessus de toute critique. Loin de là. Mais mieux vaut encore une information pluraliste et critiquable qu’une information rendue monolithique et rachitique, en France et à l’échelle internationale. L’enjeu dépasse largement les seuls journalistes et auditeurs de RFI. Qu’on se le dise ! »

Et nous le disons une fois encore en soutenant publiquement la nouvelle grève entamée par les salariés de RFI depuis lundi 28 novembre 2011 pour s’opposer à la volonté farouche de leur direction d’imposer la fusion avec France 24 et ses conséquences : un second plan social, et un déménagement des locaux de la station. Une telle fusion équivaut pour RFI à une mort programmée, ou, tout du moins, à une vampirisation de la radio par France 24, sans que, de surcroît, cela augure d’un avenir plus reluisant pour cette dernière.

I. Une fusion massivement rejetée

L’assemblée générale du 3 décembre dernier a « approuvé à l’unanimité le principe d’un référendum pour ce lundi 5 décembre ». Pierre Hanotaux, nouveau directeur général délégué de la Holding Audiovisuel Extérieur de la France (AEF) nommé par le Pdg Alain de Pouzilhac en remplacement de Christine Ockrent, ayant imprudemment déclaré aux syndicats, lors d’une réunion de négociation sur les préavis de grève : « Cette fusion RFI-France 24 ne se fera pas sans l’adhésion du personnel », l’ensemble des syndicats de RFI l’a pris au mot et a organisé à la date prévue le dit référendum pour que le personnel réponde à cette simple question : « Vous, salariés de RFI, adhérez-vous à cette fusion ? »

La réponse est sans ambiguïté, selon un communiqué que nous avons reçu le soir même du vote :

591 votants, 94,42 % de votants contre cette fusion RFI-France 24

À la question « Êtes-vous pour ou contre cette fusion RFI-France 24 ? » posée ce lundi 5 décembre 2011 par l’ensemble des syndicats de RFI, dans un référendum d’entreprise, les salariés ont massivement rejeté ce projet de fusion.

591 salariés se sont exprimés [1], 558 ont voté contre cette fusion (94,42 %), 26 ont voté pour (4,40 %), 7 bulletins nuls (1,18 %).

Cette consultation organisée dans l’urgence, face à la volonté de passage en force de la direction, a connu un taux de participation historique à RFI. Son résultat est un sévère camouflet infligé à la direction et à tous qui la soutiennent. Aucune réforme et aucun projet d’entreprise ne peuvent se faire sans l’adhésion du personnel. À bon entendeur…

La grève a été votée à l’unanimité ce lundi et se poursuit donc pour la huitième journée consécutive.

Mais cette question, en vérité, nous concerne tous, lecteurs, adhérents, sympathisants d’Acrimed, auditeurs ou non de RFI. Pouvons-nous adhérer à cette fusion ?

Pour répondre à cette question, voici quelques informations complémentaires, pour la plupart glanées sur le blog RFI Riposte, le blog des salariés de RFI, que nous vous invitons chaleureusement à consulter.

II. Une opération rondement menée

La grève entamée lundi 28 novembre 2011 répond à la tentative de la direction de l’AEF de passer en force en brusquant le calendrier. Qu’on en juge, d’après la chronologie établie par RFI riposte :

- Lundi 28 novembre : convocation du CHSCT pour valider la fusion RFI-France 24.
- Mardi 29 novembre : convocation du CHSCT pour valider le projet d’aménagement des locaux à Issy-les-Moulineaux.
- Mercredi 30 novembre : convocation du Comité d’entreprise, pour qu’à son tour, il valide la fusion.
- Jeudi 1er décembre : convocation du Comité d’entreprise pour qu’à son tour, il valide le projet d’aménagement des locaux à Issy-les-Moulineaux.
- Vendredi 2 décembre : convocation des Conseils d’administration de RFI, de France 24 et de l’AEF.

Cette précipitation s’explique d’autant moins – ou d’autant mieux… – qu’une décision de justice doit être rendue le 16 janvier 2012 sur… la validité des procédures de fusion ! Petit rappel des épisodes précédents qui, sans même mentionner les glorieuses tribulations du duo de choc Pouzilhac-Ockrent à la tête de l’AEF (qui chapeaute RFI), permet de comprendre pourquoi les procédures de fusion sont, sinon valides, du moins très contestables :

 Le 5 octobre 2010, les salariés de RFI apprennent par un article des Échos la fusion de RFI et de sa filiale arabophone Monte Carlo Doualiya (MCD) avec France 24, ainsi que le projet de déménagement à Issy-les-Moulineaux. Le lendemain, la direction annonce au cours du Comité d’entreprise que le projet de déménagement de RFI à Issy-les-Moulineaux est accepté par les tutelles. RFI Riposte rappelle que dans un entretien sur RFI en février 2008, le président Pouzilhac avait déclaré : « Je pense qu’on doit être créateur d’emplois, sinon on aura échoué… il n’y a pas de fusion envisagée entre RFI et France 24… » La preuve.

