On aurait pu croire à un moment de réflexivité de la part de l’hebdomadaire de Pinault, avec cette question posée le 15 octobre 2014 :
Malheureusement, il n’en est rien. Certes la question est vaste, et pas forcément absurde ; elle serait même fort à propos pour un hebdomadaire français « de référence ». Elle serait en tout cas justiciable d’une réponse détaillée et approfondie qui pourrait par exemple faire l’objet d’un de ces « grands dossiers » ou l’une de ces grandes « enquêtes » dont Le Point s’est fait la spécialité (mais « Les jaloux » ont eu sa préférence dans le numéro en cours…).
Cependant, la forme sondagière se prête particulièrement mal à un état des lieux circonstancié, et le survol des réponses possibles rend d’emblée absurde et vaine toute velléité analytique [1]. En vertu du principe de charité, nous nous devions quand même de les examiner :
- « Elle fait globalement bien son travail d’information et d’enquête à destination du grand public »… Euh… vraiment ?
- « Elle accorde une trop grande place aux catastrophes et mauvaises nouvelles »… Oui, sans doute… mais desquelles parle-t-on au juste ?
- « Elle est trop politiquement orientée à gauche »… Quelle horreur !
- « Elle est trop politiquement orientée à droite »… Non… vraiment ?
- « Moins je la lis mieux je me porte »… Douloureuse conclusion introspective…
Alors bien sûr, en matière de pseudo-sondages stériles qui ne changent rien à rien, Le Point n’en est plus à son coup d’essai ; pis, dans un passé récent, ses fabricants d’opinion n’ont pas hésité a relayer quelques propositions scandaleuses, le news magazine ayant été contraint de faire amende honorable en admettant avoir commis certains sondages « lamentables et consternants » [2].
Mais la période de rémission a été courte et la récidive inéluctable. Dans sa chasse aux clics, Le Point semble insatiable, ses sondologues nous ayant livré ces derniers mois quelques interrogations existentielles comme celle-ci :
Ou encore celle-là :
Misère...
Nous laisserons le mot de la fin à Pierre Bourdieu qui pointait, notamment dans Sur la Télévision, les réponses nécessairement absurdes à des questions qui ne l’étaient pas moins :
« Il m’est arrivé très souvent, même en face de journalistes très bien disposés à mon égard, d’être obligé de commencer toutes mes réponses par une mise en question de la question. Les journalistes, avec leurs lunettes, leurs catégories de pensée, posent des questions qui n’ont rien à voir avec rien. (…). Avant de commencer à répondre, il faut dire poliment ‘votre question est sans doute intéressante, mais il me semble qu’il y en a une autre, plus importante ?’. Quand on n’est pas un tout petit peu préparé, on répond à des questions qui ne se posent pas. »
Thibault Roques
P.S : le pseudo-sondage du jour (16 octobre 2014) est un condensé de tout ce que l’on a pu observer ci-dessus :
Au fond, peut-être que Le Point y avait déjà répondu involontairement et indirectement dans le pseudo-sondage de la veille « Quel jugement portez-vous sur la presse française ? ». Acrimed, pour sa part, a voté : sans doute s’agit-il d’un éditocrate ultraréactionnaire à la mode, mais l’amnésie et l’aveuglement aidant, nul doute qu’il redeviendra bientôt « un journaliste comme un autre », au moins aux yeux de « la presse française ».