 En décembre 2010, les salariés de RFI sont invités par l’intersyndicale à se prononcer sur le projet de déménagement à Issy-les-Moulineaux. Résultat : le projet est massivement refusé, à 91,5 % des voix (486 personnes y ont participé, soit une participation de 53,2 % sur les 822 personnes physiques à RFI et 86 personnes pour MCD – chiffres de la direction).

 En avril 2010, le CA de RFI vote massivement… en faveur du projet, par 13 voix pour et une voix contre – celle de l’intersyndicale représentant pourtant la majorité des salariés…

 Le 6 avril 2011, le Canard Enchaîné publie un article sur l’AEF signé Christophe Nobili. Selon lui, l’« objectif numéro 1 » des projets de Pouzilhac est de « réaliser le grand rêve sarkozyien d’un ensemble radio-télé mondial à la française. Histoire de ne pas polluer la future campagne présidentielle de Sarkozy, l’affaire doit être soldée au plus tard cet été, le 1er juillet. La direction de l’AEF est donc pressée de boucler l’opération ». Et le Canard de donner quelques précisions, après avoir pu consulter « deux documents confidentiels (plus de 200 pages au total) détaillant ce beau projet » :

L’ensemble du personnel sera regroupé non plus par médias mais par pôles linguistiques (francophone, anglophone, arabophone), le tout sous une direction de l’information unique.
Chacun des trois nouveaux pôles sera « plurimédia » (radio, télé, web), avec des journalistes « polyvalents », sautant joyeusement d’un support à l’autre, façon Nextradio TV, le groupe lowcost d’Alain Weil (BFM TV, RMC).
Autre réjouissance de ce grand chambardement : les sociétés RFI et France 24 sont promises au bûcher : c’est écrit noir sur blanc («  […] les sociétés RFI et France 24 seront dissoutes et radiées des Registres du Commerce et des Sociétés » est-il écrit dans le projet de fusion confidentiel-défense RFI-France 24).
[…]
Comme le confirme une récente étude du Comité d’hygiène et de sécurité de RFI, le bâtiment qui les attend, loué au Crédit Suisse, a de quoi faire rêver : « fissures structurelles », « infiltrations », « défauts d’étanchéité », « moisissures », « eaux stagnantes en sous-sol »… et même « odeurs de boulangerie » ! Un palace pour lequel l’État va débourser, rien qu’entre le déménagement et les travaux, la bagatelle de 21,5 millions, auxquels s’ajoutent 3 millions sortis par l’AEF. Ensuite, il faudra allonger 6 millions de loyer par an. […]
Ultime conséquence de cette fusion RFI-France 24 tant désirée par Sarko : 126 journalistes et employés administratifs (sur 1 329) vont prendre la porte. Pardon, ils vont profiter d’un « plan de départs volontaires ».

 Le 25 mai 2011, une motion de défiance contre Alain de Pouzilhac est soumise au vote des salariés de RFI par l’intersyndicale : « Devant la représentation nationale, M. Alain de Pouzilhac a osé prétendre que les salariés de RFI adhéraient à la fusion de RFI et France 24. Nous, salariés de RFI, l’accusons de mensonge. Ce projet n’est pas le nôtre. M. Alain de Pouzilhac ne représente pas les salariés de RFI […]  ». La motion est massivement approuvée, par 96,66 % des votants [2].

 En juin 2011, les deux cabinets d’expertise mandatés par les Comités d’entreprise de RFI et de France 24 pour étudier le projet de fusion et le plan de départs volontaires rendent leurs rapports. Deux rapports et une conclusion, résume l’intersyndicale : « une fusion aux finalités incertaines et aux modalités contestables. » Et pourtant, « les experts ne demandaient qu’à être convaincus. Pour eux, de prime abord, “les soubassements théoriques de la fusion pouvaient être pertinents et séduisants” en vue “d’une meilleure efficience opérationnelle”  : mutualisation des moyens humains et techniques de RFI et F24, expertise renforcée, synergie des contenus. »

Mais leurs conclusions sont sans pitié. Florilège : « les fondements pratiques de la future organisation sont fragiles et peinent à convaincre », « les lacunes du projet rendent impossible une appréciation de la pertinence du projet » ; « le présent plan de réorganisation au mieux anticipe un avenir incertain, au pire navigue à vue »… Déplorant « une fusion juridique inutile et incertaine », ils pointent « l’absence de projet éditorial concernant la future entité » et craignent « le choc culturel et psychologique que va induire la fusion pour deux entreprises, RFI et F24, très attachées à leur identité, sans garantie qu’une nouvelle culture vienne cimenter les troupes ».
Enfin, ils critiquent « un plan de départs volontaires au coût élevé » pour des économies qui « restent à prouver », alors que les « effets du précédent PSE à RFI peinent à se faire sentir » selon le premier cabinet, quand ils sont « bien maigres » pour le second. Rappelons en effet que le premier plan social avait finalement coûté le double des 20 millions prévus alors, et que le second est d’ores et déjà estimé à au moins 25 millions d’euros.

 À la rentrée, le projet se précise. Dans un communiqué publié le 14 septembre, les intersyndicales de RFI et de MCD s’interrogent : « La direction propose la fusion rétroactive au 1er janvier 2011. Serait-ce pour cacher le pillage de RFI et de MCD au profit du développement de France 24 ? » Avant de donner des éléments de réponse : « Un pillage qui a commencé depuis longtemps : RFI achète en effet sur ses propres deniers des équipements utilisés par France 24, RFI paye des salariés qui travaillent depuis deux ans pour France 24 sans aucune refacturation. Quant au cahier des charges présenté en CE et en CA, il est plus qu’inquiétant : […] La notion de “mission de service public”, garante de l’indépendance éditoriale, est totalement diluée dans une mission de valorisation des succès technologiques et économiques ou du patrimoine touristique de la France ! […] À MCD le “plan de relance” s’est résumé par la diffusion du son de France 24 sur l’antenne de la radio. Une hérésie que, pourtant, Alain de Pouzilhac et son équipe dirigeante vendent aux Tutelles comme preuve de la faisabilité des synergies radio-télé. À quand le son de France 24 sur RFI ? Qu’on ne s’y trompe pas : l’idée est inscrite dans le "projet de réorganisation" présenté par nos dirigeants apprentis sorciers ! »

 Nouvel exemple, le 22 septembre : « Sous prétexte d’un partenariat renforcé pour la campagne électorale, alors que la fusion juridique n’est pas faite, la direction de l’AEF décide d’extraire les journalistes politiques de RFI du service France/Sciences. Ils auront à assurer des missions au service de la télévision internationale, au détriment de l’antenne de RFI. »

 Le 3 octobre, RFI Riposte revient sur la juteuse opération immobilière du déménagement de la station. Juteuse pour qui ? « Radio France – donc l’État – va ainsi perdre son locataire historique et naturel ainsi que les quelques 6 millions d’euros annuels versés par RFI, au titre des loyers. Grand gagnant sur toute la ligne : le Crédit suisse, propriétaire de l’immeuble. Le bâtiment sera ainsi quasiment reconstruit et totalement rééquipé aux frais de l’État. »

 Le 29 novembre, les élus CFDT, CGT, FO, SNJ et SUD adressent une lettre à Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères, à la veille de son audition par la Mission d’information parlementaire sur l’AEF, pour demander « le gel de la tenue des instances représentatives du personnel […] Comment les administrateurs représentants de l’État peuvent-ils accepter de se prononcer vendredi 2 décembre sur une fusion qui risque d’être remise en cause par des décisions de justice ? », lui rappelant que « trois rapports parlementaires pointent les incohérences et les errements stratégiques et financiers de cette fusion. Des rapports qui rejoignent les grandes inquiétudes des personnels de la 3e radio mondiale », et prenant « acte de [son] souhait de voir le ministère des Affaires étrangères redevenir le ministère de tutelle de RFI. » Ils ne seront pas déçus de la réponse, publiée comme il se doit par l’intermédiaire du Figaro.

 Le lendemain 30 novembre, le Figaro.fr rend en effet compte de l’audition, en se félicitant d’avoir vu « Juppé déterminé sur le dossier de l’AEF » (c’est le titre) : « Une audition expresse, nette et sans bavure de 45 minutes au cours de laquelle, le ministre d’État a posé quelques principes généraux clairs. » Des principes clairs qui répondent point par point aux demandes de l’intersyndicale : Juppé « souhaite que la réforme soit menée à bien, dans les temps et dans la forme impartie […] ne conteste pas la co-tutelle avec le ministère de la Culture », et chasse « d’un revers de main, les crises passées qui se sont déroulées sur fond de conflit personnel entre Christine Ockrent et Alain de Pouzilhac, il a estimé que l’arrivée de Pierre Hanotaux au poste de Directeur général du groupe public avait calmé le jeu. Le débat est donc clos pour Alain Juppé. » Et pour Le Figaro, cela va sans dire.

***

Non, le débat n’est pas clos. Encore faudrait-il qu’il existe – notamment dans l’espace médiatique. Mais les médias dominants, ayant d’autres DSK à fouetter, s’en tiennent au service minimum. Dans le meilleur des cas...

 
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Notes

[1RFI compte 781 postes de travail. Chiffre officiel avancé par la direction en CE et en CHSCT. (Note de l’intersyndicale)

[2Votes exprimés : 360 ; défiance : 348 ; confiance : 10 ; nuls : 2.

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